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Une association sur la défense nationale fait polémique à la Sorbonne : "On nous prend pour des fascistes"

La toute jeune association "Panthéon-Sorbonne Défense Unité et Sécurité Nationale" a été attaquée de toutes parts. Dans le contexte tendu de l'état d'urgence, elle est accusée de propagande nationaliste. 

Article rédigé par franceinfo - Alice Maruani
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Publié
Temps de lecture : 5 min
Entrée de la faculté de droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris). (Wikimedia Commons)

Emoi à la Sorbonne. Dans cette université très marquée politiquement, une nouvelle association provoque un psychodrame : on l'accuse ni plus ni moins de recruter pour l'armée.

En créant  "Panthéon-Sorbonne Défense Unité et Sécurité Nationale" (PSDSN), une association sur la défense militaire et civile, Florian savait qu'il s'exposait à de vives réactions : "Ici, on évite déjà de dire quand on est réserviste, car ce n'est pas bien vu. C'est une université frileuse, peu ouverte traditionnellement sur les thématiques de défense.La Sorbonne est, en général, plutôt très à gauche.

Mais il ne s'attendait pas non plus à ça. "On a subi une cyberattaque", se désole au téléphone cet étudiant en master de Droit. La page Facebook de sa toute jeune association a été soudainement envahie de commentaires désobligeants et de poèmes pacifistes. "Vous ne transformerez jamais les étudiants en soldats, ne vous en déplaise. Vous pouvez vous garder votre service civique, on a mieux à faire", écrit par exemple Alex. Vincent, lui, cite le classique mais efficace Déserteur de Boris Vian. Certains sont étudiants à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, d'autres visiblement non, mais se présentent comme des militants de gauche ou d'extrême gauche.

"On nous prend pour des fascistes", soupire Florian . Il n'y a pas que les réactions négatives sur les réseaux sociaux. Les ragots et les critiques contre l'association, lancée le 24 octobre, courent de mail en mail, entre élèves, profs ou représentants syndicaux. Certains messages ont été transmis au jeune homme en master de Droit. Il commente :"Quelques membres de l'université ont des a priori sur l'association. Ils croient qu'on fait du prosélytisme."

Des débats sur les drones ou des parcours du combattants

Florian se défend de promouvoir l'armée ou de recruter pour la défense. Il explique que les objectifs de l'association sont divers : "Promouvoir tout type d'engagement citoyen, les valeurs de la défense et l'esprit d'équipe – en organisant par exemple des parcours du combattant comme en école de commerce – et programmer à l'université des conférences sur la défense." Il énumère : "On pourra débattre de 'la théorie de la guerre juste', de l'éthique des drones, ou faire venir, comme on l'a déjà fait, des membres du GIGN..."

Lui-même est dans la réserve de l'Armée de l'air et envisage une carrière de civil au ministère de la Défense. "J'ai été attiré tôt par les problématiques de sécurité, les valeurs de la défense. C'est quelque chose que j'ai voulu partager à l'université". Il ajoute : "Pas pour promouvoir particulièrement l'armée à la fac, mais l'engagement dans la société, au sens large." Bref, Florian joue la prudence.

"Instrumentalisation de l'université" par l'armée

Alors, d'où vient la confusion ? D'abord, souligne Emile, 19 ans, qui a critiqué publiquement l'association, des premiers posts de la page Facebook de PSDSN : ce sont des appels à intégrer la réserve militaire et la Garde nationale.

Ensuite, le contexte général est plutôt tendu. Pour cet étudiant en licence d'histoire, l'association s'inscrit "dans la continuité de tous les appels à la cohésion nationale qu'il y a eu après les attentats, avec la promotion du service civique par exemple ". Emile affirme que la société se militarise et connaît plusieurs camarades d'université qui veulent aujourd'hui s'engager dans la réserve militaire. "Je trouve ça sale de jouer sur des morts", lâche-t-il. "Ça me rappelle 1870 ou 1914, avec les appels à la mobilisation nationale."

Même si l'association assure rester indépendante du ministère de la Défense, Guillaume Mazeau, maître de conférences en Histoire à Paris 1, y voit aussi une "instrumentalisation de l'université". C'est ce qu'il a écrit dans une diatribe énervée sur Facebook. Guillaume Mazeau s'est déjà fait connaître en postant sur Facebook le récit glaçant de son collègue victime de violences policières, devenu viral.

Au téléphone, il tempère : "Je n'ai rien contre l'association en soi. Mais il faut rester très vigilant." Guillaume Mazeau ne veut pas être taxé d'"antimilitariste primaire". Pour lui, l'association s'inscrit aussi dans un rapprochement qu'il juge sain entre l'université et les institutions militaires. A Paris 1, un Institut des études sur la guerre et la paix, sur le modèle des "War Studies", a été lancé en partenariat avec Saint-Cyr. " Et c'est très bien d'avoir plus de recherches et d'enseignements sur ces questions", commente-t-il.

"Une impression d'appel aux armes"

Le maître de conférences est surtout échaudé par l'année passée, dit-il, où il a vu "l'état d'urgence s'installer dans l'Education nationale en général" : "Aujourd'hui, c'est comme si cette institution républicaine ne devait plus enseigner l'esprit critique, mais apprendre à obéir aux lois et aux valeurs." Il prend pour exemple "le remplacement de l'éducation civique par la morale civique et l'accent mis sur le récit national dans les programmes d'Histoire ".

Pour ce professeur, les facs n'échappent pas à cette mobilisation patriotique. Il évoque les DU Laïcité destinés aux imams, "qui nous sont imposés". Ou le rôle ambigu du référent-défense, obligatoire depuis 2009 au sein des universités, qui promeut l'enseignement des questions militaires, mais aussi "le devoir de mémoire" – "une notion critiquée par les historiens", rappelle Guillaume Mazeau. Quant à la jeune association de défense, "il faut voir ce qu'elle va faire, et la suivre de près".

Le fondateur de PSDSN blâme aussi le contexte de tensions post-attentats : "On a lancé l'association au mauvais moment. Ça fait longtemps qu'on y pensait, bien avant le Bataclan. Mais on a mis du temps et elle est arrivée au milieu de l'appel à rentrer dans la réserve opérationnelle et des problèmes avec la police. Ça crée une peur latente, une impression d'appel aux armes." Il ajoute : "et le 'nationale' dans notre sigle, ça fait peur aussi. On va l'enlever."

Florian  aura en tout cas réussi à créer la polémique dans une université où "l'on ne débat presque jamais des questions internes", explique Guillaume Mazeau. A coup de mails et de commentaires Facebook, certes, "mais c'est déjà ça" : "C'est important de se poser ces questions. Sinon les choses arrivent petit à petit, dans notre dos." 

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