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Récit 4h16 : le Raid lance l'assaut sur un appartement de Saint-Denis

Une vaste opération de police a eu lieu dès 4h16, en plein centre-ville de Saint-Denis. La cible : le commanditaire présumé des attentats de Paris.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Deux policiers lors de l'intervention antiterroriste à Saint-Denis, le 18 novembre 2015. (KAMIL ZIHNIOGLU / SIPA)

Il fait encore nuit noire sur Saint-Denis, mercredi 18 novembre au petit matin, lorsque les hommes du Raid achèvent d'encercler un immeuble situé rue du Corbillon, en plein centre-ville. La basilique n'est qu'à 200 mètres. Le bâtiment est haut de trois étages : c'est dans un appartement du dernier étage que se trouve le groupe visé par la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire. La cible : Abdelhamid Abaaoud, présenté comme l'un des commanditaires des attentats de Paris.

"On sentait l'immeuble qui bougeait"

A 4h16, le quartier est réveillé par une détonation. Plus de vingt hommes du Raid prennent position sur le palier d'un appartement, situé au troisième étage d'un immeuble de la rue Corbillon. Ils tentent de faire exploser la porte blindée. Mais elle résiste. Les troupes d'élite se positionnent alors derrière la porte, équipées "de boucliers antiballes". A l'intérieur, les jihadistes ripostent.

"J'ai entendu quelqu'un qui a dit : "ouvre la fenêtre", puis 'boum boum boum', des tirs", raconte à France 2 une voisine qui habite le premier étage de l'immeuble. 

Le récit du raid de Saint-Denis
Le récit du raid de Saint-Denis Le récit du raid de Saint-Denis (CLAUDE SEMPERE - FRANCE 2)

La bataille fait rage dans l'appartement. "Les policiers m'ont dit de rester allongée par terre et de ne pas bouger, d'éteindre les lumières, raconte Sabrine, qui habite à l'étage en dessous. Son plafond tremble à chaque explosion.

Je suis allée me cacher dans les toilettes mais il y a eu une explosion et j'ai senti le plafond des toilettes qui allait exploser, alors je suis ressortie et on est restés comme ça, avec mon bébé. Il y avait des explosions, on sentait l'immeuble qui bougeait.

Sabrine, habitante de l'immeuble

à France 2

Elle se protège sous un bouclier improvisé avec la porte de sa chambre, avec son petit garçon. Elle y restera plus de deux heures. "Je ne pouvais pas bouger, j’avais vraiment peur qu’on me tire dessus avec mon fils, poursuit la jeune femme, sur Europe 1. J’ai essayé de le cacher. Dès qu’il entendait une explosion, mon fils m’arrachait la peau avec ses ongles." 

Saint-Denis : une voisine de l'appartement visé raconte l'assaut de la police
Saint-Denis : une voisine de l'appartement visé raconte l'assaut de la police Saint-Denis : une voisine de l'appartement visé raconte l'assaut de la police (FRANCE 2 / FRANCE 3)

Les voisins restent terrés chez eux alors que les tirs résonnent dans les rues. Les lasers verts des fusils balayent les façades. Des hélicoptères tournent autour de l'immeuble, braquant des projecteurs sur l'appartement de la rue du Corbillon à l'intérieur très dépouillé. Pas de matelas, peu de mobilier. Presque à l'abandon. "C'est juste un squat", lâche une voisine.

Je ne dors plus depuis 4h15, j'ai été réveillée par des coups de feu. J'ai ouvert la fenêtre et un policier m'a dit de rester chez moi, de ne pas bouger. J'ai très peur.

Une habitante de la rue Gabriel Péri

à francetv info

"Mains sur la tête, à plat ventre"

Vers 4h45, les premiers tirs cessent. Les hommes du Raid parviennent "à interpeller, dans leur zone d'intervention, trois individus", qui se rendent sur le palier. Ils sont immédiatement placés en garde à vue. Leur identité est encore en cours de vérification.

Une chienne d'assaut du Raid, Diesel, malinois de 7 ans, est envoyée pour faire une reconnaissance des lieux. Elle est tuée sur le coup. Après une longue rafale, une forte explosion retentit. A l'intérieur de l'appartement, une femme vient d'activer sa ceinture d'explosifs.

Pendant ce temps, les voisins les plus proches sont évacués. Déboulent dans la rue des gens hagards, tirés du lit, certains ne portant qu'un slip sous leur couverture de survie.

Les policiers ont dit : "Sortez, sortez, ça va exploser !"

Une voisine du premier étage

à France 2

"Les policiers sont venus nous chercher pour évacuer le périmètre, de manière un peu brutale. Mains sur la tête, à plat ventre, histoire de me fouiller", renchérit Patrice, un voisin, sur France 2. Ces habitants sont hébergés à l'hôtel de ville, qui a ouvert ses portes dès 5h15.

François Hollande a été réveillé dès le début de l'opération. Le président la suit dans son bureau de l'Elysée, rejoint progressivement par Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian.

Saint-Denis suspendue aux bruits d'explosion

A Saint-Denis, le quartier s'éveille. Les gens tentent d'aller au travail. Les automobilistes qui cherchent à accéder au centre-ville sont renvoyés sans ménagement. Toute la zone est bouclée : à Paris, des barrages filtrants sont mis en place porte de Saint-Ouen, de Clichy et de Clignancourt.

Vers 6 heures du matin, des camions franchissent le périmètre de sécurité. En sortent plusieurs dizaines de soldats, dont la première mission est de repousser la foule. Une ambiance de guerre aux portes de Paris.

Peu après 7h30, une série d'explosions retentit. Puis plus rien. Mais la police refuse de confirmer que l'assaut est terminé. La situation n'est pas figée, comme on dit en langage policier.

Un peu après 9 heures, le procureur envoie un texte aux journalistes. Il explique que l'assaut est toujours en cours. "Nous sommes [alors] au milieu de la mission", raconte le patron du Raid. Ses hommes arrivent à progresser un peu dans l'appartement. L'unité d'élite de la police fait état de cinq blessés.

"Barrez-vous !"

La foule se masse aux abords du périmètre de sécurité, gênant l'arrivée des renforts de police. Des jeunes, des riverains, des curieux, des journalistes. La tension est extrême. Un simple bruit suspect déclenche un mouvement de panique. Comme sur la place de la République, à Paris, dimanche 15 novembre. Des policiers déboulent, arme à la main, en criant aux passants : "Barrez-vous !" 

A 9h55, des nouvelles explosions retentissent. Suivie d'un silence de mort. Des snipers lancent des grenades pour saturer l'espace de l'appartement, raconte le patron du Raid. D'autres policiers s'activent toujours au pied de l'immeuble. Un policier est évacué, visiblement touché à la jambe ou au pied. 

Les opérations de sécurisation de la zone se poursuivent, les autorités refusent de confirmer la fin de l'assaut. Un autre terroriste est tué.

A 11h45, une annonce du gouvernement met fin à l'attente : l'opération est officiellement terminée. Bilan : sept personnes interpellées, deux terroristes présumés tués, dont la femme qui s'est fait exploser. Et quelques blessés légers dans les forces de police.

On apprendra ensuite que le logement de la rue du Corbillon a été prêté par son occupant "à deux Belges", à la demande d'un ami. L'homme qui a prêté son appartement affirme avoir juste "voulu rendre service""J'ai appris que c’était chez moi que les individus étaient retranchés. Je n’étais pas au courant que c’étaient des terroristes. Si je l'avais su, vous croyez que je les aurais hébergés ? Je ne les connais pas du tout." 

Peu après ce témoignage, l'homme, Jawad B., est la huitième personne interpellée par la police. Joint par francetv info, son avocat confirme que l'homme a été condamné en 2008 à huit ans de prison pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. On ignore, en revanche, si Jawad B. est en lien avec la mouvance islamiste radicale. Selon son avocat, "il n'avait aucun discours particulier que ce soit sur la société ou la religion".

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