Assaut de Saint-Denis : la dénonciatrice du terroriste Abaaoud témoigne du jour où elle est devenue "personne"
Un an après l'assaut donné par la police à Saint-Denis contre la planque de deux jihadistes des attentats du 13 novembre, le témoin qui a permis de les localiser sort de son silence. Cette mère de famille "ne regrette rien", mais vit mal l'obligation de se cacher.
Le 18 novembre 2015 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le Raid, l'unité d'intervention de la police, donnait l'assaut contre l'appartement où s'était retranché Abdelhamid Abaaoud, l'un des coordonnateurs des attentats du 13-Novembre. La localisation a été permise grâce au témoignage de Sonia*. Cette mère de famille a raconté dans un livre, Témoin, sa vie désormais cachée et protégée. Pourquoi a-t-elle pris la décision d'appeler la police ? A-t-elle mesuré les conséquences de son choix ? Comment vit-elle depuis ? Sonia s'est confiée à franceinfo, vendredi 18 novembre.
"Un monstre devant moi"
La vie de Sonia a été bouleversée le dimanche 15 novembre 2015. Il est 19h00 lorsque la jeune fille qu'elle héberge, Hasna Aït Boulahcen, la cousine d'Abdelhamid Abaaoud, reçoit un coup de téléphone de Belgique. Hasna vit chez Sonia qui la considère un peu comme sa fille. C'est d'ailleurs pour la protéger qu'elle l'accompagne dans la nuit, à Aubervilliers. Téléguidée depuis la Belgique, Hasna assure qu'elle doit aller chercher un petit cousin qui dort dehors. Il s’agit en fait d’Abaaoud, caché depuis quelques jours dans un bosquet, au bord de l'A86. Il se jette dans les bras d'Hasna, qui le surnomme "cousin Claquette".
Abaaoud serre la main de Sonia, qu'il n'a jamais vue auparavant. Il est question immédiatement des attentats qui viennent de laisser la France sous le choc. "Directement, quand je lui demande s’il a participé aux attentats du 13-Novembre, il dit : ‘Oui, les terrasses c’est moi’." Sonia tente, sans succès, de lui faire entendre raison, en lui disant qu'il a "tué des innocents, que l'islam, ce n'est pas ça".
J’ai un monstre sanguinaire en face de moi. Il est heureux de ce qu’il a fait et de ce qu’il compte faire. Il pense qu’il n’a personne au-dessus de lui.
Abaaoud explique à Hasna et à Sonia qu'il veut recommencer à frapper. Il prétend qu'il s'est infiltré avec 90 terroristes, parmi un flot des réfugiés, et il en rit. Sonia n'a plus qu'un objectif, le dénoncer à la police. "Pour moi, les victimes avaient besoin du coupable devant elles, pour qu’elles puissent comprendre et voir la froideur de cet être ignoble. Il était impossible pour moi d’être complice. Déjà, être au courant, ça me rendait complice. Laisser agir, ça me rendait coupable."
Un témoignage, une garde-à vue, une protection
Le lendemain, Sonia prévient la police qu'Abaaoud est en Seine-Saint-Denis. Les policiers ont du mal à la croire, à tel point ils sont persuadés que cet homme est encore en Syrie. Ils se laissent finalement convaincre par un détail donné par Sonia, les fameuses baskets orange du terroriste filmé dans le métro le soir du 13 novembre. Et c'est Sonia qui va trouver l'adresse de la planque de Saint-Denis, la veille de l'assaut donné par le Raid le 18 novembre.
Le témoin crucial va pourtant se retrouver en garde à vue, le 18 novembre au soir. C'est une mesure qu'elle a encore du mal à admettre. Le plus difficile lui est annoncé alors qu'elle pense en avoir fini. "On me dit que je ne peux pas rentrer chez moi."
Pour éviter des représailles, la police place en effet Sonia sous le régime de la protection de témoin. Commence alors pour elle une vie à l'hôtel, puis dans un autre lieu mieux adapté à ses enfants, toujours loin de la famille et des amis. Désormais, la protection policière est limitée, mais l'Etat n'a toujours pas fourni de nouveaux papiers d'identité. Le décret d'application de la loi le permettant n'est pas sorti. Un an après, Sonia résume sa situation avec ces mots : "Je suis devenue personne."
Je n’ai plus rien, pas d’amis, ni d’activités. Je n’ai plus de vie sociale, plus de vie professionnelle. Je suis devenue personne, inexistante. Je demande que l’on redonne ce qui m’a été enlevé.
Sonia conclut l'entretien avec franceinfo en parlant de sa vie d'avant, qui lui manquera toujours, en affirmant malgré tout : "Je ne regrette rien..."
*Le prénom et la voix ont été modifiés pour raisons de sécurité.
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