Qui est Dominique Cottrez, jugée pour avoir assassiné huit de ses bébés à la naissance ?
A partir de jeudi, et pendant une semaine, cette femme est renvoyée devant les assises du Nord pour l'assassinat de huit de ses nouveau-nés.
Toute petite, déjà, elle était ronde. Dominique Lempereur, épouse Cottrez, a des problèmes de poids depuis sa naissance, le 29 mars 1964. "Même toute gosse, elle était mal nourrie, avec beaucoup de gras. La mère de Dominique mettait du beurre dans sa bouillie", raconte aux enquêteurs le mari de sa sœur aînée. Dix-huit ans séparent les deux femmes. Dominique est la "petite dernière" d'une fratrie de cinq enfants, quatre filles et un garçon. Elle n'était pas vraiment désirée. Pourtant, elle est devenue la préférée, la chouchoute des parents, selon ses sœurs.
Dominique Cottrez est obèse, mais ne parle jamais de son poids. Le sujet est tabou. Dès sa deuxième grossesse, personne ne s'aperçoit qu'elle est enceinte. L'obésité rend les grossesses indécelables, assurent les médecins. Et elle, elle ne dit rien. Elle se réfugie derrière sa forte corpulence. Elle attend que quelque chose se passe, "un miracle", qui n'arrive jamais. A la naissance, sauf pour les deux premiers, elle prend la décision de tuer les nouveau-nés. Elle l'a fait huit fois, et c'est pour cela qu'elle est jugée à Douai, devant la cour d'assises du Nord, à partir du jeudi 25 juin.
Une enfant effacée et timide
Dominique Lempereur grandit à Villers-au-Tertre (Nord), en pleine campagne. Dans ce village situé près de Douai, tout le monde se connaît. Ses parents gèrent une petite exploitation agricole. C'est une bâtisse en briques rouges, avec un terrain de 10 hectares. Les revenus sont très modestes, mais la famille ne manque de rien. Chez les Lempereur, on travaille beaucoup et on parle peu. La benjamine se fond dans le moule. C'est une enfant effacée, timide et souriante. Elle préfère se réfugier sur le canapé, loin des conversations familiales. Elle porte déjà un lourd secret : elle a été violée par son père, Oscar Lempereur, un homme discret et renfermé. La première fois, c'était à 8 ans, assure-t-elle.
A l'école, Dominique Lempereur est la cible de moqueries liées à son surpoids. Qu'importe : elle s'investit dans ses études. Elle se tourne vers le médical "pour rendre service aux autres", et obtient un BEP sanitaire et social à 15 ans. C'est à peu près à la même époque qu'elle a, à nouveau, un rapport sexuel avec son père, sans qu'elle parvienne à déterminer si c'est un viol ou une relation consentie. Elle ne dit rien. Elle a trop peur qu'il se retrouve en prison. Elle poursuit sa vie comme si de rien n'était. Trois ans plus tard, elle décroche un diplôme d'aide-soignante et est embauchée dans la foulée à l'hôpital de Douai. Son travail consiste à effectuer, à domicile, des toilettes et des soins non infirmiers auprès des personnes âgées.
Le début de sa vie professionnelle coïncide avec la rencontre avec son futur mari. C'était au début des années 1980, elle avait 18 ans passés. Dominique Cottrez ne se souvient plus très bien de la date. Elle sort en discothèque avec des amis. Trop complexée, elle ne danse pas. Elle préfère se tenir à l'écart du groupe qui s'agite en rythme avec la musique. Pierre-Marie Cottrez est charpentier et appartient à la même bande de copains. C'est un jeune homme de corpulence moyenne, jovial. Il est gentil. Il fait le premier pas. Dominique a le coup de foudre. Cet homme, c'est le seul qui s'intéresse à elle. Ils commencent à se fréquenter. Les rendez-vous s'enchaînent, et ils se marient le 3 août 1985.
Traumatisée par son premier accouchement
Pierre-Marie et Dominique Cottrez forment un couple solide. Ils partagent une certaine complicité. "Ils se sont toujours appelés 'gros'", se souvient une de leurs filles. Ce n'est pas une référence au physique, mais une façon familière de communiquer entre eux. Tous les deux apprécient les bons repas. Ils aiment l'opulence, mais leurs salaires d'aide-soignante et de charpentier ne permettent pas d'écarts.
Parfois, Dominique Cottrez est prise d'une envie folle de dépenser de l'argent. Cela leur attire quelques ennuis, car ils émettent des chèques sans provision. Ils n'en parlent pas trop. Leur routine, c'est aussi une vie sexuelle active, avec plusieurs rapports par semaine. Dominique Cottrez ne souhaite pas que Pierre-Marie lui échappe. Alors elle ne lui refuse rien. Il la sollicite beaucoup sexuellement, note une expertise psychiatrique.
Leur première fille, Emeline, naît en janvier 1987. L'accouchement est un traumatisme. "La sage-femme n'était pas agréable. Elle me reprochait mon poids. Elle me disait quelque chose comme : 'La prochaine fois, si tu reviens avec tous ces bourrelets...'", confie Dominique Cottrez aux enquêteurs. La sage-femme touche à un point très sensible. Depuis qu'elle est adulte, le poids de Dominique Cottrez oscille entre 110 et 160 kg, pour 1,55 m. Pour sa première grossesse, elle a pris 35 kg. Elle a honte, se déteste. "Elle rejette sa propre image, elle a une mésestime d'elle-même", relève Marie-Hélène Carlier, l'un des avocats de l'accusée, contactée par francetv info.
Une collègue et une épouse dévouée
De ce premier accouchement naît une phobie du monde médical. Alors, quand Dominique Cottrez tombe à nouveau enceinte, elle le cache. Elle ne bénéficie d'aucun suivi. Son mari apprend qu'elle est enceinte peu de temps avant la naissance. Ils se rendent ensemble à l'hôpital. La chambre du bébé n'est pas prête, il faut improviser. L'entourage et la famille sont surpris d'apprendre la naissance de Virginie, en octobre 1988. Dominique Cottrez se souvient encore de leurs réactions étonnées, de leurs questions, de leurs regards réprobateurs.
L'aide-soignante bénéficie tout de même d'un congé maternité, et reprend le travail ensuite. "Consciencieuse, dévouée", "serviable", "douce et agréable"... Ses collègues et sa hiérarchie sont élogieux. C'est l'employée modèle. Mais de sa vie privée, ils ne connaissent rien, ou presque. Dominique Cottrez n'est pas le genre de personne à s'épancher au travail. Elle ne participe pas aux pots de fin d'année, ni aux autres fêtes organisées.
Dominique Cottrez n'a pas grand-chose à raconter à ses collègues. Quand elle rentre chez elle, elle s'attelle aux tâches ménagères ou s'occupe de ses deux filles. "La maison, les courses, les factures, les comptes et les enfants... Je n'avais jamais un moment à moi", explique-t-elle aux enquêteurs. Elle ne s'autorise qu'une seule passion : les fleurs cultivées en jardinière. Elle ne part jamais en vacances. Hormis une partie de pêche de temps à autre, ou une journée dans un parc de loisirs, ses sorties sont rares.
Supprimer son bébé, son "moyen contraceptif"
Pourtant, après la naissance de Virginie, Dominique Cottrez s'enferme dans ses contradictions. Elle refuse son corps et sa féminité, résume une expertise psychologique. Elle ne veut pas être auscultée. Pourtant, elle va chez le médecin, car elle est épileptique. Elle ne veut plus d'enfants. Pourtant, elle refuse d'utiliser un contraceptif et continue de s'offrir à son mari. La voilà enceinte pour la troisième fois. Dominique Cottrez le sait, elle ne nie pas. Mais elle ne veut pas y croire. "Elle ne parvient pas à investir ses grossesses", analyse son avocate.
Un jour de décembre, en 1989, elle ressent des contractions. Elle rentre chez elle. La maison est vide : son mari est en déplacement professionnel. Elle prépare des serviettes. Elle accouche seule, dans l'angoisse et la douleur. La première fois, elle regarde le sexe du bébé. C'est un garçon. Le supprimer est une solution qui s'impose à elle. Elle considère que c'est son moyen de contraception. Elle l'étouffe avec des draps. Puis elle place le corps dans un sac-poubelle et le dépose dans sa garde-robe. Trois jours plus tard, elle le dissimule dans le grenier de la maison de ses parents.
Elle dissimule les corps de huit nouveau-nés
La scène se reproduit sept fois, sans qu'il soit possible de dater précisément la mort des bébés. Dominique Cottrez ne sait plus. Les analyses estiment la date de la mort du dernier entre juin et mi-octobre 2000. Mais elle décrit toujours le même mode opératoire : elle étrangle les nouveau-nés et les met dans des sacs plastique.
Un deuxième corps est déposé dans le grenier du domicile parental, à côté du premier. Les six autres sont entreposés dans sa propre maison, tour à tour dans le panier à linge, les placards et le garage. Ceux qui s'y sont rendus le disent : il flotte une odeur étrange. La famille et l'entourage pensent à l'humidité, à des problèmes d'égouts. Pour aérer, Dominique Cottrez ouvre sans cesse les fenêtres, été comme hiver.
Emeline et Virginie ne se doutent de rien. Pierre-Marie Cottrez a toujours affirmé ne pas savoir. Il aime sa femme. Après deux ans passés en détention provisoire, Dominique Cottrez a été remise en liberté début août 2012, sous contrôle judiciaire, avec obligation de soins et interdiction de retourner à Villers-au-Tertre. Le risque de récidive est nul, ont estimé les magistrats. Depuis, le couple vit à nouveau ensemble. Pierre-Marie Cottrez sera entendu comme témoin assisté au procès.
Entre elle et son père, une relation incestueuse
Dominique Cottrez a toujours vécu dans la dépendance affective de son mari, mais aussi dans celle de son père, estime une expertise psychologique. La relation incestueuse perdure après son mariage. Deux fois par mois, quatre fois par an ou trois fois par semaine... Dominique Cottrez se perd dans la fréquence des rapports. Plus que de l'admiration, elle dit éprouver un "amour absolu" pour son père et avoir été consentante à cette période.
C'est ainsi qu'elle justifie le meurtre des nouveau-nés : elle craignait que ses enfants n'aient pour géniteur son propre père. Les analyses génétiques ont, depuis, balayé cette hypothèse. Les experts psychiatriques et les psychologues sont partagés sur ce point. Tous estiment ce passé incestueux crédible, mais n'y voient pas toujours un lien avec le fait de tuer ses propres bébés.
Pourquoi n'avoir jamais rien dit ? "J'ai préféré taire cette réalité par honte, et par fidélité à mon père", explique-t-elle aux enquêteurs. Par-dessus tout, Dominique Cottrez craint la réaction des autres. Si elle avoue publiquement aimer son père, elle pense qu'on va la traiter de folle. Elle ressent la même chose à propos de la mort des huit nouveau-nés. Elle a peur d'être rejetée. A son père, et à lui seul, elle parle des huit assassinats. La découverte des cadavres de bébés, en juillet 2010, la soulage. Ce secret lui pesait. Le procès l'angoisse, mais elle a le désir de s'expliquer devant la cour d'assises du Nord. Pour ces huit meurtres avec préméditation, elle risque théoriquement la réclusion criminelle à perpétuité.
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