Hausse des saisines sur les forces de l'ordre : le Défenseur des droits dénonce une "crise de confiance et une augmentation des violences"
Sur l'année 2019, le Défenseur des droits a reçu 1 957 saisines pour des questions liées à la "déontologie des forces de sécurité". Ce nombre a presque triplé en cinq ans.
Dans son rapport annuel 2019 publié lundi 8 juin, que franceinfo a pu consulter, le Défenseur des droits dénonce une "crise de confiance et une augmentation des violences" de la part des forces de l'ordre. Les saisines en rapport avec les forces de sécurité sont en constante hausse.
Les réclamations concernent en premier lieu la police nationale
Sur l'année, Jacques Toubon a reçu 1 957 saisines pour des questions liées à la "déontologie des forces de sécurité". Ce nombre a presque triplé en cinq ans (702 saisines en 2014, 1 520 en 2018). Ces réclamations concernent en premier lieu la police nationale (55% des saisines), dans une moindre mesure la gendarmerie nationale (17%) et l'administration pénitentiaire (15%). Les réclamations concernant des services de sécurité privés sont minoritaires (4%).
Un quart de ces saisines en rapport avec les forces de sécurité (27%) sont des réclamations par rapport à des violences, 16% des requérants contestent un non-respect de la procédure, 13% un refus de plainte, 12% des propos déplacés, 10% un manque d'impartialité au cours d'une enquête ou une intervention. Dans 89% des cas, les investigations du Défenseur des droits ne permettent pas de révéler un "manquement à la déontologie", soit parce que "les faits n'ont pas pu être établis, soit parce qu'ils ne sont pas contraires".
Toute personne s'estimant victime des forces de l'ordre peut saisir directement le Défenseur des droits et son réseau de délégués locaux. En 2019, les 44 délégués ont reçu 895 réclamations individuelles de personnes qui n'ont pas pu déposer plainte ou ont subi des propos déplacés de la part d'un policier ou d'un gendarme. Ils sont par exemple intervenus pour aider une femme souffrant d'une déficience auditive qui a subi deux refus de plainte et un accueil dégradé dans un commissariat.
Certaines techniques dénoncées comme illégales
En 2019, le Défenseur des droits a également dénoncé à plusieurs reprises les méthodes utilisées par les forces de l'ordre autour des manifestations, en particulier des "gilets jaunes". Le défenseur a dénoncé comme illégales la technique de l'"encagement" (qui consiste à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation) et la technique consistant à faire transporter des personnes afin de procéder à des "contrôles d’identité déportés". Comme dans chacun de ses rapports, le Défenseur des droits rappelle que "tout recours à la force doit se faire dans un cadre légal, être nécessaire et proportionné".
L'institution de Jacques Toubon a par ailleurs critiqué la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations et répété sa demande d'interdiction des lanceurs de balles de défense dans les opérations de maintien de l’ordre, émettant également des doutes sur l'usage de la grenade à main de désencerclement. Le Défenseur des droits regrette que la suspension de l'usage de la grenade explosive GLI-F4 ait abouti à son remplacement par "autre grenade, la GM2L, à usage semblable".
Enfin, dans son rapport annuel, le Défenseur des droits souligne avoir multiplié les initiatives pour promouvoir les normes et pratiques conformes aux exigences déontologiques des forces de sécurité, notamment en généralisant les sessions de formation auprès des acteurs de la sécurité (3 508 personnes formées en 2019, selon lui).
Un profilage social et racial à partir de critères discriminatoires
L'année dernière, le Défenseur des droits s'est prononcé à plusieurs reprises sur "certaines pratiques illégales de la part de forces de sécurité, mises en place ou tolérées par la hiérarchie". Dans une décision très commentée, l'institution a dénoncé les ordres qu'un commissariat parisien a adressé entre 2012 et 2018 à la brigade de police secours afin qu'elle procède à des contrôles d'identité de "bandes de Noirs et Nord-Africains" et à des "évictions systématiques de SDF et de Roms".
L’enquête a qualifié ces agissements de "profilage social et racial" à partir de "critères exclusivement discriminatoires liés à l’apparence physique, l’origine, l’ethnie ou la race, ou encore la particulière vulnérabilité économique". La préfecture de police ayant justifié l’éviction des personnes Roms comme utile à la lutte contre la délinquance, le Défenseur des droits a demandé l’inspection des commissariats parisiens pour évaluer l’étendue de ces pratiques et a recommandé d’intégrer au code de procédure pénale le fait que les contrôles d’identité ne doivent pas se fonder sur des critères discriminatoires.
Dans le contexte actuel de tensions, le Défenseur des droits écrivait il y a quelques jours sur Twitter : "J'ai reconnu récemment une discrimination systémique parce qu'il y avait en place un système de contrôles discriminatoires dans un quartier parisien, mais ça ne veut pas dire que systématiquement la police discrimine."
J'ai reconnu récemment une discrimination systémique parce qu'il y avait en place un système de contrôles discriminatoires dans un quartier parisien à l'égard d'un groupe de jeunes, mais ça ne veut pas dire que systématiquement la police discrimine.
— Défenseur des droits (@Defenseurdroits) June 4, 2020
Les contrôles discriminatoires sont une réalité sociologique en France : les jeunes hommes "perçus comme noirs ou arabes" ont 20 fois plus de chances d'être contrôlés que les autres. Ce sujet a fait l'objet d'une enquête détaillée en 2016. Dans son rapport, Jacques Toubon, insiste sur la nécessité de "mettre en place une traçabilité permettant d’évaluer la façon dont les contrôles d’identité sont mis en œuvre ainsi que leur utilité".
"On a dit ce n'est pas la peine de faire le récépissé comme cela avait été promis en 2012, mais il faut la traçabilité des contrôles d'identité. Il ne faut pas que ce soit ni vu ni connu", a également déclaré sur France Inter Jacques Toubon lundi.
Il faut mettre dans le Code de procédure pénale, notamment, les règles de non-discrimination. Je ne vois pas pourquoi il n'y a pas de consensus autour de tout ça.
Jacques Toubonà France Inter
"Pourquoi est-ce qu'on connaît à l'unité près les contrôles qui ont été faits sur les attestations dérogatoires au confinement ? Et pourquoi est-ce qu'on ne connaît pas, on ne trace pas les contrôles d'identité dans la vie courante ?", s'est étonné le Défenseur des droits, "c'est une question vraiment que je pose".
Instaurer une traçabilité des contrôles, "ce serait bien entendu servir les citoyens, les potentielles victimes. Mais ce serait surtout donner de la sécurité juridique et de la force aux policiers", a souligné Jacques Toubon. "À partir du moment où ils sont traçables, il faut qu'ils respectent un certain nombre de règles", a-t-il conclu.
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