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Reportage "Entre ici et le commissariat, ils vont s'en prendre plein la face" : on a suivi des futurs policiers pendant une journée de formation

A Reims, de futurs policiers se préparent à faire un métier difficile et risqué malgré la vocation qui les anime. Franceinfo a passé une journée en immersion dans une école de police, où formateurs comme élèves sont conscients que l'apprentissage ne remplacera jamais la réalité du terrain.

Article rédigé par franceinfo, Paolo Philippe
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Des futurs policiers lors d'un entraînement à l'école de police de Reims (Marne), le 23 juin 2021. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Saïd dégaine les vannes aussi vite que son pistolet. Les élèves défilent, et le formateur au tir dispense ses conseils : "Je suis face à la cible, et bim, je sors", mime-t-il en sortant l'arme de son étui. Une jeune élève manque la cible. "Tu ne serais pas myope, toi ?" Avant de tirer pour de vrai, les élèves de la 261e – on surnomme les futurs policiers par leur promotion – passent par un exercice de manipulation, avec une arme déchargée, et du tir au laser. Une heure plus tard, le SIG-Sauer SP 2022 est chargé, et les élèves, plus concentrés, équipés d'un gilet pare-balles, d'un casque anti-bruit et de lunettes de protection pour la deuxième de leurs 11 séances de tir prévues par la formation.

Les 60 élèves de la promotion, tous payés un peu plus que le smic, ont intégré l'école de police de Reims (Marne) le 7 juin. Ils en sortiront huit mois plus tard, en février 2022, pour une première affectation dans un commissariat. Depuis juin 2020, la formation de gardien de la paix comporte huit mois en école comme élève et 16 mois en commissariat en tant que stagiaire. Mais dans quelques mois, la formation repassera à 12 mois d'école, complétés par une année sur le terrain pour mieux appréhender une profession difficile.

Un entraînement au tir, le 23 juin 2021 à l'école de police de Reims (Marne). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Ces derniers temps, la succession des crises sociales mais aussi les accusations de racisme et de violences policières ont participé au désamour de la population. Pas à celui des aspirants policiers : ainsi, les élèves de la 261e promotion rejoindront bientôt les 150 000 fonctionnaires de police en poste, dont 3 000 entrent chaque année dans la profession.

"On m'a déjà dit que j'étais un traître"

Elodie, une blonde aux yeux bleus originaire de Strasbourg, est une ancienne adjointe de sécurité (ADS, un agent qui assiste les policiers) et travaille en commissariat depuis trois ans. La police et les armes, elle connaît. "Il y a beaucoup d'appréhension au début. Avec un pistolet, on peut tuer quelqu'un, ce n'est pas anodin. Mais on s'habitue à avoir une arme", dit celle qui aimerait éviter de débuter à Paris, où le métier est réputé plus difficile.

Le brigadier-chef Saïd lors d'un séance de tirs, le 23 juin 2021 à Reims (Marne). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Les premières années, les conditions de travail, la réputation de la profession, les assassinats de policiers… La police est un métier à part. Pourtant, Elodie veut se "sentir utile" et se voit bien faire ça "toute sa vie", en commençant par du police-secours, le 17, avant d'intégrer la brigade des mineurs. "J'ai eu le déclic en quatrième, en regardant un reportage à la télé", dit celle qui avait entamé un CAP Petite Enfance après avoir loupé l'oral de l'école de police à deux reprises. "Mes parents auraient préféré que je fasse un autre métier. On voit des policiers tués, et ma mère n'est pas rassurée, elle se dit qu'on est des cibles."

A l'école, le risque n'est pas tabou. "On en parle entre nous (des assassinats de policiers), on échange sur ce qu'on ressent mais personnellement, ça renforce ma vocation", dit Randy, un grand gaillard de la 259e promotion qui a passé cinq ans comme ADS au centre de rétention de Mesnil-Amelot, près de l'aéroport de Roissy (Seine-et-Marne), avant de passer le concours de gardien de la paix, comme près de 20 000 candidats en 2020 (pour 3 592 admis). "Ça m'a fait gagner en maturité." Et d'ajouter, entre deux bouffées de cigarette : "On m'a déjà dit que j'étais un traître, un vendu, mais avec le temps, on s'y fait et on se façonne une carapace. Le soir, tu déposes ta tenue et tu es un humain comme les autres."

Randy, 26 ans, connaîtra bientôt sa première affectation. Le 9 août, il sera en poste dans un commissariat parisien. Le début d'une carrière en même temps qu'une plongée dans l'inconnu. "On aura davantage de responsabilités, j'ai l'appréhension de la façont dont ça va se passer, de comment seront les collègues et les gens. L'ordinaire du policier, c'est l'extraordinaire des citoyens. Et à Paris, on dit que c'est une police dans la police. Je me sens prêt, mais j'appréhende." 

"Ils n'ont jamais vu un cadavre"

Julien, formateur généraliste à l'école de police de Reims depuis quelques années, voit passer de nombreux élèves, dont certains n'ont pas 20 ans. Il concède que la formation ne préparera jamais totalement à la réalité du terrain. 

"Dehors, ce n'est pas évident. Moralement, mentalement, c'est dur. La plupart des élèves, quand ils arrivent ici, n'ont jamais vu un cadavre."

Julien, formateur à l'école de police de Reims

à franceinfo

Ce jour-là, son cours consiste à "identifier le principe de la classification tripartite des infractions et de ses conséquences judiciaires", un nom barbare pour évoquer les contraventions, les délits et les crimes. Et il ne doit pas traîner. Depuis juin 2020, la formation à l'école de police est passée de 12 à huit mois, une durée critiquée et qui sera prochainement rallongée de quatre mois, comme l'a annoncé Gérard Darmanin en avril. "Je vais à l'essentiel, et je fais ça en deux heures, alors qu'avant, j'avais une heure de plus. Avec le passage à huit mois, des cours ont été retirés, explique Julien. On fait moins de DCPO (développement de la condition physique opérationnelle) parce qu'on ne peut pas tailler dans les cours de légitime défense ou de maniement des armes."

Un cours théorique à l'école de police de Reims (Marne), le 23 juin 2021. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

De l'aveu même du directeur de l'école, Jean-Yves Frère, les jeunes s'apprêtent, il est vrai, à évoluer dans "un environnement difficile". "Etre policier, ce n'est pas simple, et c'est ce qui donne la noblesse au métier." Sont-ils suffisamment formés à cette profession particulière ? "On les sensibilise au fait que ce n'est pas le monde des Bisounours, on n'en fait pas des robots, mais des gens avec de l'analyse", ajoute son collègue Thomas, brigadier-chef en charge des formateurs de l'école. Tous deux font partie de l'état-major de l'école. A leur passage, les élèves se mettent au garde-à-vous, respect de la hiérarchie oblige.

La durée de la formation des policiers, autant que le niveau, est un débat récurrent dans le milieu. "On peut faire six, huit, dix mois, il faut voir ce qu'il y a autour, relativise Jean-Yves Frère. La formation évolue, mais en réalité, elle dure 24 mois." Et son collègue Thomas d'ajouter : "Je ne suis pas sûr que le niveau baisse, en revanche on attend beaucoup plus des jeunes qui sortent." 

Et le contraste avec la réalité du terrain peut en surprendre certains. "Entre ce qui se passe ici et au commissariat, ils vont s'en prendre plein la face. La plupart en sont conscients, mais certains qui n'ont pas été ADS ne le savent pas, et ils vont comprendre", juge le formateur généraliste Julien. Pour Marina, la psychologue de l'école, "personne n'est jamais prêt à faire ce métier". "A l'école, on leur donne une boîte à outils, on les prévient des difficultés, on les prépare au mieux, mais les situations sont toujours imprévisibles."

"Hendeks", pavés en mousse et "Koh-Lanta"

Retour à la pratique. La 259e promo perfectionne le bloc TIQS, pour Technique d'intervention en quartiers sensibles. Le scénario est simple : la police est appelée pour aider des pompiers à éteindre un feu dans un bloc d'immeubles, face à des jeunes un brin énervés. Casque, bouclier, LBD... Certains élèves jouent des policiers équipés en CRS de la tête au pied, d'autres des jeunes qui crient "arha" et "y'a les hendeks qui arrivent" en se marrant, tandis que les derniers sont les observateurs, dont Randy, impassible derrière sa casquette et son masque ciglés "police".

La simulation dure un gros quart d'heure. La police avance derrière un bouclier, les jeunes en chasubles répondent en balançant des balles de tennis et des pavés en mousse. Lancers de projectiles, fumigènes en réponse et grosses rigolades. "Demain, ça sera des lacrymos", prévient un formateur. L'entraînement est filmé, et toute la promotion débriefera ensuite en classe.

Randy, Elodie et Martin, le 23 juin 2021 à l'école de police de Reims (Marne). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Martin (à droite sur la photo) joue le rôle d'un jeune. Vêtu d'une chasuble jaune et de lunettes de protection, il lance des pavés en mousse, des balles de tennis et simule une émeute. Le jeune homme tatoué, au physique de judoka et aux muscles saillants, aime quand ça bouge. Un poste dans un bureau ? Très peu pour lui. Ce meusien d'origine est fils de policier et se voit bien au Raid, qu'il a vu "comme tous les mecs pendant les attentats de 2015" ou à la BAC [brigade anti-criminalité]. A 23 ans, son expérience dans la police se résume pour l'instant à un stage de trois semaines à Nancy, une ville où il a fait ses études d'italien, quand il "s'interrogeait sur le métier". "On sait à quoi on est confrontés. Ce n'est pas un métier simple, on prend des risques et on sait qu'on doit être discrets sur les réseaux sociaux. On est policier 24 heures sur 24."

"Redorer l'image" de la police

Les réseaux sociaux, la lutte contre l'homophobie et les discriminations, la place de la police dans les médias... L'école regarde la société et tente de s'y adapter. Les violences policières, pourtant, ne font pas l'objet d'un atelier particulier. Elles sont seulement évoquées au sein des cours de déontologie policière. "On traite de ça en permanence, ce n'est pas tabou, mais on n'est pas là pour faire un cas pratique d'un fait médiatisé", explique le directeur. "Il n'y a pas un jour où on ne parle pas de la déontologie policière", assure le brigadier-chef Thomas en complétant : "La meilleure manière de faire taire les critiques, c'est de bien faire son boulot." 

Interrogé sur la réputation de la police et la thématique des violences policières, Martin pense que les "violences policières institutionnelles n'existent pas". "Il y a des violences isolées, des collègues qui déconnent et qui doivent être punis", précise celui qui veut "redorer l'image" de la police et "faire au mieux le métier". Il sera bientôt lancé dans le grand bain. Le 9 août, il sera en poste dans un commissariat parisien. "Je me sens prêt, et je suis pressé de voir la réalité du terrain."

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