Refus d'obtempérer : pourquoi les tirs mortels de policiers sont-ils en hausse ?
Cette année, neuf personnes sont mortes après un tir d'immobilisation de leur véhicule, contre quatre en 2021. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette augmentation.
En moins de 24 heures, deux automobilistes ont été tués, à Rennes (Ille-et-Vilaine) dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 septembre, et Nice (Alpes-Maritimes), mercredi 7 septembre, lors d'un refus d'obtemptérer, à la suite d'un contrôle routier. Cela porte à neuf le nombre de personnes mortes cette année après un tir d'immobilisation de leur véhicule, contre quatre en 2021, selon les rapports de l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) et l'IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale).
Changement de la loi, hausse des contrôles, évolution des rapports police-population... Observateurs et professionnels mettent en avant plusieurs facteurs pour expliquer cette hausse des tirs policiers contre des véhicules en mouvement. Franceinfo les a recensés.
Un changement de la loi sur l'usage des armes à feu par les policiers
En 2017, la loi a modifié les conditions d'ouverture du feu par les policiers. Ils étaient jusqu'alors soumis au Code pénal et aux principes de la légitime défense, comme tout citoyen. L'article L435-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) prévoit désormais qu'ils peuvent tirer en cas de refus d'obtempérer s'ils ne peuvent stopper la voiture autrement que par l'usage des armes et si, dans sa fuite, le conducteur est "susceptible de perpétrer (...) des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".
Selon l'IGPN, le nombre de tirs contre des véhicules en mouvement a augmenté en 2017 de près de 47% par rapport à 2016, avant de diminuer les années suivantes, tout en restant au-dessus du nombre de tirs observés chaque année avant la promulgation de ce texte. En cause, selon Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions de police et de sécurité, le "flou" qui entoure l'article L435-1. Désormais, "en gros, un policier peut tirer si, en une seconde, il est capable d'évaluer la dangerosité future du comportement d'une personne, ce qui est impossible à faire", déplore le chercheur auprès de franceinfo.
Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris, spécialiste des violences policières, estime également que cet article de loi génère une "imprécision" par rapport à la manière dont les armes peuvent être utilisées, en se reposant sur "une part d'appréciation des fonctionnaires". Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, ne l'entend pas ainsi. Il juge cette nouvelle doctrine "adaptée" et a estimé jeudi sur franceinfo que la police française ne dégainait "absolument pas" trop rapidement.
Une augmentation du nombre de refus d'obtempérer
Si les refus d'obtempérer représentent environ 5% des délits routiers, ils ont été en constante augmentation pendant plusieurs années. Selon les chiffres compilés par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr) (PDF), la hausse est de 46,6% entre 2010 et 2019. Le nombre de refus d'obtempérer en zone police et gendarmerie s'élevait à 26 320 en 2021, contre 25 871 en 2020 et 25 599 en 2019, selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur.
Pour les représentants de la profession, cette augmentation globale engendre proportionnellement davantage de risques d'"issues dramatiques" si "l'individu est menaçant" et qu'il "utilise sa voiture comme une arme".
Une hausse des contrôles couplée à une augmentation des défauts de permis
La tendance haussière des refus d'obtempérer peut s'expliquer par la multiplication du nombre de contrôles routiers ces dernières années. Ceux pour dépistage de stupéfiants ont notamment explosé, passant de 67 625 en 2010 à 453 751 en 2021, selon l'Onisr. Le déploiement du test salivaire a facilité le contrôle de la consommation de cannabis au volant.
Parallèlement, la mise en place du permis à points, dans les années 1990, a pu pousser certains automobilistes à ne pas se soumettre à un contrôle de police. "Ces gens qui n'ont plus leur permis et qui doivent continuer à rouler, ne serait-ce que pour travailler, j'en ai vu un certain nombre en tant qu'avocat", confiait en juin Arié Alimi, coutumier de ce type de dossiers, à franceinfo. Un an après la mise en place du permis à points, en 1993, le nombre de refus d'obtempérer s'élevait à 1 099. Vingt ans plus tard, ce chiffre a été quasiment multiplié par trente. En 2020, les défauts de permis de conduire représentaient 20,1% des délits, soit le deuxième motif.
Autre facteur susceptible d'expliquer la hausse des refus d'obtempérer : le défaut d'assurance. Même si ce délit est plutôt en baisse dans les infractions constatées (-17% depuis 2010), près de 30 000 personnes ont été victimes en 2020 d'un accident de la route causé par un conducteur en défaut d'assurance, selon le Fonds de garantie des victimes (FGAO).
Une dégradation des rapports police-population
Pour les syndicats de police, l'augmentation des refus d'obtempérer et du risque qu'ils déclenchent un tir mortel est avant tout liée à une évolution des rapports entre les forces de l'ordre et la population. C'est un "signal très alarmant d'une mentalité qui se répand de refuser l'autorité de la police et de la justice", a tweeté le Syndicat des commissaires de la police nationale mercredi, après les morts de Rennes et de Nice.
Les refus d’obtempérer sont un fléau sécuritaire, un signal très alarmant d’une mentalité qui se répand de refuser l’autorité de la police et de la Justice. Cela va bien au delà du sentiment d’impunité. #Rennes #Nice #Police #refusdobtemperer
— Commissaires de la Police Nationale SCPN (@ScpnCommissaire) September 7, 2022
"La police tire un peu (mais pas beaucoup) plus qu'avant, parce qu'elle est exposée à une violence qui, depuis quelques années, est complètement débridée et exponentielle", liée à une crise de l'autorité et de la société, abonde auprès de franceinfo Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris spécialisé dans la défense des policiers.
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