Manifestations plus fréquentes, blessés en hausse... Comment la police parisienne réfléchit au maintien de l'ordre du futur ?
La cellule Synapse a été créée en février 2017. Son rôle est d'anticiper les différents scénarios des manifestations pour rédiger des propositions tactiques et opérationnelles.
Leur mission ? "Imaginer le maintien de l'ordre de demain." Créée administrativement en février 2017, la cellule Synapse (Synthèse, Analyse, Prospective, Stratégie et Etude) a pour objectif de mieux encadrer les manifestations et les possibles violences commises à cette occasion. Pour franceinfo, le commissaire Alexis Marsan a ouvert les portes de cette unité un peu spéciale, au troisième étage de la préfecture de police de Paris.
Six personnes – et quelques renforts extérieurs – planchent sur les stratégies et les outils pour gérer au mieux l'explosion du nombre de cortèges dans la capitale (7 500 événements l'an passé – dont 3 500 manifestations – contre 4 000 ou 5 000 il y a une dizaine d'années).
A la recherche de la meilleure stratégie
Loi Travail, Euro 2016 de football... L'année 2016 a été difficile. Au total, 511 policiers et gendarmes ont été blessés lors de missions de maintien de l'ordre, contre 150 l'année précédente. Un bilan qui nécessite donc d'évaluer quelles techniques de maintien de l'ordre sont les plus efficaces. Exemple avec les encerclements de manifestants avant interpellations, les fameuses "nasses", très souvent utilisées pour isoler les éléments jugés violents. Mais de moins en vogue : "Envoyer 200 personnes pour des vérifications d'identité n'a pas grand sens, ce n'est plus notre philosophie", explique Alexis Marsan. Ces fameuses techniques d'interpellation étaient d'ailleurs dénoncées par l'ONG Amnesty International.
Après avoir planché sur la question, Synapse préconise plutôt de restreindre le recours aux "cordons hermétiques et figés" aux "manifestations spontanées lancées sur les réseaux sociaux près d'une station de métro pour protester contre les violences policières". La cellule recommande au contraire un encerclement mobile, quand un groupe "de type 'black block' se sépare du cortège" officiel pour le perturber. Plus question, donc, de bloquer dans une nasse les têtes de cortège parfois violentes. Car "en bloquant 2 000 personnes, on en bloque 80 000", décrypte le commissaire.
Pour ne pas ajouter de tension, Synapse déconseille également de suréquiper les agents au départ des cortèges, quand celui-ci n'est pas jugé sensible. "Nous avons également remarqué que nous étions très offensifs lors des dispersions de manifestations", ajoute Alexis Marsan, qui préconise désormais davantage de souplesse. L'infiltration des cortèges violents par des agents en civil est également déconseillée, contrairement au recours aux officiers de liaison auprès des syndicats et des organisations politiques. Enfin, la préfecture de police abandonne peu à peu le filtrage des accès au cortège, qui nécessite de "tenir" la manifestation du début à la fin.
"Contre-communication" contre "riot-porn"
"Nous sommes allés à Hambourg (Allemagne), cet été, où se déroulait le G20", explique Maxence Creusat, commissaire attaché à l'état-major, autre fondateur de la cellule. "Là-bas, en Italie ou chez nous, l'action des black blocks est très codifiée, détaille Maxence Creusat, avec des masques et des banderoles renforcées, qui font office de boucliers". Difficile de prévoir le comportement des "nébuleuses" prêtes à en découdre. "Ce sont des groupes durs, denses. Vingt minutes avant le début du cortège, je ne peux pas savoir s'ils seront 100, 50 ou 300", explique Maxence Creusat.
"Le maintien de l'ordre a évolué avec la reconstitution de la mouvance radicale ou autonome, mais aussi avec les images diffusées sur les réseaux sociaux – le 'riot-porn'", explique encore le commissaire Alexis Marsan. Il planche sur des outils de "contre-communication". Et s'il est prématuré d'imaginer la police émettre des images en direct sur Periscope, d'autres solutions sont envisagées pour informer le gros des manifestants, comme des haut-parleurs tout au long du cortège, voire de grands panneaux – "mais le risque, c'est qu'ils soient pris pour cible".
Pour l'heure, pas d'hologramme ou de nouvelles technologies en vue. Même si la cellule Synapse confirme s'interesser aux salons de défense, elle assure que le maintien de l'ordre est une affaire "assez rustique" : "Nous n'avons pas la matraque magique, l'outil à sommation magique, le mode d'information magique."
"Le cadre juridique ne doit pas être figé"
Quid de ces marqueurs chimiques, qui permettent de confondre un manifestant violent plusieurs jours après les faits ? "Nous travaillons dessus mais il y a le risque d'inonder la foule et d'individualiser les personnes. A moins, peut-être, de trouver le bon propulseur." Quid encore des drones ? "S'ils tombent sur la tête d'un manifestant, cela pose la question de la responsabilité du préfet, répond Alexis Marsan. Mais à l'avenir, peut-être aurons-nous des drones qui peuvent filmer à 45 degrés, positionnés suffisamment loin du cortège pour éviter les accidents."
La culture du maintien de l'ordre évolue au fil des ans. Sauf en cas d'urgence, la police privilégie désormais la "judiciarisation de l'ordre public" aux interpellations, avec des enquêtes réalisées pendant et après les faits. "Aujourd'hui, pendant les manifestations, nous travaillons sur de l'ADN, avec le renfort de la police technique et scientique." Mais Synapse aimerait aller plus loin. "Le cadre juridique ne doit pas être figé. Il faut que le droit soit un outil pour nous." La cellule veut formuler des propositions en ce sens au préfet, afin qu'il les transmettent au ministère de l'Intérieur et, au final, influencer les projets de lois. Sur ce point, motus et bouche cousue.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.