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Mort de la petite Vanille : droit de visite élargi, alerte enlèvement tardive… Y a-t-il eu des dysfonctionnements dans cette affaire ?

Selon le parquet, rien ne laissait présager un tel passage à l'acte de la part de la mère, qui a expliqué avoir prémédité l'assassinat de sa fille. 

Article rédigé par Guillemette Jeannot, Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le centre maternel où Nathalie Stephan et sa fille Vanille étaient hébergées, à Angers (Maine-et-Loire), le 9 février 2020.  (MAXPPP)

Elle a reconnu avoir prémédité son geste. La mère de la petite Vanille, Nathalie Stephan, a été mise en examen pour "meurtre sur mineur de 15 ans" et placée en détention provisoire à l'issue de sa garde à vue, mardi 11 février. Cette femme de 39 ans a tué sa fille, vendredi, le jour de son premier anniversaire. Y a-t-il eu des dysfonctionnements institutionnels, tant dans les modalités des droits de visite octroyés à cette mère souffrant de problèmes psychiatriques que dans le déclenchement de l'alerte enlèvement pour retrouver la fillette ? Si la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a estimé sur franceinfo qu'il était "à ce stade" "trop prématuré pour le dire", les interrogations sont nombreuses. 

"Il n'y a eu absolument pas de négligence de l'ASE [aide sociale à l'enfance], je suis formel", a martelé le président du département du Maine-et-Loire, Christian Gillet, lors d'une conférence de presse aux côtés du procureur Eric Bouillard, lundi. L'élu a déroulé la vie de cette mère infanticide, évoquant un "parcours très particulier". Issue d'une fratrie de trois enfants, Nathalie Stephan a grandi à Angers au milieu de deux frères et de parents handicapés, "sourds et muets""A la suite de problèmes familiaux", elle est placée à l'âge de 16 ans dans les services de l'ASE, tout comme son jeune frère. Partie vivre "dans la région de Bordeaux", elle passe un CAP petite enfance et un BEP sanitaire et social. "Elle a d'ailleurs travaillé dans des crèches, des écoles et des centres de loisirs lorsqu'elle avait 25 ans", déroule Christian Gillet.

Isolée et suivie sur le plan psychiatrique 

En couple pendant une dizaine d'années, entre 2003 et 2014, elle donne naissance à une première petite fille en 2008, Ilona. Six ans plus tard, elle quitte le domicile conjugal pour mener une vie d'errance dans le sud de la France, logeant dans sa voiture, avant de revenir à Angers, enceinte de Vanille. La garde de son premier enfant a été confiée à son père. Celui de Vanille ignore son existence. Nathalie Stephan est accueillie dans un centre maternel, un foyer pour femmes enceintes et mères isolées. Elle accouche de Vanille le 7 février 2019. L'enfant est rapidement placée par un juge des enfants dans un foyer d'accueil qui dépend du centre maternel. 

Nathalie Stephan dispose cependant d'un droit de visite d'"une demie journée et une nuit par semaine".  Elle fait par ailleurs l'objet d'un suivi psychiatrique, prend des médicaments – "un traitement qui n'est pas anodin", selon le procureur – et se rend "deux fois par semaine dans un centre médico-psychologique". Elle s'est décrite elle-même comme "bordeline" pendant sa garde à vue. Mais "aucun nom n'a encore été posé sur sa maladie", selon le magistrat, qui précise que "ce sera tout le rôle de l'expertise""Elle avait des troubles psychiatriques qui mettaient en danger l'enfant s'il était resté toujours avec sa maman", concède Christian Gillet. 

Pas de "signe d'un futur passage à l'acte" 

Malgré tout, ses droits de visite sont élargis par le juge des enfants. Au vu de son état de santé mentale, auraient-ils dû être limités à des visites médiatisées ou en présence d'un tiers ? "Si vous devez trouver un tiers pour encadrer tous les droits de visite de toutes les personnes qui, à un moment ou un autre, se sont trouvées en situation d'alcoolisme, de dépression ou d'usage de stupéfiants, vous vous rendez bien compte que les exigences posées par ceux qui font ce type de commentaires sont absolument irréalisables", s'insurge le procureur Eric Bouillard. 

"Chaque cas est particulier. Le principe n'est pas de dire qu'un parent qui souffre d'une pathologie psychiatrique ne peut pas voir son enfant ou avoir de lien avec lui, surtout s'il bénéficie de soins", observe Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature et juge des enfants à Paris. "Son état s'améliorait régulièrement", fait valoir de son côté Christian Gillet, qui dépeint malgré tout une femme au "tempérament assez isolé", sans amis, qui ne voyait plus ses parents ni ses frères depuis vingt ans. 

Il nous apparaît plutôt que c'est une maman en souffrance, elle n'a jamais fait, à l'inverse, souffrir son enfant.

Carol Dugast, vice-procureure de la République d'Angers

lors d'une conférence de presse

Aucune violence n'a en effet jamais été constatée sur Vanille. "Les seuls signes qui pouvaient laisser penser à un danger pour elle, c'est le suivi psychiatrique de la mère et un retard sur un droit de visite, deux fois, concernant la demi-sœur aînée de Vanille", aujourd'hui âgée de 11 ans, indique le procureur. Un événement assez ancien. "La première fois, la maman avait été retrouvée dans un café, et la deuxième fois prostrée au sein même de l'établissement où elle devait ramener l'enfant. A aucun moment elle n'avait essayé de s'en prendre à elle." Insuffisant, selon le magistrat, pour "interdire à vie à une mère de voir son enfant". Et pour y voir le "signe d'un futur passage à l'acte sur Vanille"

La question centrale de l'hébergement

La question de l'hébergement de Nathalie Stephan semble avoir été centrale dans ce drame. Dès le mois d'avril, le centre maternel l'informe qu'elle va devoir quitter les lieux et l'oriente vers un Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO). Les centres maternels prévoient généralement une durée de séjour de six mois renouvelable, avec un maximum de trois ans. Mais, comme l'a souligné le président du département, le nombre de demandes à Angers est très important et il est préconisé de limiter l'accueil aux quatre mois de l'enfant. A l'approche de son départ, Nathalie Stephan "décompense et avale des médicaments", écrit Le Parisien. Son séjour est donc prolongé "à titre exceptionnel".

Nathalie Stephan a dit devant les enquêteurs avoir appris le 3 décembre que son départ était définitivement fixé au 10 février. A partir de cette date, "elle a décidé, par divers moyens, (...) de donner la mort à son enfant", indique Eric Bouillard. Mais "entre le 3 décembre et le 7 février, aucun signe ne nous permettait de penser que ce passage à l'acte était envisagé par la maman, au contraire. Les éducateurs décrivent une évolution positive d'une maman qui s'investissait de plus en plus dans le lien (...) et qui avait rassuré les personnes qui l'encadraient", soutient le magistrat. Selon lui, "la maman avait prévu un plan, a caché ce plan et a dissimulé aussi sa situation réelle", une "situation de désœuvrement complet, d'isolement complet et de refus aussi de son départ du centre maternel". Elle avait même signalé avoir trouvé "un hébergement" chez une amie. 

Cette semaine du 7 février, jour anniversaire de Vanille, Nathalie Stephan bénéficiait de 48 heures avec sa fille. "Ce temps entre la maman et l'enfant est aménagé très librement jusqu'au moment où la mère doit revenir au foyer", souligne Eric Bouillard. 

Il y a une zone de liberté dans laquelle on doit pouvoir essayer de restaurer des liens entre la mère et l'enfant. Dans cette zone-là, il n'arrive que très, très peu de drames. Mais ce jour-là, il est arrivé un drame.

Eric Bouillard, procureur de la République d'Angers

lors d'une conférence de presse

Le magistrat le martèle : "Nul ne pouvait prédire une telle issue." Un avis loin d'être partagé par certains spécialistes de la protection de l'enfance. "A quoi ça sert d'entretenir artificiellement un lien entre une enfant et une mère qui n'est pas en état de s'en occuper ? (...) Les services sociaux sont nourris de cette idée angélique que la réussite, c'est une famille unie. (...) Il faut arrêter avec cette idéologie des liens du sang", pointe dans Le Parisien Françoise Laborde, journaliste et coautrice du Massacre des innocents, les oubliés de la République.

"La loi de 2007 demande de privilégier le maintien à domicile et le maintien du lien avec les parents", confirme Lucille Rouet. "Nous faisons toujours notre travail en relation avec l'autorité parentale quand elle est maintenue [ce qui était le cas pour Nathalie Stephan]. On rencontre le bébé dans son environnement et c'est toujours avec l'accord du parent", appuie Jean Malka, chef du pôle de pédopsychiatrie du Centre de santé mentale angevin (Césame).

Plus de 24 heures entre la disparition et l'alerte

"Alors que le Code civil est fondé sur l'individu et que la justice des mineurs est centrée sur l'enfant, l'appareil exécutif met en avant la famille"expliquait à franceinfo Michèle Becquemin, chercheuse spécialiste de la protection de l'enfance à l'université Paris 12, au moment du procès des parents de Marina, cette petite fille morte de maltraitance en 2009. "Les premiers éducateurs sont les parents. Et on considère a priori que tout parent est bon", confirmait un travailleur social. 

Le vendredi 7 février, Nathalie Stephan "étouffe sa fille avec du scotch" en début d'après-midi dans un parc angevin, avant de déposer le corps dans une benne à vêtements. Le centre maternel ne la voit pas revenir, comme prévu, à 17h30. Mais l'alerte enlèvement n'est déclenchée que le lendemain à 22 heures passées. "Un délai adapté aux circonstances de cet évènement, selon la vice-procureure Carol Dugast. Nous avons une maman qui a priori ne présentait pas, le jour où elle est partie avec son enfant, de danger particulier." 

Ce délai de plus de 24 heures dans le déclenchement d'une alerte enlèvement n'est pas une première. Comme le rappelle BFMTV, cela avait été le cas lors de l'enlèvement d'un petit garçon par son père en 2017. Disparu le jeudi, il avait été retrouvé sain et sauf le samedi matin. Dans le cas de Vanille, le plan "alerte enlèvement" a débouché sur "un échec" pour la première fois depuis sa création. C'est un mot laissé dans l'appartement de Nathalie Stephan au centre maternel qui a finalement inquiété les autorités. Elle y avait écrit : "Vanille, Ilona, maman vous aime." 

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