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Récit Comment le meurtre de Mireille Knoll a été érigé en symbole politique à peine l'enquête débutée

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10 min
Un badge avec la photo de Mireille Knoll, accroché devant son domicile parisien, le 28 mars 2018.  (AFP / FRANCEINFO)

L'octogénaire juive, tuée par deux jeunes hommes au passé de délinquants, est devenue en quelques jours l'image de la lutte contre l'antisémitisme en France. Pour l'instant, les éléments en possession de la justice sont parcellaires.  

Dans le vaste cimetière battu par le vent et la pluie, un petit groupe attend. Mireille Knoll, 85 ans, doit être inhumée à Bagneux (Hauts-de-Seine) ce mercredi 28 mars en début d'après-midi. Ses proches pleurent une mère, une grand-mère et une amie. Mais aussi une femme de confession juive, tuée dans son appartement parisien cinq jours plus tôt. Cet événement a transformé le drame familial en affaire d'Etat. Le président de la République en personne, kippa sur la tête, se fraie un passage pour venir manifester son soutien aux fils de la défunte. Un invité de marque pour cette cérémonie privée qui se déroule à l'abri du regard des médias, massés à l'extérieur.  

Le matin même, le chef de l'Etat s'est recueilli devant un autre cercueil. Celui du colonel Arnaud Beltrame, tué à Trèbes (Aude) par un terroriste islamiste, le même jour que Mireille Knoll, vendredi 23 mars. Pour Emmanuel Macron, ce gendarme et cette grand-mère juive ont été victimes d'un même mal, un "obscurantisme barbare (qui) nie la valeur que nous donnons à la vie".

Le président Emmanuel Macron aux obsèques de Mireille Knoll, à Bagneux (Hauts-de-Seine), le 28 mars 2018.  (CHRISTOPHE ENA / AP / SIPA)

"Pas du tout" radicalisé

A ce stade des investigations, les deux événements, qui se sont déroulés à 800 kilomètres l'un de l'autre, n'ont pourtant rien en commun. Le preneur d'otages Radouane Lakdim, qui a tué Arnaud Beltrame mais aussi trois autres personnes, était fiché S depuis 2014 et suivi par les services de renseignement pour sa radicalisation. Il s'est revendiqué de l'Etat islamique. L'homme interpellé pour le meurtre de Mireille Knoll et mis en examen dans la nuit du lundi 26 au mardi 27 mars, Yacine M., n'était pour sa part "pas du tout" radicalisé, comme l'a indiqué le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb. Pas plus que son complice présumé, Alex C., un SDF de 22 ans.

Les deux hommes se sont rencontrés en détention, alors que Yacine M. purgeait une peine de deux ans de prison, dont quatorze mois avec sursis. L'homme de 28 ans a été condamné pour avoir agressé sexuellement la fille, âgée de 12 ans, de l'aide de vie de Mireille Knoll dans l'appartement de cette dernière. Il avait déjà été incarcéré pour des faits similaires d'agression sexuelle. Sorti de prison en septembre 2017, le trentenaire avait interdiction de retourner sur les lieux. Il a pourtant été vu le jour des faits en train de boire un porto chez l'octogénaire, "amical".

Devant l'immeuble parisien où vivait Mireille Knoll, une octogénaire juive tuée le 23 mars 2018 dans son appartement.  (CATHERINE FOURNIER / FRANCE INFO)

"Elle le considérait comme un fils", explique son véritable fils, Daniel Knoll. La vieille dame, qui souffrait de la maladie de Parkinson et était en fauteuil roulant, demandait de temps à autre des services à Yacine M., comme l'indique à franceinfo Claudette, une voisine âgée de 68 ans rencontrée dans la cour de son immeuble.

Il lui rendait des services. En échange, elle lui donnait un billet car elle était très généreuse.

Claudette, une voisine de Mireille Knoll

à franceinfo

Mireille Knoll ne roulait pourtant pas sur l'or. Cette veuve, qui percevait "800 euros d'APL par mois", selon son fils, vivait depuis plus de cinquante ans dans cette résidence, comme d'autres familles juives modestes. "Il peut y avoir le vieux fantasme. Peut-être que dans cette affaire-là, on s'imaginait que la pauvre Mme Knoll détenait beaucoup d'argent", a commenté l'avocat de la famille, Gilles-William Goldnadel.

Selon les propos d'Alex C. en garde à vue, rapportés à franceinfo par une source judiciaire, Yacine M. l'aurait appelé pour lui dire qu'il y avait un bon coup à faire chez cette vieille dame, sans mentionner la religion de celle-ci. Toujours selon ce complice présumé, Yacine M., qui ne pouvait ignorer la confession de sa voisine du deuxième étage, aurait déclaré pendant la conversation précédant le passage à l'acte : "Les juifs, ils ont une bonne situation." Alex C., qui ne relie pas cette phrase aux faits commis par la suite, affirme aussi que son ancien codétenu aurait crié "Allah akbar" en portant onze coups de couteau à Mireille Knoll, avant de mettre le feu à son appartement. Son corps a été retrouvé en partie calciné.

"Pour Sarah Halimi, combien étions-nous ?"

On ignore, à ce stade, si des objets ont été dérobés, hormis un téléphone portable, rappelle France Inter. Et comment ce projet de vol a-t-il abouti à cette terrible issue ? Les enquêteurs ne sont pas encore en mesure de l'établir. Les deux mis en examen s'accusent mutuellement et n'ont pas encore été confrontés. Alex C., dont le casier judiciaire mentionne plusieurs infractions liées à des vols, n'a été interpellé que dimanche, près de l'opéra Bastille. "Il n'a été entendu que quelques heures, avant la fin de l'expiration de la garde à vue de Yacine M.", précise une source proche du dossier à franceinfo.

Les deux suspects sont poursuivis pour "homicide volontaire" et "vol", deux qualifications aggravées "à raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion". La justice a donc retenu pour l'instant le caractère antisémite du crime, mais pas la préméditation. Cela n'a pas empêché Emmanuel Macron de parler d'"assassinat". Quant au ministère de l'Intérieur Gérard Collomb, il a assuré devant l'Assemblée nationale que Yacine M. avait dit à son complice présumé : "C'est une juive, elle doit avoir de l'argent." Cette phrase ne figure sur aucun PV d'audition, corrige une source judiciaire, reconnaissant qu'"il y a eu des approximations" du côté de l'exécutif.

Au-delà du gouvernement, la classe politique s'est emparée de l'affaire à vitesse grand V, jouant des coudes pour être présente à la marche blanche organisée mercredi soir par le Crif (Conseil représentatif des Institutions juives de France). Cet appel au rassemblement en mémoire de Mireille Knoll, censé s'adresser à "l'ensemble des Français"a rapidement viré au règlement de comptes entre le Crif et La France insoumise et le Front national, qui avaient répondu présent. "La surreprésentation des antisémites, tant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite, rend ces deux partis infréquentables", a justifié Francis Kalifat, le président du Crif. 

Jean-Luc Mélenchon, dans le cortège en mémoire de Mireille Knoll, à Paris, le 28 mars 2018.  (AURELIEN MORISSARD / MAXPPP)

Déclarés persona non grata, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen se sont tout de même présentés lors de la marche, suscitant insultes et bousculades, au point que les deux responsables ont dû quitter le cortège. Corseté par des forces de sécurité aux aguets, en raison de la présence de nombreuses personnalités, dont plusieurs ministres, le défilé s'est déroulé dans une ambiance électrique, de la place de la Nation jusqu'à l'avenue Philippe-Auguste. Au milieu de la foule compacte, certains participants ont invectivé les responsables politiques : "Nous sommes nombreux mais pour Sarah Halimi, combien étions-nous ?" 

Une montée de l'antisémitisme ? 

L'écho immédiat qu'a rencontré l'affaire Mireille Knoll contraste en effet avec le traitement médiatique et politique du meurtre de Sarah Halimi, une retraitée de 65 ans, en avril 2017. A première vue, le parallèle entre ces deux dossiers est pourtant saisissant : les deux vieilles femmes juives, de condition modeste, ont été sauvagement tuées par un voisin de confession musulmane dans un immeuble HLM d'un quartier populaire de Paris. Mais dans le cas de Sarah Halimi, il a fallu plusieurs semaines pour que le fait-divers se mue en affaire d'Etat. Et ce, pour deux raisons : la France est alors en pleine campagne pour l'élection présidentielle et la justice ne retient pas, dans un premier temps, la circonstance aggravante d'antisémitisme. En cause, l'état mental du suspect, atteint d'une "bouffée délirante aiguë" ce soir-là, selon l'expertise psychiatrique. Kobili T. avait roué de coups sa victime sur le balcon, en hurlant "Allah akbar" et "J'ai tué le sheitan"  ("démon", en arabe), avant de la défenestrer. 

Il a fallu attendre près d'un an pour que les juges d'instruction retiennent finalement le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi, fin février. Un "déni" dénoncé par la communauté juive, qui se sent à nouveau frappée avec le meurtre de Mireille Knoll. "Aujourd'hui, la haine du juif par une certaine frange de la population arabo-musulmane est une réalité", avait estimé David-Olivier Kaminski, avocat de l'un des enfants de Sarah Halimi. Un an plus tard, son confrère Gilles-William Goldnadel abonde, évoquant un "antisémitisme d’origine islamiste".

"Oui, on voit au cours des différentes années, monter un antisémitisme fort", a confirmé Gérard Collomb sur France Inter. Les chiffres en la matière sont pourtant à prendre avec précaution. Statistiquement, le nombre d'actes antisémites est plutôt stable sur un an, voire en baisse sur les deux dernières années. Mais les actions les plus violentes sont orientées à la hausse. "Je ne pense pas" que la France soit antisémite, nuance le fils de Mireille Knoll. "Mais il y a des antisémites, il y a des imbéciles (...) Il y a encore des gens qui pensent que les juifs sont tous riches", ajoute-t-il.

Rattrapée par un "destin" tragique

Ces deux affaires, couplées à la vague d'attentats islamistes qui ont, en partie, visé des cibles juives, font malgré tout monter au sein de la communauté juive un sentiment d'insécurité grandissant. Une communauté qui se sent rattrapée par l'histoire et le sentiment d'être enfermée dans un "destin", comme l'expliquait le père de Jonathan Sandler, tué avec ses deux enfants par Mohamed Merah à Toulouse en 2012. La vie de Mireille Knoll – qui avait réchappé de justesse à la rafle des Juifs du Vel d'Hiv' en 1942 – semble elle aussi s'être muée en destin tragique.

Nous avions déjà souffert avec mon père qui est un ancien déporté et là, on se retrouve avec une mère assassinée. Les gens ne comprennent pas ce que c'est d'être juif.

Daniel Knoll, le fils de Mireille Knoll

sur franceinfo

"Elle a échappé aux Allemands et elle se fait tuer comme ça, par deux jeunes", souffle Myriam, 80 ans, émue aux larmes devant le 30, avenue Philippe-Auguste, où résidait la victime. Cette Parisienne de confession juive ne connaissait pas Mireille. Mais elle aussi est une enfant cachée pendant la guerre, qui a survécu au nazisme. Tout comme Hubert, 83 ans, croisé à la marche blanche. Parisien également, il songe à retirer son nom de l'interphone par crainte d'être victime d'une agression. Félix, 87 ans, qui habite le même immeuble que Mireille Knoll, est lui aussi un "orphelin de la Shoah". Mais il appelle à ne "pas faire d'amalgames" et précise qu'il intervient régulièrement dans les écoles du quartier pour porter un message de tolérance.

La porte de l'appartement de Mireille Knoll, 85 ans, au 30 avenue Philippe-Auguste, dans le 11e arrondissement de Paris, le 27 mars 2018. (CATHERINE FOURNIER / FRANCE INFO)

Avant d'être érigée en symbole de l'antisémitisme, Mireille Knoll est avant tout une grand-mère victime d'un crime odieux. Et plusieurs voix s'élèvent pour dépasser les clivages dans cette affaire, comme celle de Delphine Horvilleur, une femme rabbin : "Je rêve d'une France qui sait qu'on a assassiné sa grand-mère... et pas juste la 'mienne'. Une nation qui se lève face à l'horreur et ne présente pas ses condoléances à une 'communauté'", écrit-elle dans un message posté sur TwitterDans une déclaration sur Facebook, publiée au lendemain de la marche blanche, l'une des petites filles de Mireille Knoll ne dit pas autre chose : "Je sais que grand-mère aimait être entourée, eh bien elle a fait marcher plus de 30 000 personnes. (...) Cette histoire tragique nous a tous unis."

Mireille, tu es devenue la grand-mère de tant de personnes.

Jessica Knoll

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