Manifeste contre l'antisémitisme : le grand rabbin de France était "réticent" à une "compétition des risques" entre juifs et musulmans
Haïm Korsia, grand rabbin de France, a signé le texte, même si "tel ou tel ou mot" ne convenait pas a-t-il expliqué lundi sur franceinfo.
Le manifeste "contre le nouvel antisémitisme" publié dimanche dans le journal Le Parisien continue de faire débat. Les auteurs de cette tribune estiment que ce nouvel antisémitisme serait alimenté par la radicalisation islamiste. Haïm Korsia, grand rabbin de France, a signé le texte, même si "tel ou tel ou mot" ne convenait pas a-t-il déclaré lundi 23 avril sur franceinfo. Mais "il y avait l'intérêt de pousser un cri d'alerte, un cri d'alarme" a-t-il ajouté : il y a des mots qui sont "difficiles à entendre, difficiles à admettre, mais ils sont tragiquement vrais".
franceinfo : Dans ce manifeste, écrit par Philippe Val, ancien directeur notamment de Charlie Hebdo, et signé par 300 personnalités, il y a cette phrase "les Français juifs ont 25 fois plus de risque d'être agressés que leurs concitoyens musulmans", vous n'étiez pas vraiment d'accord avec elle ?
Haïm Korsia : Que ce soit factuellement vrai, c'est une chose. Quand on vous propose un texte il y a toujours des choses qui ne vous conviennent pas. J'avais tiqué sur deux principes : le premier, effectivement, une sorte de comparaison des risques inhérents au fait d'être juif et ceux inhérents au fait d'être musulman. À la limite on compare par rapport à l'ensemble de la population, ça me paraît cohérent. J'étais plus réticent avec le fait qu'il y ait une sorte de compétition : qui a le plus de risques ? La réalité tragique c'est qu'il y a un risque énorme que la grande partie des actes contre quelqu'un pour sa foi, sa religion, sa couleur de peau, touche les juifs. Malheureusement il y a eu des morts. La deuxième chose, c'est que je trouvais inconcevable de sommer les musulmans de transformer le Coran. J'ai poussé pour qu'on parle de contextualisation, d'interprétation plutôt que d'abrogation de tel ou tel verset. Là le mot a été changé.
Vous avez accepté de signer cet appel même si vous étiez réticent sur certains passages ?
C'est le principe quand vous arrivez sur un texte comme celui-ci. Il faut en garder l'esprit, même si tel ou tel mot ne vous convient pas, sinon on n'arrivera pas jamais à sortir un texte commun. Il y avait l'intérêt de pousser un cri d'alerte, un cri d'alarme. Et quand vous poussez un cri par nature, vous bousculez les choses. Ça bouscule ce qu'on croit et ce qu'on aimerait croire et ce qu'on aimerait espérer. Ce débat autour de la réalité d'un fait est intéressant parce qu'il va obliger la société à réfléchir sur une forme d'abandon, d'indifférence qui a consisté à dire qu'il ne se passe rien alors que c'est faux de dire qu'il ne se passe rien. Il y a un livre qui est sorti en 2002 qui s'intitulait, "Les territoires perdus de la République" qui a décrit ce qui se passe aujourd'hui et on n'a rien fait. Il est nécessaire de pousser un cri d'alarme, même si les mots peuvent être difficiles à accepter, difficiles à entendre, difficiles à admettre, mais ils sont tragiquement vrais.
Quelle peut être l'utilité de cette tribune pour lutter contre l'antisémitisme et contre l'islamophobie ?
Je pense qu'aucun racisme quel qu'il soit n'est acceptable, ni contre les juifs, ni contre les musulmans, ni contre les homosexuels, ni contre les femmes ni contre personne. Le racisme, c'est dénier l'espérance de vivre en commun, de construire un destin commun. On avait le sentiment que c'était considéré comme quasiment normal comme si c'était une sorte de tribu à payer à la modernité. On s'est dit tant qu'il n'y a pas de morts ça va, mais il y a eu des morts, il y a eu Ilan Halimi, il y a eu cette litanie insupportable de noms à rappeler, jusqu'à Mireille Knoll récemment. Il y a toujours ce sentiment de crainte.
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