Condamnation de Ratko Mladic à la prison à perpétuité : "C'était un aboutissement imprévisible il y a deux décennies"
Rémy Ourdan, grand reporter du journal "Le Monde" pendant la guerre de Yougoslavie entre 1992 et 1995, a réagi à la condamnation de l'ex-chef militaire des Serbes de Bosnie. Il souligne un moment historique.
Ratko Mladic, l'ex-chef militaire des Serbes de Bosnie pendant la guerre de 1992-1995, a été reconnu coupable mercredi 22 novembre de "génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre" par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Il a été condamné à la prison à perpétuité. Le grand reporter du journal Le Monde, Rémy Ourdan, auteur du documentaire Le Siège, a couvert le siège de Sarajevo et était aux côtés des victimes lors de l'annonce du verdict. Pour le journaliste, la condamnation de Ratko Mladic, est un moment historique.
franceinfo : Quel est votre sentiment après la condamnation de Ratko Mladic ?
Rémy Ourdan : On a un Ratko Mladic fidèle à ce qu'il a été ces dernières années, depuis son arrestation, c'est-à-dire arrogant, dans le mépris, dans l'absence totale de remords. Il a fait une sorte de cirque, de sketch devant les juges jusqu'à son expulsion de la salle. Il a entendu le début de la lecture du jugement, il n'a pas assisté au verdict final, accusant les juges de mensonges. L'autre impression, ce sont les associations de survivants qui étaient avec nous dans la petite galerie de la salle d'audience, et beaucoup plus dehors, devant le tribunal, qui attendaient ce jugement. Près de 22 ans de procédure, c'est un très très long chemin. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque. La guerre fait rage en Bosnie, Sarajevo est assiégée. Il n'y a même pas encore Srebrenica, lors du premier acte d'accusation contre Mladic. À l'époque, personne ne croit qu'il y aura un jour un tribunal qui rendra justice.
Pour ces victimes, personne n'est vraiment heureux, mais beaucoup parlaient de soulagement, d'une sorte de libération. C'était un aboutissement imprévisible il y a deux décennies.
Rémy Ourdanà franceinfo
Comment ces victimes ont-elles réagi ?
Je pense que ce sont des sentiments mêlés. On a affaire à des gens qui ont survécu un peu par miracle et qui ont perdu la plupart des membres de leur famille, donc on ne peut pas attendre des cris de joie. Je pense que la vraie satisfaction était plus du côté de l'équipe du tribunal. Ces enquêteurs qui pendant près de deux décennies ont rassemblé les preuves, se sont acharnés à poursuivre les criminels de guerre. Eux je pense qu'il y a une véritable satisfaction. Du côté des survivants et des associations de victimes, c'est plus un soulagement. Il faut se souvenir que le président de Serbie, Milosevic, a échappé au verdict, parce qu'il est mort en cellule juste avant. C'est une longue, longue, longue histoire. Cette justice internationale est encore assez naissante et assez balbutiante pour plein de conflits. Les juges ont eu des mots très durs et très clairs sur les responsabilités de Mladic.
Vous qui avez passé des semaines, des mois, dans Sarajevo, est-ce qu'on voyait déjà Ratko Mladic comme le cerveau de cette machine démoniaque ?
Bien sûr. Mladic était d'abord le commandant en titre de l'armée serbe de Bosnie. On avait déjà les preuves de son implication. Les juges ont parlé d'un enregistrement de Mladic ordonnant lui-même depuis les collines les bombardements aux artilleurs. Les radios amateurs de Sarajevo l'avaient capté et donné aux services militaires du gouvernement bosniaque qui l'avaient fait diffuser à la télé et à la radio. Les Sarajéviens en avaient bien conscience. Non seulement il était le grand commandant de toute cette guerre, mais il venait aussi lui-même sur les collines diriger les tirs.
Et Mladic, plus que tout autre personnage jugé depuis, est sans doute celui qui a du sang sur les mains.
Il a été décrit par le procureur comme l'incarnation du mal sur ce conflit. Il est entre ces politiques, Milosevic, Karadzic, qui n'ont jamais quitté leur bureau et qui n'ont pas dirigé des opérations militaires et les unités qui rafalaient, qui fusillaient, qui égorgeaient, qui détenaient des prisonniers, qui les exécutaient, qui les mettaient dans des charniers. On se souvient de Mladic séparant les hommes et les femmes à Srebrenica devant les caméras de la télé serbe, tout en offrant des bonbons aux enfants en promettant qu'il ne leur arrivera rien.
Ratko Mladic était à la fois le numéro un de l'armée et un homme qui n'hésitait pas à aller lui-même sur le terrain. On peut dire que c'est le criminel absolu du conflit d'ex-Yougoslavie.
Rémy Ourdanà franceinfo
Est-ce que vous avez eu le sentiment de vivre un moment historique aujourd'hui ?
Oui, je crois, à deux titres. Ce conflit a démarré en 1991. Je suis arrivé en 1992 à Sarajevo. Personne à l'époque n'aurait pu imaginer qu'un personnage comme Mladic puisse un jour se retrouver puni, que la justice puisse être rendue aux survivants. Je pense qu'après Nuremberg, Tokyo et la Guerre froide, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie était le premier des tribunaux internationaux. Là c'est le dernier verdict et sans doute le plus important. Le tribunal va fermer ses portes dans quelques semaines et on sait bien que la justice internationale ne fonctionne pas très bien pour l'instant. La CPI n'a pas encore de verdict très glorieux à se mettre sous la dent. Pour ceux qui croient un peu en la justice internationale, c'est un moment historique. C'est la fin du premier tribunal, et c'est une fin qui valide vraiment les enquêtes qui ont été faites et ceux qui ont cru qu'un jour justice serait rendue.
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