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En Seine-Saint-Denis, le ras-le-bol de la communauté asiatique : "Ici, tout le monde a subi au moins une agression"

Ciblée par des agressions de plus en plus violentes, la communauté asiatique de Seine-Saint-Denis alerte et déclare être à bout.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à La Courneuve et Aubervilliers
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une femme se recueille sur les lieux où Zhang Chaolin, un couturier chinois, a été mortellement agressé, le 14 août 2016 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). (DENIS MEYER / HANS LUCAS / AFP)

Tous les soirs, David, 46 ans, va chercher sa femme à l'arrêt de bus Hôtel de Ville de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Il ne veut pas la laisser seule dans le sombre passage de la Croix-Blanche qui mène à leur appartement. "Ça ne coûte rien de marcher 100 mètres. C'est mieux que d'attendre quatre heures au commissariat pour porter plainte", ironise ce Français originaire du Cambodge. Comme de nombreuses femmes asiatiques de Seine-Saint-Denis, son épouse a été victime d'une tentative de vol, il y a deux ans. "Ils étaient trois, près de l'arrêt de bus. Elle s'est accrochée à son sac, elle a été projetée au sol", raconte son mari.

La faute à des préjugés coriaces, qui avaient déjà fait des victimes dans le quartier parisien de Belleville en 2011 : les Asiatiques transporteraient beaucoup d'argent liquide, ils parleraient peu français et ne porteraient jamais plainte. "Si on était riches, on n'habiterait pas ici", tranche David, en nous guidant dans les coursives qui traversent cet imposant ensemble urbain. "Les jeunes attendent ici et là, nous explique cet informaticien, en pointant des recoins discrets. Parfois, des guetteurs les appellent depuis le tramway ou l'arrêt de bus, du genre 'attention, vous allez réceptionner des Asiatiques avec des sacs'". Depuis quelque temps, ce solide gaillard ne sort pas seul le soir ou alors avec un marteau dans la poche, au cas où.

On a parfois l'impression d'être un lapin dans la savane. Quand on sort du terrier, on regarde à droite, à gauche, s'il n'y a pas de prédateur.

David, un habitant de La Courneuve

à francetv info

Des agressions en forte augmentation

Quelques kilomètres à l'est, à Aubervilliers, une ville où vit une forte communauté chinoise, cette violence a fait un mort. Agressé le 7 août, Zhang Chaolin, un couturier de 49 ans, n'a pas survécu aux coups qu'il a reçus. Un drame qui ne surprend pas l'Association pour l'amitié chinoise en France. Dans le petit local de la rue Henri-Barbusse, de grandes photographies sont étalées sur la table. Visages tuméfiés, lèvres suturées, mains bandées, bras en écharpe... Il y a là une soixantaine de photos de victimes d'origine asiatique, agressées depuis le début de l'année. "Ici, tout le monde a subi au moins une agression", résume Qian Chen, un assureur de 29 ans. Arrivé dans la commune il y a un mois, il a subi une tentative de vol dès la deuxième semaine.

Des photos de victimes d'origine chinoise, agressées à Aubervilliers en 2016. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

A côté de lui, Zheng Jiqing, un étudiant en droit de 21 ans, a failli perdre un œil, le 15 janvier à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). "J'accompagnais ma sœur en mode escorte. Huit personnes nous suivaient, en se rapprochant de plus en plus. Je me suis retourné, j'ai pris un coup de batte dans la figure", témoigne-t-il. Aujourd'hui, il a perdu 75% de la vision de son œil gauche. "J'ai de la chance d'être encore là", commente-t-il. Selon la préfecture de Seine-Saint-Denis, les vols avec violence ont triplé en un an à Aubervilliers : 105 contre 35 sur les sept premiers mois de l'année, une augmentation qui s'explique également parce que les victimes sont davantage incitées à porter plainte.

"Bienvenue à Aubervilliers"

Face à ces violences, la communauté chinoise se sent pourtant abandonnée. "Lorsqu'on appelle la police, elle ne vient pas. Et quand les policiers viennent, ils nous disent : 'c'est normal, bienvenue à Aubervilliers'", s'agace Eric Ha, un restaurateur francilien. "Il y en a un qui m'a même dit : 'vous pouvez leur faire une prise de kung fu'", le coupe son voisin. Les longues heures d'attente nécessaires à un dépôt de plainte reviennent régulièrement dans la conversation.

La police n'est pas la seule cible de leurs critiques. "A l'endroit où M. Zhang est mort, rue des Ecoles, on avait demandé à la mairie de mettre des caméras", raconte Cao Huaqin, le président de l'Association pour l'amitié chinoise en France. Ils en veulent également à l'hôpital de Saint-Denis, où la victime a été transportée dans un premier temps. "On l'a laissé trois heures de côté, avant de faire les premiers examens. Carte vitale ou pas, c'est un être humain", s'emporte Qian Chen. Ils dénoncent enfin le "laxisme" de la justice et du gouvernement. Les quelques mesures annoncées par la mairie et la préfecture - renforcement des effectifs policiers, vidéosurveillance - ne les convainquent qu'à moitié.

Les médias et les associations ne sont pas oubliés. "Ils sont où SOS Racisme ? On est agressé, il y a un mort", tonne Eric Ha, hors de lui. Pour Limiao, un habitant de La Courneuve qui a participé aux deux manifestations à Aubervilliers, l'image des Asiatiques dans les films ou à la télévision est une partie du problème. "On a l'impression que toutes les blagues sur les Asiatiques sont permises, dit-il, en citant l'affaire des Pikachus sur France 2. Cela accentue le racisme, cela montre que tout est autorisé contre nous."

Rondes, escortes et réseaux sociaux

Alors, pour faire face, la communauté s'organise. Depuis la mort de Zhang Chaolin, deux manifestations ont été organisées et une troisième est prévue le 4 septembre, à Paris. A Aubervilliers, l'association de Cao Huaqin a mis en place des escortes autour des métros, ainsi qu'un groupe de discussion sur Wechat, le réseau social chinois. "Si quelqu'un se fait attaquer, il peut poster un appel au secours", indique Cao Huaqin. La victime est ensuite prise en charge par l'association, pour les soins et le dépôt de plainte.

A La Courneuve, les voisins de David ont pris une décision radicale, en septembre 2015, après l'agression d'une femme enceinte, rouée de coups en bas de son immeuble. Chaque soir, de 20 heures à 23h30, une vingtaine d'habitants du passage de la Croix-Blanche, en majorité asiatique, descendent passer la soirée au pied de l'immeuble, pour attendre les personnes qui rentrent tard et éviter les agressions.

On n'a pas monté une milice pour écraser les racailles, on veut juste leur montrer qu'on vit ici et qu'on veut vivre en paix.

David, un habitant de La Courneuve

à francetv info

"On se faisait caillasser"

Les débuts furent difficiles. "On se faisait caillasser, on recevait des œufs, des oignons, des bocaux en verre", raconte Limiao, 31 ans, un des habitants à l'origine de cette initiative. "Une fois, ils avaient un fusil", l'interrompt une fillette de 10 ans. "Non, c'était un mortier [un gros pétard en boule, que l'on peut propulser avec un lanceur]", sourit Limiao. Au bout d'un mois, la mairie accepte de leur prêter une salle, en bas de leur immeuble.

 

Un an après, cette présence a permis d'améliorer la situation. Ce lundi soir du mois d'août, une vingtaine de personnes d'origine asiatique papotent tranquillement dans la cour ou jouent aux cartes dans la salle. "Il y en a toujours qui viennent faire le guet, voir si on est là", explique Limiao, en montrant les vélos qui tournent à quelques mètres de là. A l'exception notable d'une violente altercation le soir du 13 juillet, à coup de feux d'artifice, les violences dans le passage de la Croix-Blanche ont diminué. "Le problème s'est déplacé, mais il n'est pas réglé", estime une habitante d'origine portugaise, qui préfère rester anonyme.

Surtout, la lassitude gagne certains des habitants, qui aimeraient bien que cette mobilisation ne soit que temporaire. "Je préférerais passer mes soirées chez moi, avec mes enfants, avoue Limiao, un peu agacé de faire "le travail de la police" en plus de son boulot de manutentionnaire à Paris. Notre présence est le symbole de leur inefficacité, alors que le commissariat n'est qu'à 100 mètres d'ici..."

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