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Drogue à Saint-Ouen : "S'en prendre aux consommateurs est la plus mauvaise des solutions"

Sénatrice écologiste du Val-de-Marne et partisane d'une légalisation contrôlée du cannabis, Esther Benbassa réagit aux annonces de Bernard Cazeneuve concernant le trafic en Seine-Saint-Denis.

Article rédigé par Vincent Matalon - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
La sénatrice EELV Esther Benbassa, le 4 avril 2015 lors d'un colloque de son parti organisé à l'Assemblée nationale, à Paris. (MAXPPP)

Lutter contre le trafic de drogue en s'en prenant aussi bien aux vendeurs qu'aux consommateurs. C'est le choix de Bernard Cazeneuve après une série d'actes violents qui ont secoué ces dernières semaines Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Jeudi 14 mai, le ministre de l'Intérieur a annoncé une opération policière de grande ampleur dans la ville, où de nombreux consommateurs franciliens viennent s'approvisionner, notamment en cannabis.

"Une fausse solution", dénonce Esther Benbassa. La sénatrice Europe Ecologie-Les Verts (EELV) du Val-de-Marne, qui milite pour un encadrement par la loi de la consommation et de la vente de cannabis, répond aux questions de francetv info.

Francetv info : Approuvez-vous l'intervention policière massive décidée par Bernard Cazeneuve à Saint-Ouen ?

Esther Benbassa : Que le ministre de l’Intérieur souhaite veiller à la sécurité des habitants de Saint-Ouen, c’est parfaitement normal. Mais ne mener qu'une politique répressive n'aboutira à rien. Bernard Cazeneuve doit regarder les statistiques en face : notre législation est l'une des plus sévères d'Europe envers les consommateurs de cannabis, et pourtant, la consommation ne cesse d'augmenter dans notre pays.

Augmenter la présence policière à Saint-Ouen ou généraliser la vidéosurveillance est une fausse solution, qui ne fera que déplacer le problème du trafic ailleurs et n'asséchera pas les mafias. Les Etats-Unis, pays pourtant bien plus conservateur que le nôtre, l'ont bien compris : certains Etats comme le Colorado ou l'Oregon ont décidé de faire preuve de pragmatisme et de se tourner vers une légalisation contrôlée du cannabis, avec de premiers résultats très positifs.

Cibler les consommateurs n'est donc, selon vous, pas une solution viable ?

C'est la plus mauvaise des solutions ! Ils continueront à s'approvisionner ailleurs, et prendront toujours les mêmes risques. Il faut que l'Etat encadre la consommation : certains consommateurs ont un usage problématique du cannabis et ont besoin d'un vrai suivi, les adolescents doivent être protégés de l'accès à ce produit pour leur éviter des problèmes sanitaires, et d'autres ont un simple usage récréatif qui n'est pas problématique. 

A quoi ressemblerait l'encadrement que vous appelez de vos vœux ?

A une légalisation contrôlée. Si nous légalisions la seule consommation, l'Etat ferait des dizaines de millions d'euros d'économies rien que sur les procédures judiciaires. Et s'il contrôlait la production et la vente dans des lieux spécialisés, il pourrait assécher les réseaux criminels et atteindre 2 milliards d'euros de recettes fiscales par an [selon l'estimation du think tank Terra Nova, dans un rapport publié en décembre ]. Au Colorado, cet argent sert à rénover les écoles et à alléger la pression fiscale. Les revenus pourraient en outre être investis dans la prévention, et des milliers d'emplois pourraient être créés.

Hélas, le gouvernement répète les mêmes erreurs que la droite dans ce domaine. Lorsque j'ai déposé une proposition de loi en ce sens au Sénat, en 2014, la ministre de la Santé ne m'a même pas répondu, alors que ce sujet la concerne directement. A la place, c'est la secrétaire d'Etat chargée des Droits des femmes qui est intervenue. Cela montre bien à quel point le gouvernement ne prend pas ce sujet au sérieux.

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