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"C’est très dur d’être confrontée à la réalité" : au premier jour de son procès, la mère de Séréna face au mal fait à sa fille

La cour d'assises de la Corrèze a commencé, lundi, à sonder la personnalité de l'accusée, Rosa-Maria Da Cruz, qui s'est exprimée pour la première fois à la barre. Elle cachait l'existence de son enfant, Séréna, 2 ans, qui a été découverte en 2013 dans le coffre d'une voiture, dans un état de santé très précaire.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Rosa-Maria Da Cruz, la mère de la petite Séréna, lors de l'ouverture de son procès à Tulle (Corrèze), le 12 novembre 2018. (GEORGES GOBET/AFP)

Elle n'a "pas lu le papier". Le filet de voix de Rosa-Maria Da Cruz se fraie un chemin jusqu'au président de la cour d'assises de la Corrèze, à Tulle, ce lundi 12 novembre. Cette femme de 50 ans, les cheveux aussi noirs que sa veste et son pantalon, vient de se voir rappeler la peine qu'elle encourt : vingt ans de prison. L'accusée, qui comparaît libre, est la mère de Séréna, devenue dans les médias "le bébé du coffre". Cette fillette a été découverte par des garagistes il y a cinq ans de cela, à Terrasson-Lavilledieu (Dordogne). Elle avait 2 ans, en paraissait à peine 1. 

>> Récit : comment la mère de Séréna a caché son bébé pendant deux ans dans le sous-sous-sol et le coffre de sa voiture

Le "papier" dont parle Rosa-Maria, c'est l'ordonnance de mise en accusation (OMA), dans laquelle on lui a notifié son renvoi devant la justice pour "violences habituelles sur mineure de 15 ans ayant entraîné une infirmité permanente". Le président, Gilles Fonrouge, vient d'en faire un résumé. "A la lecture des faits, c’est très dur d’être confrontée à la réalité, je ne m’attendais pas du tout à être confrontée au mal que je lui ai fait, c’est très dur", souffle-t-elle, avec son léger accent, dans le micro de la barre.

"Je n'avais pas envie de lire le mal que j'ai fait"

Du haut de son 1,60 m, l'accusée se fait tancer par le magistrat, entouré de ses deux assesseurs et des six jurés. "Est-ce que vous avez besoin de lire l’OMA pour réaliser l’impact de ce qu’il s'est passé ?" "Oui, Me Chassagne-Delpech m’a expliqué…" tente l'accusée. Le président la coupe : "Vous aviez bien compris qu’il y avait un syndrome autistique qui allait très certainement empêcher votre enfant d’avoir une vie normale ?" Rosa-Maria finit par acquiescer. "Peut-être que je n'avais pas envie de lire le mal que j’ai fait à Séréna."

Je regrette énormément le mal que j’ai fait à Séréna, je le regrette.

Rosa-Maria Da Cruz

devant la cour d'assises de la Corrèze

Le public et les journalistes, nombreux dans la salle, n'ignoraient pas son visage. Ni le son de sa voix. Quelques jours après la découverte de Séréna, Rosa-Maria Da Cruz avait accordé une longue interview à l'émission "Sept à huit", sur TF1. Elle y racontait comment elle avait mis au monde ce quatrième enfant clandestinement, dans une pièce de la maison familiale, à l'aube. C'était le 24 novembre 2011, il y a quasiment sept ans jour pour jour. 

"Mensonge" ou "déni de grossesse"

"Le jour de l'accouchement, je n'ai rien dit à personne, le lendemain non plus, le troisième jour non plus et ainsi de suite et ainsi de suite et ainsi de suite. Je me suis enfermée dans le mensonge, un gouffre", avait dit Rosa-Maria Da Cruz face à la caméra. Depuis, les trois associations de protection de l'enfance parties civiles dans ce procès s'accrochent à ce mot prononcé devant la France entière, "mensonge"

"Le mensonge, c’est quelque chose que l’on sait, mais que l’on cache", fait observer l'avocate de l'association La Voix de l'enfant à l'enquêtrice qui a entendu Rosa-Maria Da Cruz en garde à vue. Dès le premier jour des débats, une ligne de Magellan se dessine entre le banc des parties civiles et celui de la défense, juste en face. L'avocate de l'accusée, Chrystèle Chassagne-Delpech, soutient depuis le début que sa cliente a été victime d'un déni de grossesse, qui s'est mué en déni d'enfant. Une thèse qui permettrait d'éclairer l'attitude ambivalente de la mère avec sa fille, maintenue en vie durant deux ans.

Reste que l'avocate n'était pas là lors de la garde à vue, comme l'avocate Marie Grimaud, pour Innocence en danger, ne manque pas de le rappeler. A-t-elle soufflé cette ligne de défense à Rosa-Maria Da Cruz par la suite ? Au fur et à mesure de la journée, l'accusée, retournée s'asseoir, se recroqueville de plus en plus. Après avoir affronté la forêt d'objectifs avant l'ouverture de l'audience, elle s'applique à ne regarder qu'en direction des jurés, la tête appuyée sur sa main, les cheveux en rideau pour masquer ses expressions. Tout juste la voit-on essuyer de temps en temps ses yeux. Ligne de défense ou non, la notion de déni est apparue dès sa garde à vue, mais pour ses autres enfants.

Elle a déjà fait un déni de grossesse. Elle a laissé entendre que si elle avait accouché dans d’autres conditions pour Séréna, en plein jour, les faits se seraient passés différemment.

L'enquêtrice qui a auditionné à cinq reprises Rosa-Maria Da Cruz

devant la cour d'assises de la Corrèze

De fait, Rosa-Maria Da Cruz a accouché par surprise, en plein déjeuner de famille, de son deuxième enfant. La petite troisième est aussi arrivée après une grossesse dont elle n'a été consciente que très tardivement. A la barre, l'accusée s'approprie, tant bien que mal, ce vocabulaire d'experts : "G., je l’ai désiré, A. est né sur un déni de grossesse que j’ai accepté et E. est née sur un déni partiel. Je m’en suis rendu compte tard, mais j’ai accepté avec beaucoup d’amour ces trois enfants."

"Enfance heureuse, vie de couple normale"

Pour le reste, Rosa-Maria Da Cruz n'est pas très bavarde. Il faut tendre l'oreille pour l'entendre décrire son "enfance heureuse" en France dans une "famille de parents portugais". Elle quitte l'école en troisième, enchaîne les petits boulots saisonniers, "les pommes, les fraises, les tomates…". Puis "j’ai rencontré le papa de mes enfants. Notre vie de couple était normale, on était heureux". "Vous parlez de quelle période ?" l'interrompt le président à dessein. "Jusqu'à ce que Séréna soit découverte", parvient-il à lui faire dire. Les éléments du dossier abordés brièvement à l'audience laissent entrevoir une relation conjugale moins lisse. 

Son compagnon, Domingos Alves, n'est pas là pour donner sa version des faits. Il devait être entendu lundi soir, mais il a fait une "chute domestique" juste avant le procès. Ce maçon a toujours affirmé ignorer l'existence de Séréna et a bénéficié d'un non-lieu. Son témoignage, très attendu, devrait intervenir dans la semaine. 

La difficulté de Rosa-Maria Da Cruz à parler d'elle devant la cour corrobore en tout cas les déclarations de l'enquêtrice. Pendant la garde à vue, elle ne manifestait "pas beaucoup de sentiments. Je ne l’ai pas vue apeurée, stressée. Elle était là, mais c'était particulier." La gendarme pointe les contradictions du discours de l'accusée à l'époque. Elle pense abandonner Séréna, mais elle la garde. Elle veut qu’on la découvre, mais elle la cache. Elle dit la laver tous les jours, mais l'enfant est très sale. "Il y a de tout, effectivement", souligne habilement le président. La cour a jusqu'à vendredi pour démêler les fils et réentendre la voix ténue de Rosa-Maria Da Cruz.

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