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Agression mortelle dans le Val-de-Marne : les réseaux sociaux sont "une caisse de résonance" des phénomènes de bandes, selon un sociologue

Un adolescent de 16 ans est mort après avoir été poignardé devant son lycée lundi matin à Thiais.  

Article rédigé par franceinfo
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Une voiture de police est garée devant le lycée Guillaume Apollinaire à Thiais, après la mort d'un adolescent poignardé près de l'établissement, le 16 janvier 2023. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"Les réseaux sociaux permettent une mise en scène" des phénomènes de bandes qui voient "une caisse de résonance" pour organiser "des guet-apens", a expliqué lundi 16 janvier sur franceinfo Thomas Sauvadet, sociologue, maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil, spécialiste des bandes de jeunes et des trafics de stupéfiants dans les quartiers de la politique de la ville, après l'agression mortelle d'un adolescent de 16 ans, poignardé lundi matin devant son lycée à Thiais (Val-de-Marne) lors d'une probable rixe entre bandes rivales. "On est passé de bandes de jeunes qui jouent au macho à des bandes de jeunes qui jouent de plus en plus aux voyous", analyse Thomas Sauvadet. Souvent, "une étincelle suffit souvent à créer le conflit et la violence".

franceinfo : À Thiais, le maire et les enquêteurs évoquent une rivalité historique entre deux quartiers de Thiais et de Choisy-le-Roi, deux villes voisines. Est-ce que c'est une rivalité que vous avez documentée ?

Thomas Sauvadet : Dans les phénomènes dynamiques de bandes, c'est assez classique. On a des adolescents ou des jeunes adultes qui se regroupent dans l'espace public et qui vont revendiquer une sorte de propriété par rapport à cet espace, leur quartier, leur ville. Ils ont une dynamique d'appropriation de l'espace public, une identité liée à cet espace-là. Et ils rencontrent des jeunes qui sont dans les mêmes dynamiques, dans les mêmes processus. Et là, une étincelle suffit souvent à créer le conflit et la violence.

C'est un phénomène qui n'est pas nouveau. Mais est-ce qu'il y a aujourd'hui des éléments nouveaux que vous relevez dans ce phénomène-là, dans ces affrontements-là ?

C'est progressif depuis à peu près une trentaine d'années. On est passé de bandes de jeunes qui se réunissent dans l'espace public - qui vont jouer aux durs, jouer au macho et rencontrer d'autres bandes de jeunes qui sont dans la même dynamique, avec des bagarres qu'on pouvait avoir dans les centres commerciaux, les discothèques et les bals des fêtes du samedi soir – à, petit à petit, à des bandes de jeunes qui sont influencées par le mode de vie par les pratiques des voyous. Dans des quartiers pauvres, qui étaient des quartiers résidentiels, des cités dortoirs, on a eu depuis 30, 40 ans des générations de chômeurs. Et on a eu à côté de ça le développement de trafics, notamment le trafic de cannabis. Et on a eu des organisations délinquantes, criminelles qui se sont développées dans des quartiers résidentiels, dans des cités dortoirs qui n'avaient jamais connu auparavant ce type d'organisation délinquante et criminelle. Et les bandes de jeunes, notamment sur Vitry, Orly, Choisy - et Thiais n'est pas très loin -, les bandes de jeunes qui gravitent autour de ces organisations criminelles. Elles sont notamment sont structurées par le trafic de cannabis, avec des jeunes qui sont recrutés, fascinés par ces organisations, par les caïds du quartier.

On est passé de bandes de jeunes qui jouent au macho, à des bandes de jeunes qui jouent de plus en plus aux voyous et qui utilisent les méthodes des voyous, que ce soit par l'usage de la cagoule et des gants, de kidnappings, de séquestrations, voire même d'actes de torture. On peut être surpris parfois aujourd'hui de voir des kidnappings et des séquestrations et des actes de torture pour une centaine d'euros, là où il y a 20 ou 30 ans, ça se serait réglé à coups de poing dans une bagarre à l'ancienne.

Est-ce que c'est plus facile de jouer les voyous avec les réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux permettent une mise en scène de cette réputation de voyous qu'ils cherchent à développer. C'est une caisse de résonance. Cela rend public les humiliations, les provocations. Et puis cela aide au niveau de l'organisation, que ce soit pour diffuser des consignes, pour organiser des regroupements. Donc cela accélère les réactions et les possibilités d'organisation pour des guet-apens ou des rassemblements pour des bagarres.

Est-ce que l'appartenance à une bande reste minoritaire malgré tout ?

C'est très minoritaire. Quand on regarde les différentes bandes, cela représente à peu près 10% des garçons, des adolescents et des jeunes adultes du quartier. Donc c'est vraiment une petite minorité. L'immense majorité des autres garçons et surtout des filles évitent en permanence l'espace public de leur quartier. Ils évitent de les fréquenter ou de les croiser. Mais c'est une minorité qui est très visible, très active et masculine. On compte très peu de filles, bien que les phénomènes de bandes de filles sont réapparus à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. On en a beaucoup parlé. Il y a eu des films, des téléfilms, des enquêtes sociologiques. Il y a un retour des filles et des phénomènes de bandes de filles, mais ça reste encore très marginal.

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