Cet article date de plus d'un an.

Témoignage "18 ans après, on pense encore que la seule solution c'est de casser", dénonce Mohamed qui a participé aux émeutes de 2005

Il avait 18 ans lorsqu'il a participé aux émeutes de 2005. Aujourd'hui, que pense-t-il des violences urbaines déclenchées par la mort de Nahel, tué mardi 27 juin à Nanterre par un policier ? Témoignage.
Article rédigé par Manon Mella
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Mohamed vit depuis presque 30 ans dans le quartier La Noue-Clos français de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. (MANON MELLA / RADIOFRANCE)

Il faut marcher une vingtaine de minutes depuis la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour rejoindre le quartier La Noue-Clos français où Mohamed vit depuis presque 30 ans. C'est ici, dans ce quartier de 7 000 habitants qu'il a grandi. Et c'est ici aussi qu'il a participé aux émeutes de 2005 déclenchées par la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). 20 ans plus tard, Mohamed se souvient de ces quelques jours qui ont secoué une partie de la France.

"Un appel au secours"

L'arrêt de bus, l'instrumentarium, le centre social...Mohamed se rappelle des infrastructures visées à l'époque. "En 2005, on s'attaquait aux symboles de l'État, dit-il. On a brûlé des voitures, cassé des arrêts de bus... On a essayé de brûler un centre de sécurité sociale qui était à côté de chez nous". Dans les quartiers, "on subissait déjà pas mal d'injustices de la part de la police qui n'hésitait pas à nous frapper et l'histoire de Zyed et Bouna, ça a été la goutte de trop"", raconte celui qui avait 18 ans alors. 

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par franceinfo (@franceinfo)

Il le reconnaît désormais volontiers : ce n'était pas forcément la meilleure façon de s'exprimer, mais, à ce moment-là, la colère était trop forte. "À un moment donné, on a plus que ça. On a plus que la rage. Il faut que ça sorte. Sinon, c'est nous-mêmes qu'on consume. C'est comme un appel au secours", fait-il remarquer. Et d'ajouter que, la parole des jeunes des quartiers populaires n'est pas assez écoutée, pas assez entendue. "On aimerait bien s'exprimer avec plus de calme, mais quand on le fait, on n'est pas pris au sérieux. Il n'y a qu'une seule solution pour montrer qu'on est là".

En 2005, "ce n'était pas pareil"

Un peu plus d'une semaine après la mort de Nahel, cet adolescent tué lors d'un contrôle de police dans les Hauts-de-Seine, comment Mohamed analyse-t-il aujourd'hui les violences déclenchées par ce drame ? Que ça soit le sentiment d'être abandonnés par l'État ou d'être victimes d'injustices, sur le fond, les choses n'ont pas beaucoup évolué, estime-t-il : "L'État n'a pas changé ses manières de faire... et nous non plus. 18 ans après, on pense toujours que la seule solution, c'est de casser".

Avant, toutefois de souligner quelques différences notables entre 2005 et aujourd'hui. "Cette fois-ci, le policier a été mis en examen pour homicide volontaire. C'est déjà pas mal. Cela a peut-être permis d'en calmer quelques-uns". Dans l'affaire de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, ce n'est qu'un an après les faits, le 8 février 2007, que les deux policiers ont été mis en examen pour non-assistance à personne en danger.

C'est ici, dans ce quartier de 7 000 habitants qu'il a grandi. (MANON MELLA / RADIOFRANCE)

Et puis, en vingt ans, il y a une différence notable avec les scènes de pillages de magasins que les Français ont découverts : "Aujourd'hui, ils ont toujours les mêmes problèmes, mais ce qui change, c'est le but. Nous, en 2005, on n'avait pas pour objectif de se faire de l'argent... On était vraiment en guerre conte les forces de l'ordre. C'était la police et les symboles de l'État qui étaient visés".

Mohamed pointe du doigt les réseaux sociaux : "On était connectés en 2005, mais ce n'était pas pareil. Quand on était dehors, on n'était plus connectés. Aujourd'hui, les réseaux sociaux permettent de s'organiser, de faire des stratégies. En 2005, ça marchait par le bouche à oreille. Aujourd'hui, on voit que les jeunes sont mieux organisés".

"La banlieue pour les jeunes, c'est pire que la prison"

Aujourd'hui, à 37 ans, Mohamed constate également que la carte des émeutes s'est élargie. Si les violences déclenchées par la mort de Nahel ont surtout eu lieu dans les centres-villes, en 2005, c'était différent. "Les violences étaient essentiellement dans les quartiers. Cela se passait en bas de chez nous. C'était des terrains qu'on connaissait et ça nous permettait de nous réfugier", fait-il remarquer. 

La galerie commerciale de ce quartier de Montreuil est aujourd'hui délabrée. (MANON MELLA / RADIOFRANCE)

En ce qui concerne les réactions politiques, Mohamed note qu'il y a du mieux, en partie. "Avant, on avait Nicolas Sarkozy qui parlait de 'nettoyer les cités au Kärcher'. Il y avait des surenchères. On sentait vraiment une sorte de climat de guerre. Aujourd'hui, la communication a un peu changé", avant de souligner que certaines réactions politiques l'interpellent : "Quand j'entends le préfet [de l'Hérault] dire qu'il faut mettre 'deux claques et au lit' aux enfants, c'est grave. C'est un gardien de la loi qui dit ça !"

Et quand on lui parle d'avenir, Mohamed n'ose pas répondre tout de suite, par peur d'être trop pessimiste. Père d'un garçon de six ans et d'une fille de deux ans, il raconte son inquiétude : "J'ai peur de l'avenir pour mes enfants. Surtout pour mon garçon. J'ai peur qu'il soit victime de la police. J'ai peur qu'il participe à des émeutes". Mais il s'accroche à un souhait : que ses enfants sortent de la banlieue. "Il faut espérer quitter la banlieue. Sinon, ils vont se retrouver dans le même état que moi à être ici, 30 ans après. Et ça, pour les jeunes, c'est pire que la prison, pire que la mort, pire que tout".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.