: Reportage "On ne s’arrêtera pas tant que la rentrée ne sera pas assurée" : à La Verrière, un été de chantier après la destruction de deux écoles lors des émeutes
Dans la cour de récréation de l'école élémentaire dévastée par les flammes, les cendres se mêlent aux traits colorés de la marelle tracée au sol. Une odeur de brûlé flotte encore dans l'air. L'établissement, situé à La Verrière (Yvelines), a été incendié dans la nuit du 28 au 29 juin, au cours des émeutes déclenchées par la mort du jeune Nahel lors d'un contrôle de police à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 27 juin. "Quand j'ai vu l'état de l'école, je me suis effondrée", confie Adélaïde Lopes, adjointe au maire chargée de l'Education. "C'est très calme ici, l'ambiance y est familiale et tout le monde se connaît."
"Ici", c'est le quartier prioritaire du Bois-de-l'Etang, situé dans cette ville de 6 000 habitants du sud-ouest de la banlieue parisienne. Au pied des barres d'immeubles se nichent deux écoles, maternelle et élémentaire, usées par le temps. Seule la seconde a été réduite en cendres, mais un autre établissement situé à quelques minutes, la maternelle des Noës, a, lui aussi, été incendié. En une nuit, près de 280 élèves ont perdu leurs salles de classe. "Une information judiciaire a été ouverte contre X pour destruction par substance incendiaire en bande organisée", précise à franceinfo la procureure de Versailles, Maryvonne Caillibotte.
Au lendemain des incendies, l'équipe municipale s'est activée, dès 7 heures du matin. Une cellule d'accueil a été installée dans le gymnase voisin et des psychologues ont vite été dépêchés sur place. "Les enseignantes étaient très affectées, les enfants aussi", se souvient Adélaïde Lopes, infirmière de profession.
"Des élèves pensaient que leur maîtresse avait brûlé, d'autres pleuraient pour récupérer leur trousse ou leur doudou… Ça a été un vrai traumatisme."
Adélaïde Lopes, adjointe au maire chargée de l'Educationà franceinfo
L'année scolaire n'étant pas terminée, il fallait trouver une solution en urgence. "Les élèves du primaire ont continué les cours dans la Maison des ados, à une dizaine de minutes du quartier, les jours qui ont suivi, poursuit l'adjointe. Les maîtresses voulaient qu'ils terminent l'année pour ne pas rester sur 'notre école a brûlé'."
Les établissements détruits peuvent-ils être remis en état d'ici septembre ? "Impossible, tranche Adélaïde Lopes. Même l'option des constructions modulaires n'est pas envisageable, car les délais sont trop serrés et les prix trop élevés." Et la Maison des ados ne peut rester une salle de classe géante à la rentrée scolaire.
Un établissement de la région réaménagé
Une solution "providentielle" a été trouvée, glisse l'adjointe : l'école régionale du premier degré (ERPD), située sur la commune. Cette structure, qui accueille d'ordinaire des enfants en situation sociale ou familiale difficile, va voir arriver les 170 élèves de l'élémentaire détruite.
Mardi 18 juillet, l'adjointe au maire a rendez-vous pour une dernière visite de l'établissement avec son directeur, Pascal Duée, avant de partir en vacances. Un immense bâtiment aux vitres colorées se dresse derrière les grilles. Passé la longue allée qui mène aux portes de l'école, on s'engouffre dans la bâtisse labyrinthique. Trois cours de récréation, un gymnase et un terrain multisport, des couloirs interminables… "Ça ressemble plus à un lycée qu'à une primaire", sourit Pascal Duée.
L'ERPD a une capacité de 400 élèves, mais n'en accueille que 150, en plus d'une trentaine d'internes du collège voisin. "Ça fait des années qu'on a des salles vides, car on perd des élèves", pointe le directeur. Dès le lendemain de l'incendie, Pascal Duée a proposé son établissement pour accueillir les enfants du Bois-de-l'Etang. "Une évidence", dit-il.
Après avoir obtenu l'autorisation de la région Ile-de-France, propriétaire de l'école, les travaux ont commencé. Une partie de la bibliothèque, un bout de la salle informatique… Huit pièces ont été vidées, nettoyées et réorganisées. La plupart attendent encore leur mobilier, qui doit être livré par la région, d'autres sont déjà opérationnelles. "Quand on est passé il y a une semaine, c'était encore une bibliothèque. C'est allé très vite", souffle Sandrine Guignard, directrice des services techniques à la mairie, lorsqu'on passe devant une salle, où chaises et bureaux se suivent en rang d'oignons.
L'idée est de faire cohabiter deux écoles dans les mêmes locaux. "Tout le personnel enseignant et municipal de l'élémentaire du Bois-de-l'Etang est conservé", précise Adélaïde Lopes. Les enfants garderont leur maîtresse, auront leur propre cour de récréation et ne seront mélangés aux autres élèves de l'ERPD que pendant la pause méridienne. "Psychologiquement, pour les nouveaux arrivants, c'est important", souligne l'adjointe. Début juillet, parents et enfants ont participé à une visite de l'école. Si beaucoup manifestaient de l'inquiétude au début, "ils sont partis rassurés", affirme Pascal Duée.
A la recherche d'une navette pour les trajets
Reste un obstacle de taille : le transport scolaire. L'ERPD est située à une trentaine de minutes à pied du Bois-de-l'Etang et "certains parents n'ont pas de véhicule", souligne Adélaïde Lopes. "Les transports en commun, ce n'est pas l'idéal quand on a quatre enfants et les poussettes à gérer", reconnaît-elle. L'équipe municipale veut donc mettre en place une navette pour faire le trajet matin et soir. Le coût est estimé à 150 000 euros, "et on n'a pas encore de confirmation de financement de la région", s'inquiète l'adjointe. L'un des vice-présidents de la région, James Chéron, précise que la ville est en discussion avec Ile-de-France Mobilités, instance compétente, qui vise "fin juillet pour prendre une décision".
"Si on n'a pas les navettes, on pourra faire face à des familles tentées par la déscolarisation."
Adélaïde Lopes, adjointe au maire en charge de l'Educationà franceinfo
Au Bois-de-l'Etang, les parents, eux aussi, s'inquiètent de cette distance qui sépare désormais leurs enfants de leur future école. Oumaid, habitante du quartier, et sa fille de 9 ans, Amina, flânent sur un banc abrité de la fournaise estivale. La petite entrera en CM1 à la rentrée, à l'ERPD. "Je travaille dans une école primaire et mon mari part de la maison à 5 heures le matin. S'il n'y a pas de navette, je ne sais pas comment on va faire", explique sa mère. Fatima partage sa préoccupation. Cette déléguée de parents d'élèves a un fils de 10 ans, qui doit lui aussi être scolarisé à l'ERPD. "Ici, l'école est à deux minutes à pied. Là, il faudra prendre la voiture deux fois par jour, ça fait une charge d'essence en plus", pointe-t-elle.
Une nouvelle école dans "deux à trois ans"
Les 108 enfants de l'école maternelle des Noës iront, eux, à celle du Bois-de-l'Etang. "On doit la réaménager, mais on a de l'espace pour les accueillir", assure Adélaïde Lopes. Dans une des salles s'entassent déjà jouets, livres et jeux de société : "Tout ça, ce sont des dons. Et encore, c'est un dixième de tout ce qu'on a reçu."
Particuliers, entreprises, villes voisines… "On a fait face à un élan de solidarité incroyable", constate l'adjointe, encore émue. De quoi encourager l'équipe municipale mobilisée : "On ne s'arrêtera pas tant que la rentrée scolaire ne sera pas assurée."
L'acte de vandalisme a choqué les habitants, mais certains soulignent que l'école du Bois-de-l'Etang devait être détruite, en 2025, dans le cadre du projet de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), pour être remplacée par un nouveau groupe scolaire. Cet incendie, "ça accélère le projet", conclut Adélaïde Lopes, précisant que la construction de la nouvelle école devrait prendre "deux à trois ans".
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