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Témoignages "Pourquoi je ne suis pas allé voter" : dix Français nous racontent les raisons de leur abstention au premier tour

Article rédigé par Yann Thompson, Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Dix Français qui se sont abstenus au premier tour de l'élection présidentielle 2022 expliquent leur choix. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Au total, plus d'un quart des Français ne se sont pas rendus dans un bureau de vote, dimanche. Un record depuis vingt ans pour une élection présidentielle. Nous leur avons donné la parole.

Le casting du second tour de l'élection présidentielle s'est fait sans eux. Plus de 11 millions de Français n'ont pas déposé de bulletin dans l'urne, dimanche 10 avril, soit un quart des électeurs inscrits. Un record depuis vingt ans à une élection présidentielle. Mais derrière cette abstention massive se cachent des réalités très différentes : dégoût de la politique, renoncement éclairé, choix par défaut...

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Nous sommes allés à la rencontre de ces abstentionnistes – d'un petit village de l'Aisne à la Côte d'Azur, en passant par Tours et la banlieue parisienne. Ils nous racontent leur décision de ne pas faire de choix à l'élection présidentielle.

"J'ai l'impression de voir des gosses dans une cour de récréation"

Jules Ambles pose à Arnouville (Val-d’Oise), le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Jules Ambles, 71 ans, retraité, ancien mécanicien automobile, Arnouville (Val-d'Oise). Je regrette de ne pas voter. Je suis beaucoup l'actualité, je suis très intéressé par la politique, j'ai regardé tous les débats sur la présidentielle. Mais je suis déçu. Je trouve que tous les candidats sont nuls. Mon impression, c'est de voir des gosses dans une cour de récréation qui se lancent : "Tu m'as piqué mes idées !" Ils ne sont pas crédibles. Ils ne pensent qu'à eux.

En 2017, j'avais voté pour Macron. Il me plaisait bien, il était jeune. Mais résultat, on dirait Napoléon qui ne s'adresse plus à son peuple. Je n'ai pas voté pour lui cette année. Si ce n'est pas Macron qui est élu, ce sera Le Pen. Tant pis. Depuis le temps qu'on en parle, on verra bien ce qu'il se passe.

"Je ne me sens pas apte à voter"

Ferelah Coulibaly pose à Tours (Indre-et-Loire), le 6 avril 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Ferelah Coulibaly, 18 ans, étudiante en droit, Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). En recevant ma première carte d'électrice, j'étais choquée : pourquoi on m'accorde ça, à moi ? Je ne me sens pas apte à voter. Trop jeune, pas suffisamment renseignée. Même en lisant les professions de foi, je ne maîtrise pas assez les idées qu'il y a derrière. J'aurais eu peur de me tromper et de ne pas faire le bon choix. J'ai préféré laisser ce vote du premier tour aux gens qui ont de fortes convictions, ceux qui vont dans les meetings et qui connaissent la politique.

Ma mère non plus n'a pas voté. Pour le second tour, ce qui aurait pu nous faire y aller aurait été une qualification de Zemmour. Là, il y aurait eu urgence à voter contre lui. C'est lui qui m'inquiétait le plus, pour ses idées racistes mais aussi son côté "monsieur Polémiques". Les gens aiment les polémiques et je pense que cela aurait pu le faire gagner, comme Donald Trump aux Etats-Unis. Là, Marine Le Pen, je ne pense pas qu'elle puisse réussir ce pari, les gens ont trop peur d'elle. Mais si les sondages vont vers elle, j'irai voter pour faire barrage."

"Si je votais, ça changerait quoi ?" 

Mounir Hamdoune pose à Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / PIERRE MOREL)

Mounir Hamdoune, 23 ans, vendeur sur les marchés, Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Je n'ai jamais voté. Je reçois les bulletins, je suis inscrit sur les listes électorales, mais je n'ai jamais voté de ma vie, à aucune élection. J'ai l'impression que les politiques sont tous pareils. Ce n'est pas méchant, mais je les ai mis dans une case. De toute façon, la politique n'a pas d'impact sur ma vie. Aujourd'hui, le gasoil est à 2,60 euros le litre. Tu payes le gasoil pour aller bosser et tu bosses pour payer le gasoil. Si je votais, ça changerait quoi à ça ?

Les politiques disent beaucoup de choses, mais à la fin il n'y a rien. Même au niveau local. J'habite à Montfermeil, le maire nous a dit de voter pour lui pour ça, ça et ça… Il n'a rien fait. Le bilan de Macron aussi est mitigé. Il a écouté un peu le peuple, notamment les "gilets jaunes". Mais il a seulement écouté, il n'a pas agi. Plutôt que voter, je préfère faire des dons. Je donne à une association qui aide un orphelinat au Maroc. Là, je vois directement à quoi ça sert.

"J'en ai marre de faire un choix par défaut"

Guillaume Brouillet pose à Paris, le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Guillaume Brouillet, 43 ans, ouvrier dans les parcs et jardins, Paris. C'est la première fois de ma vie que je ne vote pas. Je ne me reconnais pas dans les candidats. J'ai l'impression qu'on ne me parle pas. Je suis ouvrier, je ne suis pas allé longtemps à l'école, je n'ai pas beaucoup de vocabulaire. Ce que je vois, c'est un octogone dans lequel les candidats s'affrontent, se mettent des patates… et nous on est dans le public en train de manger du pop-corn.

Je regarde beaucoup les infos. Le débat entre Zemmour et Pécresse était pitoyable. Qui sont ces gens ? Je suis ouvrier, je ne les voudrais même pas comme chef, alors comme président, encore moins ! Face à Biden et à Poutine, on doit avoir quelqu'un qui a du charisme, du sérieux. Et puis j'en ai marre de faire un choix par défaut, j'en ai marre de voter par opposition, j'en ai marre de faire barrage. J'aimerais bien voter par conviction, une fois dans ma vie.

"Ça ne sert à rien de voter"

Brigitte pose à Tergnier (Aisne), le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Brigitte, 46 ans, en arrêt maladie longue durée, Beautor (Aisne). Je n'ai jamais voté. Je n'ai jamais reçu ma carte électorale. Je suis née juste à côté ici, à Noyon dans l'Oise. J'ai grandi ici, puis j'ai déménagé dans le sud de la France et je suis revenue dans la région. Je reçois les prospectus pour les élections, mais pas la carte. J'avoue, je n'ai pas cherché à comprendre. Avec l'administration, c'est toujours très long.

De toute façon, les politiques, ce sont tous des voleurs, des arnaqueurs. Comme je ne vote pas, au moins, je ne regrette pas. Ça ne sert à rien de voter. Qu'on le fasse ou non, c'est toujours la même chose.

"Les politiques ne nous aident pas"

Charef Laroui pose à Tours (Indre-et-Loire), le 6 avril 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Charef Laroui, 49 ans, négociant automobile, Tours (Indre-et-Loire). La seule fois de ma vie que j'ai voté, j'étais en prison, en 2019. On m'avait donné une carte d'électeur et une permission de sortir de la cellule pour aller voter. On défilait dans le gymnase du centre de détention, sans menottes. J'étais content de prendre l'air, même si c'était rapide. Je ne sais plus pour qui j'avais voté, j'avais choisi au hasard.

Pour moi, voter ne sert à rien, à part peut-être parfois pour obtenir un logement en échange. Sinon, les politiques ne nous aident pas. Ce sont des menteurs, des tricheurs, des corrompus. Les riches obtiennent des choses parce qu'ils sont en position de force, mais nous, les gens au RSA comme moi, les politiques n'ont pas besoin de nous. Qui a fait quoi que ce soit pour nous ? Macron, quand il baisse le gazole, c'est juste pour passer aux élections. Il va gagner, de toute façon.

"Il faut tout changer, mais ça ne passera pas par une élection"

Thérèse Jean-Louis pose à Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Thérèse Jean-Louis, 64 ans, retraitée de La Poste, Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise). Je suis "hors-monde". Je ne vote plus depuis longtemps. Désormais, je vis en fonction de moi et pas des autres. Avant les élections, on vous dit "tout est beau", mais la réalité est bien différente. En 2017 déjà, je n'ai pas voté. Macron a tout fait mal. Il a pris à tout le monde, sauf aux riches. Au final, c'est toujours les mêmes qui gagnent.

Je pense qu'il faut tout casser pour tout refaire. Il faut tout changer, mais ça ne passera pas par une élection. J'ai toujours été grande gueule. Mes parents m'ont envoyée en France [hexagonale] depuis la Martinique comme un paquet de linge sale quand j'étais petite parce que j'étais trop turbulente. Je suis devenue fonctionnaire à La Poste, mais je n'ai jamais évolué dans ma carrière. J'étais trop critique. Pendant longtemps, on m'a appelée "Madame Robespierre".

"Il n'y a pas un seul programme qui me convient"

Kamel Belferoum pose à Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), le 23 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)
Kamel Belferoum, 47 ans, employé aux aéroports de Paris, Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise). Je suis vraiment dégoûté par la politique. Il n'y a rien qui me convient. Je vais déchirer ma carte d'électeur. Tout est joué d'avance ! Macron ne débat pas. Il va repasser par défaut. En 2017, j'ai fait l'erreur de voter pour lui. Ça a été une déception totale. On n'est pas considérés. C'est chacun pour soi avec lui. Il n'y en a eu que pour les riches. Et les banques continuent de faire des profits sur le dos des gens. Pendant ce temps-là, on creuse un déficit énorme et ce sont nos enfants qui vont payer.

Aujourd'hui, Macron veut même faire travailler les gens au RSA alors que les gens n'arrivent même pas à vivre avec un smic ! C'est la première fois que je ne vote pas, mais il n'y a pas un seul programme qui me convient.

"Je ne me suis pas réinscrite sur les listes électorales"

Camille pose à Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), le 7 avril 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Camille, 41 ans, peintre en bâtiment, Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône). Je n'ai pas voté parce que je ne me suis pas réinscrite sur les listes électorales. Avant, je travaillais comme aide-soignante dans le Nord. Avec le Covid-19, je me suis reconvertie comme peintre en bâtiment ici, dans le Sud. Mais je n'ai pas pris le temps de me réinscrire.

Si j'avais pu voter, j'aurais voté pour Marine Le Pen. J'avais voté pour elle en 2017, ça a toujours été elle. Macron, lui, il a fait beaucoup pour les riches. Ceux en bas de l'échelle, ils n'ont rien. C'est tout pour le patronat. Pour moi qui étais aide-soignante, il n'y a pas eu beaucoup de reconnaissance.

"Si j'avais 20 ans aujourd'hui, j'aurais quitté la France"

Michel pose à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), le 8 avril 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Michel, vendeur ambulant, 60 ans, Gondreville (Meurthe-et-Moselle). Franchement, la présidentielle, ça ne m'intéresse pas. Ce sont tous des guignols, ils devraient passer dans l'émission de Canal+ ! J'ai arrêté de voter pour la présidentielle depuis bien longtemps. Je suis dégoûté de la politique au niveau national depuis Chirac. Je continue de voter aux municipales, mais c'est différent. Le maire, on le connaît.

Les présidents, ils sont tous là pour la place, pour la paye. Et Macron, c'est le même que les autres. Les politiques, on les voit sur les marchés distribuer des tracts en période d'élection, mais le reste du temps, il n'y a personne. Puis il ne font jamais ce qu'ils disent. Alors mon vote, ça ne change rien. Je vais vous dire, si j'avais 20 ans aujourd'hui, j'aurais quitté la France.

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