: Reportage Présidentielle 2022 : avant le second tour, les soutiens d'Emmanuel Macron face à la résignation des électeurs de gauche, dans les rues de Strasbourg
Dans la capitale européenne, où Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête, les militants de LREM font face à des électeurs déçus qui iront pour certains voter pour Emmanuel Macron "sans gaieté de cœur".
"Mais oui, ça brise le cœur quand on nous reproche de ne pas faire de réformes sociales !" Nastasia, jeune militante LREM et collaboratrice du député du Bas-Rhin Thierry Michels, est en pleine discussion avec Patricia, retraitée et électrice d'Emmanuel Macron depuis 2017. En robe de chambre noire sur le pas de sa porte de la rue des Juifs, en plein centre de Strasbourg, celle-ci salue la proposition du président sortant d'instaurer une pension minimale de retraite à 1 100 euros. "C'est pas si mal", salue celle qui se décrit comme "ex-PS", pour laquelle "il était hors de question de voter pour ce cinglé de Mélenchon". Pas question non plus de voter Le Pen. ;"Je ne veux pas de gens qui fricotent avec Poutine", poursuit la retraitée en rabrouant son chien dans l'ombre de sa porte.
"Merci, vous me faites plaisir !" s'enthousiasme en retour Anastasia. Patricia semble quand même inquiète : le duel Macron-Le Pen s'annonce plus serré qu'il y a cinq ans. "Je ne suis pas encore soulagée, c'est pas encore fait", lâche l'ancienne électrice socialiste. La présidentielle a déjà laissé des traces dans son entourage. Elle s'est brouillée avec un ami qui voulait la convaincre de voter pour Jean-Luc Mélenchon. Les deux amis ne se sont pas reparlés depuis.
"On est là pour vous écouter"
La retraitée n'est pas vraiment représentative de la rue qu'elle habite. Cette artère commerçante du cœur de Strasbourg, à deux pas de sa célèbre cathédrale, n'avait encore jamais été "faite" par les militants d'Emmanuel Macron. "A première vue, elle ne nous est pas très favorable", nous ont-ils prévenus. Dans ces immeubles anciens du centre-ville résident de nombreux électeurs de gauche. Le candidat de La France insoumise est arrivé en tête à Strasbourg au soir du 10 avril, avec 35,4% des voix, devant à Emmanuel Macron (30,19%). En 2017, c'était l'inverse : le candidat LREM (27,76%) avait devancé Jean-Luc Mélenchon (24,36%).
Les militants LREM ont donc repris leur bâton de pèlerin. "Ceux qui ont voté Mélenchon, on veut les convaincre de voter Macron. Mais oui, il y a un vote de rejet de Macron, ces électeurs de gauche se disent déçus du second tour et je peux comprendre, on revit l'histoire une seconde fois", reconnaît Grégory, étudiant à Sciences-Po et adhérent des Jeunes avec Macron (JAM). Il veut dire à ces électeurs : "Certes, vous n'êtes pas d'accord avec Macron mais en face, il y a une candidate d'extrême droite qui détruira tout ce qui a été fait." Chapeau de feutre noir sur la tête, Nastasia acquiesce.
"Quand on est de gauche, je ne vois pas comment on ne peut pas faire front face à Marine Le Pen."
Nastasia, militante LREMà franceinfo
La jeune femme a "peur" de l'abstention. Or, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria réalisé le 13 avril, 33% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pensent voter pour Emmanuel Macron, contre 18% pour Marine Le Pen. Et 49% ne s'expriment pas sur ce point.
Pierre-Paul pourrait basculer dans cette catégorie. Lui aussi a glissé un bulletin Mélenchon au premier tour et doit maintenant faire un choix. "Ça tend plus vers Macron, à moins que ce ne soit abstentionniste", dit-il sur le pas de sa porte. Ce consultant hésite. "Il faut qu'il ait plus de mesures sociales", lance-t-il. Nastasia reste perplexe : "C'est très large les mesures sociales, de quoi vous voulez parler ?" L'homme embraye sur une autre idée : "Il faut qu'il soit plus à l'écoute du peuple." Nastasia rebondit : "Ok, on n'est peut-être pas le président mais on est là pour vous écouter." Au fil de la discussion, Pierre-Paul semble pencher davantage pour le vote Macron. Une petite victoire pour Nastasia, qui préfère "l'écoute" et "l'échange" plutôt que de "convaincre" et de "dire qu'Emmanuel Macron est le meilleur".
"N'essayez pas de me convaincre, je vais voter pour lui"
Dans un vieil immeuble alsacien dont le petit balcon couvert de plantes donne sur un charmant patio, les militants tombent sur Bernard et Régine, un couple de sexagénaires. Régine est artiste-peintre et son mari travaille dans la reliure et la restauration de livres. "Après 48 ans de boulot, je dépasse pas les 3 000 euros", glisse Bernard, qui a commencé à travailler à 15 ans. Sans enthousiasme, ils feront "barrage" à Marine Le Pen.
"J'ai voté Mélenchon et je vais voter Macron, mais ce n'est pas un vote de cœur."
Régine, artiste-peintreà franceinfo
Comme Patricia, Régine aussi est une ancienne électrice du PS. "On savait qu'Hidalgo allait faire 2%, on a voté Mélenchon parce qu'il avait une chance de passer et donc d'emmener la gauche au second tour." Nastasia opine du chef tandis qu'Abbel, 17 ans, qui l'accompagne durant ce porte-à-porte, affiche un visage impassible. Il ne moufte pas quand Régine développe pourquoi elle n'aime pas le président sortant, "trop de droite". "Il vient certes de la gauche mais il s'est beaucoup droitisé. La suppression de l'ISF, ce n'est pas possible, ou même les petits trucs, comme les cinq euros des APL", liste-t-elle.
Nastasia tente de rebondir sur cette baisse controversée de l'aide au logement en début de quinquennat. "Vous savez, les APL, cela a été compensé par..." tente-t-elle. "N'essayez pas de me convaincre, je vais voter pour lui, c'est bien mieux que Le Pen, on serre d'ailleurs les pouces", embraye Régine. La sexagénaire tient quand même à faire passer un message : "Vous savez, j'ai pas mal de collègues qui ont voté Mélenchon et qui vont voter blanc."
Le risque d'un faible report de voix des électeurs de Jean-Luc Mélenchon sur la candidature d'Emmanuel Macron au second tour, les militants LREM en sont conscients, et s'en désespèrent. "Voter blanc ou ne pas voter, cela revient à donner des voix à Marine Le Pen", considère Grégory.
Le jeune militant tente de se rassurer : "Je vois quand même des gens qui sont contents qu'Emmanuel Macron aille au contact des gens. Ils trouvent qu'il est plus au contact que Marine Le Pen." Un groupe d'amis passe dans la rue. L'un d'eux remarque les tracts et les sacs à l'effigie du président sortant. "Allez, il ne faut pas que l'autre gagne !" encourage-t-il le poing levé. Un autre passant s'avance pour attraper quelques tracts. De quoi redonner le sourire aux militants macronistes.
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