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Présidentielle : Bastille, République, Concorde... Où les candidats prennent-ils place pour crier victoire ?

Derrière les lieux choisis par les candidats pour fêter leur élection se cache une dimension symbolique à laquelle tous sont très sensibles. Et pour cause : il s'agit de donner le ton de la mandature qui s'ouvre. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des partisans de François Mitterrand célèbrent sa victoire à l'élection présidentielle, le 10 mai 1981, place de la Bastille, à Paris.  (MORVAN / SIPA)

Le ministère de l'Intérieur est prêt pour les deux scénarios : la victoire d'Emmanuel Macron ou celle Marine Le Pen. Après s'être vu refuser le Champ-de-Mars par la Mairie de Paris, l'entourage du candidat d'En marche ! a indiqué vendredi 5 mai que, si leur candidat remportait l'élection présidentielle, ses partisans seraient invités à faire la fête sur l'esplanade du Louvre. L'équipe de la candidate frontiste a, quant à elle, arrêté son choix sur le bois de Vincennes. 

Deux choix inédits pour perpétuer une tradition qui a accompagné presque toutes les élections de la Ve République.  

2012 : François Hollande reprend la Bastille

A l’annonce de sa victoire, François Hollande se trouve dans son fief corrézien, à Tulle. Dans la soirée, il prend l’avion à Brive et arrive à Paris vers minuit, où le nouveau président de la République doit s'exprimer devant ses électeurs, rassemblés place de la Bastille. Le choix de cette place n'est pas anodin : il renvoie aux précédentes victoires de la gauche. En 1981 et 1988, les supporters de François Mitterrand y avaient déjà fêté son accession au pouvoir.

 "Il y a de l'interaction, une espèce de chaleur comme dans les grands moments, en 1998 [pour la finale de la Coupe du monde de football] ou pour le passage à l'an 2000", s'émerveille un jeune homme rencontré sur place par notre journaliste. "Les gens sautent, laissent éclater leur joie et des bulletins de vote 'Nicolas Sarkozy' sont brûlés", raconte le Huffington Post.

Les électeurs de François Hollande sur la place de la Bastille, à Paris, après son élection, le 6 mai 2012.  (PHILIPPE BOURGUET / BELGA MAG / AFP)

La foule, plusieurs dizaines de milliers de personnes, est en liesse face à la scène où se succèdent les éléphants du PS. Après un solo de guitare d'Axel Bauer, François Hollande monte sur scène. Dans le paysage, on aperçoit des fumigènes, des drapeaux français, mais aussi des drapeaux "rouges et étrangers". Dès le lendemain, des politiques de droite, comme Nadine Morano, ou d'extrême droite, à l'instar de Louis Aliot, font d'ailleurs monter la polémique. 

2007 : pour Nicolas Sarkozy, tout concorde 

Au lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, Le Monde titre : "La place de la Concorde acclame 'son' candidat." A juste titre. Car "la place de la Concorde s'inscrit dans l'histoire de la droite française", explique Le Nouvel Obs. C'est sur cette place que le général de Gaulle est acclamé par la foule après la Libération, en 1944. Pendant les événement de Mai 68, c'est là aussi que manifestent les partisans du président d'alors. 

A l'annonce des résultats, "drapeaux hissés, bonnets phrygiens sur la tête, banderoles tendues à bout de bras, la place exulte", raconte Le Monde. Pendant que le président savoure sa victoire au Fouquet's, restaurant huppé de l'avenue des Champs-Elysées toute proche, "place de la Concorde, une foule jeune et blanche, familiale et plutôt sage, hurle toujours son nom, poursuit le quotidien. Ils seront jusqu'à 30 000 à rejoindre 'la plus grande discothèque de Paris', vantée sur scène par l'animatrice de la soirée."

Des supporteurs de Nicolas Sarkozy fêtent son élection à la présidence de la République, le 6 mai 2012.  (CHAMUSSY / SIPA)

Discothèque, mais aussi concert, alors que Jane Manson, Faudel, Enrico Macias, Gilbert Montagné ou encore Mireille Mathieu monte sur scène. Quand le président arrive finalement sur les lieux, la demoiselle d'Avignon entonne la Marseillaise



1995 et 2002 : Jacques Chirac met chaque élection à sa place 

Avant Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac avait également, dès  1995, choisi d'appeler ses partisans à se rassembler place de la Concorde. Déjà, l'idée est d'investir un lieu aussi symbolique à droite que l'est la place de la Bastille à gauche. "Dès 20 heures, les premiers partisans du maire de Paris se sont retrouvés au pied de l'obélisque, en même temps que les automobilistes entamaient allègrement sur les Champs-Elysées un concert de klaxons enthousiastes", racontent alors Les Echos

"Deux gigantesques écrans, un camion-scène, un système vidéo... Dès l'annonce des résultats, il ne restait plus qu'à monter l'ensemble pour accueillir les deux groupes qui déjà se préparaient dans les coulisses aménagées pour eux", poursuit le quotidien économique, qui cite un membre de l'organisation : "Tout a été préparé depuis deux jours. (...) A 20 heures 01, nous avons pu commencer les branchements, l'installation des lumières... "

 

Des partisans de Jacques Chirac célèbrent sa victoire à l'élection présidentielle, le 7 mai 1995, place de la Concorde, à Paris.  (CHAMUSSY/SIPA / SIPA)

"De l'obélisque jusqu'au Soldat inconnu, en groupes, en grappes, en files de voitures bruyantes, la droite parisienne, par centaines de milliers, défile sur son avenue", écrit Libération

En 2002, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour dicte un choix différent. Cette fois, le président doit rendre hommage au front républicain constitué entre-deux-tours, lui assurant une très large victoire face à l'extrême droite. Il choisit la bien nommée place de la République, dans l'est de la capitale. Pour la première fois, le président va à la rencontre de la foule et monte sur la scène installée sur la place pour une allocution."Chers amis, ce soir, nous célébrons la République", lance-t-il.

"Il n’est pas sûr que [la place de la République] ait connu de fêtes plus étranges, de plus insaisissables, de plus décalées et, au fond, de plus improbables", écrit Le Monde le lendemain. "Il n’y avait ni élan ni rien qui ressemble à une quelconque impulsion de bonheur." En 2006, un article publié dans la revue Pouvoirs, revient sur ce choix  déstabilisant mais pragmatique. "Ce qui a frappé de stupeur les commentateurs du moment, c’est précisément le décalage entre les comportements acclamatifs et ceux qui les ont tenus, peu réputés composer le public ordinaire des réunions gaullistes. La liesse était bien là, quelles qu’aient été ses formes", citant une foule plus "bellevilloise" (populaire) que "Bon Marché" (bourgeoise).

 

1981 et 1988 : François Mitterrand refait "Woodstock" à Bastille

1981 marque un tournant à plus d'un titre. Non seulement, il s'agit de la première fois qu'un socialiste devient président sous la Ve République, mais en plus, son élection entraîne le rassemblement de dizaines de milliers de ses supporters, place de la Bastille. Si le président ne se rend pas sur place, préférant rejoindre le siège du parti, rue de Solférino (après avoir passé le début de la soirée à l'hôtel le Vieux Morvan, à Château-Chinon, dans la Nièvre), ses électeurs font la fête, chantent et dansent jusque tard dans la soirée.

Le choix, traditionnellement le point d'arrivée de nombreuses manifestations, est pourtant fait à la dernière minute, raconte en 2001 à Libération Paul Quilès, alors directeur de cabinet de François Mitterrand au PS. "La fête était programmée au Parc des Princes, entre les deux tours de la présidentielle. Mais au retour du meeting de Marseille, François Mitterrand m'avertit : 'C'est non', raconte Paul Quilès. Trois jours avant le 10 mai, je sonne le branle-bas de combat. D'abord, trouver un lieu. On pense d'abord à la République. Mais les bus de touristes envahissent la place. Ce sera la Bastille." "C'était Woodstock à la Bastille (...) Une folie", se souvient pour sa part Claude Villers, producteur à Radio France, cité par le quotidien

Sept ans plus tard, quand le président sortant est élu pour un second mandat, l'organisation voit grand : les militants qui se rassemblent sur cette même place ont droit à un concert. Les prestations de Renaud, de Bernard Lavilliers ou encore de Jacques Higelin, sont retransmises sur écran géant. Cette fois encore, le président ne s'y déplace pas, préférant que son discours soit diffusé sur ce même écran. 

1974 : pour Valéry Giscard d'Estaing, deux lieux, deux ambiances

Devant le quartier général de campagne de Valéry Giscard d'Estaing, au 41 rue de la Bienfaisance, dans le 8e arrondissement, quatre tentes ont été dressées pour permettre d'accueillir les supporters du candidat de la  Fédération nationale des républicains et indépendants (FNRI), ancêtre de l'UDF, tout juste élu président de la République. "Il y a deux spectacles ce soir", indique alors le journaliste sur place, "un dans la rue et un dans la salle", à l'intérieur du QG, ou des centaines de militants et de journalistes s'entassent. A l'extérieur, il fait état de plusieurs milliers de personnes, rassemblées dans cette rue très chic, située non loin du parc Monceau.

1969 : la police pour calmer les anti-Pompidou dans le Quartier latin

 En 1969, Georges Pompidou est élu avec plus de 58% des suffrages, face à Alain Poher. A l'annonce des résultats, ses partisans le rejoignent à son QG de campagne, installé boulevard de La Tour-Maubourg, dans le 7e arrondissement. 

"Vers 22 h 30", raconte un article de la revue L'Histoire, le candidat victorieux "salua ses partisans depuis le balcon du deuxième étage de son état-major, L'effervescence gagnait les rues de Paris, avenue des Champs-Elysées, où les drapeaux tricolores flottaient au-dessus des toits des voitures."  Mais à quelques centaines de mètres de là, dans le Quartier latin, "des jeunes gens prirent à partie les klaxonneurs triomphants. La police dut intervenir", poursuit L'Histoire. 

Le lendemain de son élection, Georges Pompidou se déclare vainqueur et remercie ses électeurs dans cette allocution, réalisée devant les caméras. 

1965 : la foule fidèle au poste pour l'élection de De Gaulle 

Pour connaître les résultats de l'élection présidentielle de 1965, qui voit la réélection de Charles de Gaulle, le public n'a d'autre choix que de "se polariser devant les postes de télévision", raconte le journal télévisé de l'époque. A l'époque, il y a alors un peu plus de 6 millions de postes de télévision, un peu moins d’un foyer sur deux est alors équipé. 

Car, pour cette première élection présidentielle au suffrage universel direct, la fête et la démonstration de force par le nombre ne sont pas encore un incontournable des soirées électorales. 

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