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Présidentielle 2022 : qui se cache derrière les trois millions de votes blancs et nuls au second tour ?

Près d'un votant sur dix a préféré laisser son enveloppe vide ou utiliser un bulletin vierge ou raturé, plutôt que de choisir entre Emmanuel Macron ou Marine Le Pen.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Plus de trois millions d'électeurs ont voté blanc ou nul lors du second tour de la présidentielle, le 24 avril 2022. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Ils ont fait l'effort de se rendre aux urnes, mais n'ont voté pour personne. Trois millions d'électeurs ont glissé un bulletin blanc ou nul au second tour de la présidentielle, dimanche 24 avril, soit 6,19% des inscrits et 8,6% des votants, selon les résultats communiqués par le ministère de l'Intérieur. Si l'on y additionne le nombre d'abstentionnistes, ce sont 16,7 millions de Français, soit un tiers du corps électoral, qui ont refusé le choix qui leur était proposé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

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Franceinfo vous en dit plus sur ces électeurs de l'ombre qui ont trouvé dans le vote blanc ou nul un moyen de rejeter l'affiche du second tour, tout en exprimant leur attachement au droit de vote.

Après 2017, le deuxième total le plus élevé lors d'une présidentielle

Il y a cinq ans, au second tour de la présidentielle, 4,1 millions de bulletins blancs ou nuls avaient été recensés par le ministère. Plus d'un votant sur dix avait choisi cette option, du jamais-vu. Le chiffre atteint cette année, en recul de plus d'un million d'unités, n'en est pas moins conséquent : il s'agit du deuxième total le plus élevé lors d'une présidentielle sous la Ve République (et du troisième total, tous types d'élections confondus, derrière le second tour des législatives de 1993). Dans le détail, 2,2 millions de personnes ont voté blanc (avec une enveloppe vide ou un bulletin vierge) dimanche et 800 000 nul (avec un bulletin modifié ou déchiré).

Ce recul par rapport à 2017 peut s'expliquer par les sondages suggérant un duel plus serré entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. "La crainte d'une victoire de l'extrême droite a pu influencer des électeurs qui avaient voté blanc ou nul il y a cinq ans et qui, cette fois, ont voulu faire barrage", avance Jérémie Moualek, maître de conférences en sociologie à l'université d'Evry et spécialiste des comportements électoraux.

Le chercheur avance une autre hypothèse : "Certains qui votaient blanc ou nul ont peut-être basculé dans l'abstention, en constatant que leur voix n'était pas prise en compte. Une forme de lassitude s'installe à l'égard du vote blanc, qui est totalement inoffensif."

Des personnes "plutôt âgées" et "très informées"

Contrairement aux abstentionnistes, qui sont souvent jeunes et défavorisés, ces électeurs "sont en majorité des personnes plutôt âgées, à partir de la quarantaine, fidèles à l'acte de vote, intégrées socialement et dotées d'une bonne culture politique", selon le sociologue Jérémie Moualek. "On trouve aussi des jeunes diplômés, qui refusent de voter pour quelqu'un à contrecœur et qui se saisissent du vote pour envoyer un message."

"Pour eux, le vote n'est pas un moyen de donner sa voix, mais plutôt de faire entendre sa voix."

Jérémie Moualek, sociologue

à franceinfo

Les votants blanc ou nul sont "très informés et engagés dans la sphère publique", ajoute Aurélia Troupel, maîtresse de conférences en science politique à l'université de Montpellier. Pour mieux cerner leur profil, la chercheuse vient de lancer la première enquête universitaire sur ce thème, avec deux formulaires à destination des votants blanc et nul du premier tour et du second tour"Dans les entretiens que j'ai déjà menés, les gens ont lu tous les programmes. Ils partagent un mécontentement face à l'offre électorale et se tournent vers le vote blanc ou nul en dernier recours, dépités."

Ces électeurs ne sont pas forcément endurcis dans ce statut. "Beaucoup sont des 'intermittents' du vote blanc, poursuit Aurélia Troupel. La plupart de ceux à qui j'ai parlé pensent aller voter pour quelqu'un aux législatives", qui se tiendront les 12 et 19 juin. Le cas des votants nul est peut-être moins mouvant, "car ils sont à un stade d'écœurement plus fort".

Un vote comptabilisé, mais "inoffensif"

Le vote blanc ou nul est porteur d'un "sens politique", insiste la chercheuse Aurélia Troupel. "Il est faux de dire que ces électeurs ne savent pas choisir ou qu'ils laissent les autres choisir. C'est une démarche civique et citoyenne. Ces votes sont porteurs d'une insatisfaction et d'une volonté de changement. Ce sont des porte-voix à faible résonance, du fait du peu d'écho médiatique et politique qu'ils reçoivent." 

Dimanche soir, le Parti du vote blanc a, une nouvelle fois, appelé à "reconnaître le vote blanc", "dernière possibilité pour réconcilier la jeunesse avec la politique". Cette association milite pour la comptabilisation des votes blancs parmi les suffrages exprimés, comme pour un candidat, ce qui aurait pour effet de réduire le score des différents concurrents. Dans une telle configuration, Emmanuel Macron aurait recueilli 54,74% des suffrages exprimés, dimanche, et non 58,54%. Dans le cas d'un résultat plus serré, le vainqueur pourrait ainsi s'imposer sans majorité absolue. Le Parti du vote blanc réclame l'invalidation des scrutins seulement dans le cas où le vote blanc serait majoritaire.

Les espoirs d'évolution en ce sens sont relativement ténus. Contrairement à d'autres prétendants à l'Elysée durant la campagne, Emmanuel Macron n'est pas favorable à une telle reconnaissance. En 2019, il s'y était déjà opposé, y voyant un vote "trop facile" et un obstacle à l'"efficacité" des institutions. Marine Le Pen n'est guère plus enthousiaste. "Macron et Le Pen sont dans un présidentialisme qui voit l'élection comme un moyen de légitimation plus que comme un moyen d'expression des électeurs, analyse le chercheur Jérémie Moualek. Les trois millions de votes blanc ou nul dimanche n'y changeront sans doute pas grand-chose."

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