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Présidentielle 2022 : le clivage intergénérationnel de l’électorat "dresse un portrait un peu inquiétant du pays et de son avenir", selon un sondeur

Mathieu Gallard, directeur d’études à l’institut de sondage Ipsos, constate que pour la première fois en 2022, "un écart vraiment net" dans le vote s'est dessiné entre les classes d'âge. Et qu'à une fracture sociale et géographique peut s'ajouter une fracture entre générations.

Article rédigé par franceinfo
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Les électeurs des Insoumis à l'annonce des résultats du premier tour de l'élection présidentielle, le 10 avril  2022. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Le vote blanc ou nul est arrivé en tête lors de la consultation qu'a réalisée Jean-Luc Mélenchon auprès de ses soutiens en vue du second tour de la présidentielle. Que ce soit via un vote blanc ou l'abstention, les deux tiers de ces militants ont opté pour ne pas voter en faveur d'Emmanuel Macron. Or le leader de la France Insoumise a obtenu des scores très élevés auprès de la jeunesse et c'est un clivage générationnel qui se dessine aujourd'hui dans l'électorat, selon Mathieu Gallard, directeur d’études à l’institut de sondage Ipsos, interrogé le 17 avril sur franceinfo.

>> Présidentielle 2022 : les deux tiers des soutiens à Jean-Luc Mélenchon interrogés par La France insoumise choisissent de ne pas voter pour Emmanuel Macron

franceinfo : Se dessine-t-il un clivage entre les générations au moment du vote ?

Mathieu Gallard : C'est quelque chose qu'on voyait déjà en 2017, mais qui s'est encore accentué. Chez les jeunes, les moins de 35 ans, on constate un très fort vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui arrive premier chez eux, mais aussi en faveur de Marine Le Pen, alors que chez les seniors, les 60 ans et plus, Emmanuel Macron arrive très largement en tête. Donc, effectivement, entre les générations, il y a de plus en plus des comportements politiques totalement divergents.

Et évidemment, ce fossé générationnel recouvre notamment des différences en termes de positions et de préférences sur la politique économique et sociale à suivre, et aussi des conflits de valeurs avec notamment toutes les questions qui sont liées aux droits des minorités, à l'immigration sur lequelles les jeunes et les plus âgés ont des vues et des perceptions qui sont très différentes.

Est-ce que les jeunes peuvent également avoir le sentiment d'être un peu les grands oubliés de la macronie ?

Emmanuel Macron avait beaucoup dit et beaucoup mis en avant la jeunesse pendant sa campagne en 2017, c’est vraiment une tradition des campagnes électorales. Et c'est vrai qu'il y a peut-être eu le sentiment parmi une partie de la jeunesse d'avoir été oubliée, notamment pendant la crise sanitaire. On le ressent bien quand on écoute les jeunes, qu'ils soient étudiants, qu'ils soient jeunes travailleurs sur le terrain. Et puis, par ailleurs, il y a eu une campagne de Jean-Luc Mélenchon qui a été extrêmement efficace sur le terrain, en parlant notamment de pouvoir d'achat, qui a attiré une partie des voix de cet électorat. Et Marine Le Pen aussi a été sur le même créneau, très active et très offensive sur cette question sociale. Donc, évidemment, cela a attiré ces jeunes qui entrent dans le monde du travail et sont extrêmement incertains, voire inquiets sur leur avenir.

Il y a les questions sociales mais il y a également les questions climatiques, l'idée d'un monde qui aurait été gâché par les "boomers" ?

Tout à fait. C'est vrai qu'on a vu pendant la campagne que l'environnement était une préoccupation importante des Français, au second rang derrière la question du pouvoir d'achat, mais chez les jeunes, très élevée, quasiment aussi fort que le pouvoir d'achat. Et puis évidemment, Jean-Luc Mélenchon, justement, a eu l'intelligence de mettre cet aspect environnemental en avant pendant sa campagne électorale. Et ça lui a permis de prendre l'avantage au sein de la gauche sur Yannick Jadot qui pourtant, au début de la campagne, était évidemment identifié comme le candidat le plus solide sur cet enjeu environnemental.

Est-ce qu'on n'est pas également dans un phénomène plus classique, d'une plus grande radicalité de la jeunesse et d'une plus grande modération des plus âgés ?

Pour ce qui est de la modération des plus âgés, on va dire que chez les électeurs plus âgés, il y a, quoi qu'il arrive, élection après élection, un comportement plus légitimiste. On a tendance à davantage soutenir le parti au pouvoir. Ça, ça se retrouve quasi systématiquement et d'ailleurs dans beaucoup de pays.

"Un extrémisme de la jeunesse ? Pas forcément. Il y a encore quelques années, en tout cas une décennie, il n'y avait pas vraiment de différences très marquées entre le vote des jeunes et le vote des autres catégories de la population."

Mathieu Gallard

à franceinfo

On voyait qu'ils votaient un petit peu plus pour le centre gauche, pour les écologistes, mais les écarts étaient assez peu marqués, finalement. En 2017, on a eu pour la première fois un écart vraiment net et là, il s'est encore accentué. Dans une France dont on sait qu'elle est très fracturée au niveau social, au niveau géographique, si on y ajoute cette dimension générationnelle, ça dresse un portrait un peu inquiétant du pays et de son avenir.

>> Présidentielle : pourquoi l'idée d'un âge limite pour le vote des seniors en convainc certains (et scandalise les autres)

Dans la consultation lancée par les Insoumis, leurs militants avaient le choix entre l'abstention, le vote blanc ou le vote Macron pour le second tour. La semaine dernière, vous nous disiez que, selon les enquêtes d'Ipsos, près de 20% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon voteraient pour Marine Le Pen ?

Jean-Luc Mélenchon et les leaders de La France insoumise ont été très clairs. Au soir du premier tour, ils ont dit qu'il n'y aurait "pas une voix pour Marine Le Pen". Donc, logiquement, ils n'ont pas proposé cette option à leurs militants. Ce qu'on voit, c'est que, en tout cas, depuis quelques jours et depuis le premier tour, la part des électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui voteraient pour Marine Le Pen a tendance à se réduire un petit peu au fil du temps [elle est passée de 18% le 13 avril à 16% le 16 avril, selon le sondage Ipsos pour franceinfo et Le Parisien-Aujourd'hui en France]. On a l'impression que le fameux front républicain se met en place très, très lentement, sous une version très dégradée par rapport à ce qu'on avait en 2017 et encore plus en 2002. Mais peu à peu, il se met en place. On a désormais moins d'un électeur de Jean-Luc Mélenchon sur cinq qui fera ce choix, contre un gros tiers qui voterait pour Emmanuel Macron.

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