Pourquoi Levallois vote toujours Balkany (malgré ses casseroles)
Ses opposants dénoncent une gestion opaque de Levallois-Perret. Sûr de son fait, le maire sortant, visé par plusieurs enquêtes, brigue un cinquième mandat.
Les affaires passent, les Balkany restent. Le couple, qui a dirigé Levallois-Perret d'une main de fer pendant 25 ans, brigue un cinquième mandat dans un climat pesant. Ces dernières semaines, trois fronts judiciaires se sont ouverts. Et pourtant, ils partent favoris.
Il y a d'abord cette enquête pour "blanchiment de fraude fiscale" visant d'éventuels avoirs placés en Suisse par Patrick Balkany, sur la foi de documents transmis à la justice par Didier Schuller, le "repenti" des Hauts-de-Seine. Patrick et Isabelle Balkany sont aussi soupçonnés par la justice d'avoir rémunéré avec de l'argent public un policier municipal utilisé comme chauffeur durant des vacances aux Antilles. Enfin, une enquête est ouverte sur l'emploi fictif présumé d'un guérisseur-magnétiseur, surnommé "le mage". De quoi plomber l'ambiance à la veille du scrutin.
"Balkany est nerveux"
Aucune de ces trois affaires n'a encore donné lieu à une mise en examen, et encore moins à une condamnation. Il en faut davantage pour faire vaciller le maire et son épouse. Il y a 18 ans, en 1996, les juges avaient sorti l'artillerie lourde contre le couple : quinze mois de prison avec sursis assortis, pour Patrick Balkany, de deux ans d'inéligibilité, pour avoir utilisé à des fins personnelles trois employés municipaux rémunérés par la mairie. La sanction aurait pu mettre un terme à la carrière politique de Patrick Balkany, un an après son échec aux municipales de 1995 contre le chiraquien Olivier de Chazeaux. Il n'en a rien été : en 2001, le maire sortant est sèchement battu. Patrick Balkany retrouve son siège de maire, et son épouse s'assoit dans le fauteuil de première adjointe.
Les électeurs de 2014 seront-ils aussi indulgents que ceux de 2001 ? "Ces nouvelles affaires lui feront perdre des voix", veut croire Anne-Eugénie Faure, tête de liste PS aux municipales, qui ne le voit pas être élu dès le premier tour. "Balkany est nerveux, sinon il n'arracherait pas les caméras des journalistes !", appuie Arnaud de Courson, son principal adversaire à droite.
Mais de là à le priver de victoire… "Les affaires, ça ne jouera pas énormément", estime Loïc Leprince-Ringuet, conseiller municipal de droite et d'opposition, qui a décidé de se retirer du jeu sans donner de consigne de vote.
Après la défaite d'Isabelle, celle de Patrick ?
Avec un FN qui peine à boucler sa liste et un PCF relégué à un rôle de témoignage, Arnaud de Courson et Anne-Eugénie Faure seront les seuls, le 23 mars, à pouvoir vraiment empêcher la réélection de Patrick Balkany. Mais la fenêtre de tir sera étroite. Connu à Levallois comme le tombeur d'Isabelle Balkany aux cantonales de 2011, Arnaud de Courson espère rééditer l'exploit. Il y a trois ans, sentant le vent tourner en sa défaveur dans le canton nord (le plus à gauche), Isabelle Balkany était allée se réfugier dans le canton sud, acquis à la droite. En vain. Arnaud de Courson, large vainqueur de ce duel droite-droite, voit dans ce succès retentissant un signe avant-coureur de la chute annoncée des Balkany.
Mais tout n'est pas aussi simple. Dans les rues de Levallois, on se souvient encore de ce 18 mars 2001. Ce jour-là, Isabelle Balkany avait perdu son siège de conseillère générale dans le canton sud face à la candidate du RPR, Danièle Dussaussois. Ce qui n'avait pas empêché la victoire, le même jour, de Patrick Balkany sur Olivier de Chazeaux à l'élection municipale.
Olivier de Chazeaux voit dans ces deux défaites, à dix années d'intervalle, "un rejet d'Isabelle Balkany", alors que son mari conserve un certain pouvoir de séduction auprès de ses administrés. Stratège, rugueuse, parfois cassante, Isabelle Balkany "est incontestablement très intelligente, mais elle est exécrable", témoigne l'ancien maire. "Elle peut envoyer paître les gens, tandis que Patrick Balkany est plus cajoleur avec les habitants", note Anne-Eugénie Faure. Pour un bon connaisseur de la cuisine politique levalloisienne, l'échec d'Isabelle aux cantonales de 2011 sur la moitié de la ville (un scrutin de surcroît marqué par une forte abstention) ne préjuge en rien du score de Patrick en 2014, dans une élection à plus fort enjeu.
Une ville endettée qui gâte ses habitants
En quatre mandats, de 1983 à 1995 et de 2001 à 2014, la majorité Balkany a su choyer son électorat. Le dernier mandat a été l'occasion d'offrir aux Levalloisiens une nouvelle médiathèque, un nouveau conservatoire, une nouvelle piscine avec spa et jacuzzi… En trente ans, la cité ouvrière s'est transformée en une vitrine huppée de l'ouest parisien. La frénésie immobilière encouragée par Patrick Balkany a chassé les classes populaires vers Clichy la socialiste. Levallois, qui est devenue la commune la plus dense d'Europe, offre un niveau de service haut de gamme à ses habitants. La municipalité se targue, par exemple, de disposer de 38 places de crèche pour 100 enfants de moins de trois ans, quand la moyenne nationale n'est que de 15 places pour 100. Chaque année, à Noël, les personnes âgées reçoivent un colis avec bouteille de vin et foie gras.
"La qualité des services est là", reconnaît Loïc Leprince-Ringuet. "Patrick Balkany a su séduire une masse d'électeurs qui sont satisfaits de ces services". Et peu importe si cela coûte cher. Pour l'instant, les Levalloisiens ont été peu mis à contribution pour financer cette politique fastueuse. La ville emprunte. Depuis le retour des Balkany à la tête de la ville, en 2001, la dette est passée de 150 millions d'euros à 730 millions d'euros en 2012. Ce qui en fait, avec 11 400 euros par habitant, la commune la plus endettée de France.
Pour Isabelle Balkany, cette statistique n'est pas pertinente car Levallois ne faisant partie d'aucune communauté d'agglomération, la ville supporte à elle seule la totalité de sa dette. Il n'empêche. "Il va bien falloir payer. Aujourd'hui, la taxe d'habitation sert intégralement à couvrir les intérêts de la dette", se lamente Anne-Eugénie Faure.
Manque de transparence
Au cours de son dernier mandat, la folie des grandeurs du maire n'a pas connu que des succès. Un projet de deux tours de bureaux de 150 m de haut, qui devait rapporter près de 250 millions d'euros à la ville, est tombé à l'eau après la défection de deux investisseurs successifs. Le projet consistera finalement en deux immeubles de huit étages. La semaine dernière, Patrick Balkany a crié victoire en plein conseil municipal, annonçant la signature définitive des droits à construire à la BNP. Laquelle aurait déjà trouvé un locataire : une entreprise du CAC 40 qui aurait promis 4 500 emplois supplémentaires à Levallois, s'est réjoui le maire.
Quelle somme d'argent la ville a-t-elle finalement empoché ? Quelle est cette entreprise du CAC 40 ? Mystère… "Nous ne pouvons pas diffuser le nom avant fin mars car la société est en cours d'information, légalement obligatoire, devant son comité d'entreprise et les syndicats", explique Isabelle Balkany. En cas de second tour le 30 mars, les langues se délieront peut-être.
L'annonce est symptomatique du manque de transparence dont se plaignent les élus d'opposition. La Semalrep, bras immobilier de la municipalité, ne compte dans son conseil d'administration aucun membre de l'opposition. Pour se tenir au courant, les élus doivent scruter les rapports d'activité annuels, publiés longtemps après que les décisions soient prises.
Malgré ces critiques, Patrick Balkany semble en passe de se faire réélire, pourquoi pas dès le premier tour. "Balkany arrivera en tête, suivi d'Arnaud de Courson, puis d'Anne-Eugénie Faure", pronostique un élu. En cas de second tour, une triangulaire semble inévitable. Et tout dépendra de l'écart qui sépare les deux concurrents de droite. "L'antibalkanysme amènera sans doute quelques électeurs de gauche à voter De Courson au second tour. Mais s'il a plus de 5 ou 6% à rattraper sur Balkany, c'est cuit pour lui !"
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