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Municipales 2020 : condamnés ou mis en examen, ces maires briguent un nouveau mandat

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Pour les élus mis en cause, la présomption d'innocence est l'argument le plus souvent utilisé pour justifier un maintien dans leurs fonctions. (JESSICA KOMGUEN ET PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Malgré des lois plus strictes et la pression de l'opinion publique, de nombreux élus mis en cause par la justice ont décidé de se représenter lors du scrutin des 15 et 22 mars.

Il a fallu insister pour obtenir un rendez-vous. D'abord méfiant, Romain Bail a fini par accepter de nous recevoir. "Le seul couperet qui tombera sera celui des électeurs", clame le jeune maire de Ouistreham (Calvados), 36 ans, dont le premier mandat s'achève sur deux condamnations judiciaires (l'une d'elles n'est pas définitive). Des péripéties qui, à l'instar de nombreux autres élus, n'ont pas entamé sa volonté de se représenter aux élections municipales de mars.

"Je ne vois pas pourquoi il faudrait payer une deuxième fois sous prétexte d'une morale et d'une bien-pensance au-delà de ce que prévoit le droit", se justifie-t-il dans son bureau, où trône un tableau représentant la maquette du Centre des relations franco-britanniques. Ce projet de musée mort-né à 15 millions d'euros, qui devait constituer la réalisation phare de son mandat à proximité des plages du Débarquement, est précisément à l'origine de ses tracas judiciaires. En présentant cet investissement – coûteux pour une commune de 9 000 habitants –, Romain Bail avait annoncé à la fin de l'été 2017 avoir reçu une promesse de don de 2,5 millions de livres sterling (3 millions d'euros) de la part du Normandy Memorial Trust (NMT), un fonds d'investissement dépendant de la Couronne britannique. De quoi permettre à la station balnéaire, avec les autres subventions promises, de mener à bien son projet en ne déboursant quasiment rien.

Devant son conseil municipal, le maire avait lu, tout sourire et en anglais, le courrier à en-tête du NMT. Une lettre qui s'est révélée être un faux : le trust britannique ne l'a jamais envoyée, et encore moins promis de subventionner ce projet. L'enquête de gendarmerie a par la suite établi que le faux mail avait été écrit depuis l'ordinateur personnel de Romain Bail, retrouvé à son domicile alors qu'il avait prétendu dans un premier temps l'avoir vendu.

Plus de 800 maires poursuivis, 340 condamnés

S'estimant victime d'une machination et d'une enquête bâclée, Romain Bail a néanmoins été condamné pour faux et usage de faux à un an de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende en première instance. Rejugé en appel en octobre 2019, il sera fixé sur son sort le 27 janvier. A Ouistreham, les habitants sont partagés. Voter pour un maire condamné par la justice ? "Ça ne me dérange absolument pas car il a fait de l'excellent travail malgré quelques maladresses", juge Jean, un retraité rencontré sur le marché. "Ce sont des faits graves, ce n'est pas très glorifiant pour notre ville qu'il se représente", estime au contraire Sophie, qui veut "tourner la page".

Il est peut-être très brillant, très à l'aise, mais moi je préfère voter pour quelqu'un d'intègre.

Serge, habitant de Ouistreham

à franceinfo

L'affaire du Centre des relations franco-britanniques n'est pas la seule à avoir défrayé la chronique de cette ville portuaire. Début juillet, Romain Bail a été condamné pour avoir lui-même verbalisé, dans la rue où il est domicilié, une quinzaine de véhicules appartenant à des militants associatifs qui venaient en aide à des migrants sur un campement. Un abus d'autorité pour le tribunal, qui lui a infligé six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende, une peine que le maire n'a pas contestée en appel. Dans ce dossier, il est allé jusqu'à faire voter par son conseil municipal la prise en charge de ses frais de justice par la commune. Saisi par l'opposition, le préfet a annulé la délibération…

Comme Romain Bail, des centaines d'élus ont été mis en cause par la justice à un moment de leur mandat. Dans la période 2014-2020, selon une estimation de l'Observatoire Smacl des risques de la vie territoriale, ils seraient 827 maires (ou anciens maires) à avoir été l'objet de poursuites. Parmi eux, 340 (soit 41%) ont fini par être condamnés. Les manquements au devoir de probité (prise illégale d'intérêts, détournement de fonds publics, favoritisme, corruption, trafic d'influence, escroquerie, etc.) constituent la première cause de poursuites, devant les atteintes à l'honneur (diffamation, dénonciation calomnieuse) et les atteintes à la dignité et à l'intégrité psychique (discriminations, appels à la haine, harcèlement moral, menaces, etc.).

"Six mois de prison avec sursis, c'est rien !"

Dans cet inventaire non exhaustif, toutes les infractions ne présentent pas le même niveau de gravité, et certaines sont plus difficilement prouvables que d'autres. La prise illégale d'intérêts, qui consiste pour un élu à "prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque", par exemple via un vote en conseil municipal, est l'un des délits les plus simples à caractériser. "A partir du moment où le maire a voté une délibération qui lui octroie un avantage quel qu'il soit, l'infraction est constituée", explique Jean-Christophe Picard, président de l'association Anticor. Une simple maladresse, sans volonté coupable ni enrichissement personnel, peut donc donner lieu à une condamnation.

C'est aux élus de faire attention. Ils se doivent de garantir l'impartialité des décisions politiques, de défendre l'intérêt général et non leurs propres intérêts.

Jean-Christophe Picard, président d'Anticor

à franceinfo

Mis en cause par la justice, parfois pour des faits graves, de nombreux maires ont malgré tout décidé de se représenter aux prochaines municipales. C'est le cas de la maire d'Aix-en-Provence, Maryse Joissains, 77 ans, candidate à un quatrième mandat malgré une condamnation en appel, au mois de mai, à six mois de prison et un an d'inéligibilité pour détournement de fonds publics et prise illégale d'intérêts.

La justice lui reproche la promotion éclair de son chauffeur et l'embauche à la communauté de communes d'une collaboratrice chargée de la protection animale, alors que cette collectivité n'est pas compétente dans ce domaine. "Six mois de prison avec sursis, c'est rien !" avait-elle balayé en décembre, interrogée par France 2.

Je bénéficie de la présomption d’innocence, j'ai toutes les capacités pour me présenter.

Maryse Joissains, maire d'Aix-en-Provence

lors d'une conférence de presse

Au cours d'une conférence de presse le 10 janvier évoquée par Le Monde, Maryse Joissains a également déclaré qu'en tant qu'avocate, elle avait "des qualités juridiques au moins égales à celles des magistrats" qui l'ont jugée.

Des maires qui se font très discrets

Pour un maire, une condamnation à une peine d'inéligibilité entraîne sa démission d'office et l'impossibilité de se présenter à une élection dans le délai couvert par la sanction. Mais encore faut-il que cette condamnation soit définitive. Ce qui n'est pas le cas de la maire d'Aix-en-Provence, puisque celle-ci a formé un pourvoi en cassation. De source judiciaire, cette décision pourrait intervenir dans un délai relativement court, éventuellement avant le scrutin. L'intéressée aurait d'ailleurs déjà prévu un "plan B" en cas de condamnation, en soutenant une candidature de sa fille, la sénatrice UDI Sophie Joissains.

Mais la verve de Maryse Joissains reste une exception. Parmi les maires mis en examen ou condamnés et candidats à leur réélection que franceinfo a tenté de contacter, très rares sont ceux qui ont accepté de s'exprimer sur leurs démêlés judiciaires. Gênés aux entournures, la plupart opposent des fins de non-recevoir polies, ou ignorent tout simplement les sollicitations.

Brigitte Barèges, maire de Montauban (Tarn-et-Garonne) mise en examen en 2015 pour détournement de fonds publics et candidate à un nouveau mandat, a ainsi refusé de répondre à nos questions. Idem au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) avec Jean-Marc Nicolle, poursuivi, entre autres, pour corruption active et passive, abus de confiance, blanchiment et trafic d'influence pour avoir perçu des centaines de milliers d'euros de la part d'entreprises de BTP en échange de marchés publics, le tout pour assouvir une addiction aux jeux d'argent.

Ministre et maire : deux poids, deux mesures ?

Le cas de François Bayrou est différent : mis en examen début décembre pour complicité de détournement de fonds publics dans l'enquête sur les soupçons d'emplois fictifs des assistants d'eurodéputés du MoDem, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) n'a pas encore fait savoir s'il se présenterait pour un nouveau mandat. En cas de candidature de l'ex-garde des Sceaux, ses opposants ne se priveraient pas de souligner les paradoxes de celui qui voulait moraliser la vie politique en 2017. "Il avait démissionné du gouvernement dès le stade de l'enquête préliminaire, mais on peut visiblement rester maire de Pau après une mise en examen", s'étonne auprès de franceinfo le conseiller municipal d'opposition (PCF) Olivier Dartigolles.

François Bayrou a eu le verbe très haut sur cette thématique, jusqu'à apparaître comme un donneur de leçons, mais les actes ne sont pas au rendez-vous.

Olivier Dartigolles, conseiller municipal d'opposition à Pau

à franceinfo

A Cercottes (Loiret), Martial Savouré-Lejeune a, lui, écopé d'une condamnation en première instance : un an de prison avec sursis, 20 000 euros d'amende et deux ans d'inéligibilité pour une affaire d'escroquerie à l'assurance après les inondations qui avaient touché sa commune en 2016. Contacté par franceinfo pour connaître ses intentions aux prochaines municipales, il n'a pas donné suite, pas davantage que le maire de Fontaine (Isère), Jean-Paul Trovero, condamné à un mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende pour favoritisme.

Pour les élus mis en cause, la présomption d'innocence est l'argument le plus souvent utilisé pour justifier un maintien dans leurs fonctions. Et dans quelques cas, leur choix est conforté par la suite de la procédure judiciaire. Condamné initialement à une lourde peine de huit mois de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité pour trafic d'influence passif, le maire de Saint-Bonnet-Tronçais (Allier) a finalement bénéficié d'une relaxe en appel. "J'avais pris un gros coup derrière la tête au moment de ma mise en cause et du procès, mais cette relaxe m'a reboosté", témoigne aujourd'hui Alain Gaubert, en lice pour un nouveau mandat.

Une inéligibilité automatique ?

Des associations comme Anticor ou Transparency France militent pour que les élus reconnus coupables de manquements à la probité soient automatiquement rendus inéligibles. La loi pour la confiance dans la vie politique, votée à l'été 2017, a rendu obligatoire une peine d'inéligibilité (pouvant aller jusqu'à dix ans) pour une large série d'infractions. Une obligation toute relative puisque le juge peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas infliger cette peine en fonction des circonstances ou de la personnalité de la personne condamnée. Autre limite : cette obligation ne s'applique qu'aux infractions commises depuis l'adoption de cette loi. Résultat, des dizaines d'élus condamnés sans peine d'inéligibilité pourront se représenter en mars, regrette Transparency International dans un rapport.

Pour rendre l'inéligibilité vraiment automatique, ces associations proposent depuis plusieurs années qu'un casier judiciaire vierge soit requis pour se porter candidat à un mandat électif. Cette mesure, d'ailleurs reprise par Emmanuel Macron dans son programme présidentiel, avait été votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture en février 2017. Avant d'être abandonnée par la nouvelle majorité en raison d'un risque d'inconstitutionnalité. La solution pourrait donc passer par l'inscription de cette obligation directement dans la Constitution, mais l'exécutif n'a pour le moment pas repris cette idée à son compte.

Enfin, l'exigence d'un casier vierge pour concourir à une élection comporterait encore quelques trous dans la raquette. Alain Carignon, maire RPR de Grenoble de 1983 à 1995, a été condamné en 1996 pour corruption à cinq ans de prison, dont un avec sursis, et cinq ans d'inéligibilité. Or, ce type de condamnation peut faire l'objet d'un effacement du casier judiciaire au bout de dix ans si aucune autre infraction n'est commise entre-temps. Sa candidature – très controversée – aux prochaines municipales n'aurait sans doute pas pu être empêchée, même avec ce dispositif. Interrogé en septembre sur RTL, Alain Carignon faisait d'ailleurs valoir son droit à la réhabilitation, près de trente ans après les faits : "J'ai payé mes fautes, j'en ai tiré les conséquences. J'en ai tiré la leçon, je n'ai rien volé."

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