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Municipales 2020 : au Havre, la "campagne à la hussarde" d'Edouard Philippe pour se défaire de son image de Premier ministre

Fuyant les caméras comme les opposants à la réforme des retraites, Edouard Philippe tente de se débarrasser de son costume de chef du gouvernement sur sa terre d'élection. 

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Le Premier ministre Edouard Philippe en déplacement au Havre dans le cadre de sa campagne municipale le 1er février 2020. (Lou BENOIST / AFP / FRANCEINFO.FR)

Le rendez-vous est fixé. Ce sera finalement 11 heures dans les salons du Novotel, près de la gare du Havre (Seine-Maritime). Edouard Philippe tient une conférence de presse pour annoncer, vendredi 14 février, les premiers noms de la liste dont il a pris la tête pour les élections municipales. Le lieu et l'heure ont été communiqués au dernier moment. Officiellement, il s'agit d'une question d'organisation. Officieusement, cela permet aussi d'éviter les opposants à la réforme des retraites qui ont dégradé la veille le local de campagne d'Edouard Philippe et ont déjà perturbé son premier meeting.

Le local de campagne d'Edouard Philippe au Havre tagué, le 14 février 2020. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Les consignes sont distillées à la quinzaine de journalistes présents. "Aucune question natio ou sur Griveaux, sinon, il s'en va. Il l'a déjà fait !", prévient son équipe. Effectivement, le Premier ministre tournera brusquement les talons en fin de conférence de presse après une relance sur l'abandon de Benjamin Griveaux dans la course à la mairie de Paris. "Quand je suis au Havre, je parle du Havre", martèle-t-il, après avoir apporté sa "sympathie" et son "soutien" à l'ancien porte-parole du gouvernement.

"Je pense qu'il y aura un vote sanction"

Dans cette campagne, Edouard Philippe fait tout pour éviter d'apparaître comme le Premier ministre en charge des réformes sociales menées depuis le début du quinquennat. Il refuse de trop s'exposer aux caméras des médias nationaux et fuit les questions liées à la politique du gouvernement. Il a d'ailleurs habilement composé sa liste dans un esprit hérité du macronisme, en cherchant à casser les clivages et en promettant une "liberté intellectuelle" à ses colistiers. "Il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord d'un point de vue national, mais ce qui m'intéresse, c'est le bilan et ce qu'il propose au niveau local", défend Wasil Echchenna, 29 ans, ancien membre du PS qui a rejoint la liste du Premier ministre. Même son de cloche du côté de Caroline Leclercq, avocate au barreau du Havre, qui ne cache pas qu'elle poursuit le mouvement de grève contre la réforme des retraites.

Ce qui m'intéresse, en tant que maire, c'est de trouver des solutions, ici au Havre.

Edouard Philippe

en conférence de presse

A l'écouter, Edouard Philippe enlèverait son costume de Premier ministre avant d'arriver au Havre pour revêtir celui de candidat et ancien maire de cette ville industrialo-portuaire de 170 000 habitants. Cette stratégie n'est pas dénuée de fondements dans une ville dirigée jusqu'en 1995 par le Parti communiste. "C'est un peu particulier ici, ces dernières années on vote plutôt à droite lors des élections municipales et plutôt à gauche lors des scrutins nationaux", résume Luc Lefèvre, animateur du comité local de LREM. Lors de la présidentielle de 2017 au Havre, Jean-Luc Mélenchon a terminé en tête du premier tour avec près de 30% des voix, devant Emmanuel Macron (21,42%) et Marine Le Pen (20,25%). Mais Edouard Philippe préférera se souvenir des 52% qui lui ont permis d'être élu dès le premier tour aux municipales de 2014.

En choisissant d'être tête de liste, le chef du gouvernement a malgré tout pris le risque de transformer cette élection en référendum pour ou contre la politique de l'exécutif. Conscients de l'opportunité, les autres candidats n'oublient pas de rappeler le statut de leur adversaire. "La candidature d'Edouard Philippe a clairement nationalisé cette campagne et je pense qu'il va y avoir un vote sanction", prédit le candidat RN Frédéric Groussard. "Si les thèmes de campagne portent sur des enjeux nationaux, cela fera une occasion de voter contre la politique du gouvernement", se réjouit la candidate de Lutte ouvrière, Magali Cauchois. "On va lui rappeler qu'il est totalement responsable de la politique nationale, ajoute Jean-Paul Lecoq, député communiste également candidat, dont le nom revient souvent dans la bouche des Havrais interrogés. Il s'agit de cet individu-là, en face de nous, qui fait des textes régressifs, comme la loi sur le secret des affaires ou la loi Elan, et qui va arriver devant nous en disant : 'Moi, je ne fais pas la même chose au niveau local que national'."

"Cette candidature est une provocation"

Réunions d'appartement, rencontres avec les acteurs locaux, visites de terrain en petit comité... Le Premier ministre candidat mène une campagne classique de terrain, comme en 2014. Sauf que depuis, il a passé presque trois ans à Matignon. Lors de son premier week-end de campagne, il s'est ainsi laissé surprendre par la nuée de journalistes venue couvrir l'événement. "Il ne pouvait pas faire un pas dehors à cause des caméras", raconte son entourage qui assure avoir des demandes de journalistes allemands ou portugais. Le chef du gouvernement a décidé de retrouver sa tranquillité et les journalistes sont depuis tenus à l'écart. Son compte Twitter suffit à son bonheur pour rendre compte de sa campagne.

En jouant la carte de la discrétion, il s'évite aussi les confrontations avec certains opposants. "On proteste contre le gouvernement et sa réforme des retraites, on profite donc de sa présence pour lui rappeler qu'on est toujours là, remarque Sandrine Gérard, secrétaire générale de l'Union des syndicats CGT du Havre. Cette candidature nous semble être une provocation. Comment peut-on se présenter en tête de liste et rester à Matignon en cas de victoire ?" Déterminés à se faire entendre, les membres de la CGT tentent ainsi régulièrement de se renseigner sur l'agenda du candidat Edouard Philippe pour prévoir leurs actions militantes.

"Heureusement qu'on a un an d'avance sur lui"

Les jours de marché s'apparente du coup à un jeu du chat et de la souris pour tenter de croiser Edouard Philippe. Samedi 15 février, il fallait se trouver sur le parking du Champ de Foire, à côté de l'université, pour apercevoir la silhouette longiligne du Premier ministre. "Bonjour, comment ça va ? Une photo avec le petit ?" Le candidat soutenu par La République en marche se livre à une rapide déambulation entre les stands de friperies et de légumes, distribuant quelques poignées de main dans un style très chiraquien. "Il faut passer plus souvent !" lance un commerçant. "Ah, j'aimerais bien, vous savez", répond le candidat qui tente de gérer sa campagne avec son agenda de Premier ministre. Le week-end précédent, il a été contraint de rentrer en urgence à Paris pour une réunion de crise interministérielle après la découverte de cinq nouveaux cas de coronavirus.

Edouard Philippe à la rencontre des habitants, le 15 février 2020, sur un marché du Havre. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Le timing est millimétré. "On n'avance pas, là", s'impatiente un membre de l'équipe. Encore quelques clichés et il est déjà temps de s'éclipser discrètement. Au passage, le candidat croise les militants tractant pour la liste de Jean-Paul Lecoq.  "A force de ne plus vous voir, les Havrais vont oublier votre visage", lance un jeune "insoumis". "Il est resté 10 minutes avant de partir en vitesse, les gens veulent se faire prendre en photo avec lui parce qu'il est Premier ministre, mais nous on rencontre surtout des habitants en colère." Avec trois jours par semaine consacrés à sa campagne havraise, le Premier ministre n'a pas de temps à perdre. "On a en face de nous un poids lourd qui fait campagne à la hussarde, à toute vitesse, avec la force d'un Premier ministre", confirme Jean-Paul Lecoq.

On ne va pas à la même vitesse, mais heureusement qu'on a un an d'avance sur lui.

Jean-Paul Lecoq

à franceinfo

"Le combat est un peu déséquilibré. Il rentre partout, toutes les portes lui sont ouvertes, peste le député communiste. Et puis quand on est Premier ministre de la sixième puissance mondiale, au moment notamment du coronavirus et du Brexit, on a peut-être autre chose à faire que de venir être tête de liste intérimaire au Havre." Alexis Deck, candidat d'une liste soutenue par Europe Ecologie-Les Verts et le Parti socialiste, se montre plus mesuré : "Il y a une certaine fierté des Havrais d'avoir un maire qui a été appelé à Matignon, mais toute une partie de la population est aussi très énervée par l'exécutif et sa politique."

Edouard Philippe interpellée par une habitante sur la question de l'hôpital public, le 15 janvier 2020, sur la promenade de la plage du Havre. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

"Certains habitants considèrent qu'il y a quand même un peu de mépris dans cette candidature, notamment pour le maire sortant, Jean-Baptiste Gastinne", ajoute le candidat écologiste. Dans les rues du Havre, les avis sont partagés. "Je pense qu'il a le bras long et que ça peut nous apporter des avantages économiques. En revanche, ça me dérange de le voir faire sa campagne alors qu'il est à Matignon", témoigne Cécile, une mère de famille de 42 ans rencontrée au marché Sainte-Cécile. "C'est un peu un manque de respect pour les Havrais, d'annoncer qu'il ne sera pas maire en cas d'élection", juge de son côté Bertrand, un jeune de 34 ans.

"Je ne vais pas tout régler tout de suite"

"Comment voulez-vous être maire alors que vous n'habitez même plus au Havre ?" lance une passante à Edouard Philippe, venu sur la plage de la ville pour rencontrer les jeunes sauveteurs en mer formés par la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). "J'habite pas loin d'ici", tente de se défendre le Premier ministre, qui assure que son engagement pour la ville reste intact. Il est ensuite interpellé par une autre habitante sur la crise de l'hôpital public. "J'essaye de régler les problèmes, mais ça je ne vais pas tout régler tout de suite", argumente-t-il calmement. L'étiquette de Premier ministre est parfois difficile à enlever.

Edouard Philippe discute avec des jeunes en fomation pour devenir sauveteurs en mer, le 15 janvier 2020, au Havre. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Il faut dire que le candidat de la droite et du centre n'a toujours pas dévoilé son programme. Il promet qu'il sera révélé rapidement, tout comme sa liste complète, qui doit être annoncée le 20 février. En attendant, les militants distribuent des tracts pour vanter le bilan de la majorité sortante, à propos des tarifs des cantines scolaires ou en matière de développement du vélo. "Et si on continuait !" suggère l'imprimé.

De leur côté, les deux listes de gauche, incapables de s'entendre sur une liste commune, misent tout sur l'écologie. La liste de Jean-Paul Lecoq propose notamment la gratuité sur les premiers mètres cube d'eau et une tarification progressive, l'objectif d'une ville sans publicité et la gratuité des transports en commun. Jean-Paul Lecoq n'hésite pas à rappeler qu'en tant que Premier ministre, Edouard Philippe a finalement soutenu le projet de canal Seine-Nord, après avoir été longtemps opposé à cette autoroute fluviale. Le projet pourrait avantager le port de Dunkerque, au détriment des dockers du Havre. "Un Premier ministre s'il n'est pas d'accord, il démissionne", tacle le député communiste.

"Il ne sera pas éternellement Premier ministre"

Aucun sondage fiable n'a été pour l'instant publié pour la ville du Havre. Chacun se livre donc à son pronostic. "J'espère que la présence d'Edouard Philippe va mobiliser le camp des gens qui n'en veulent plus, pour faire basculer l'élection", analyse le communiste Jean-Paul Lecoq, qui n'oublie pas les 53% d'abstentionnistes de 2014.

Je ne pense pas que ça passera au premier tour cette fois-ci, mais au deuxième tour, il ne devrait pas y avoir de problème.

Luc Lefèvre

à franceinfo

Plus pragmatique, Edouard Philippe continue de foncer dans cette campagne et de répondre aux inquiétudes de ses électeurs face à un candidat Premier ministre éloigné du Havre. "Il répond qu'il ne sera pas éternellement Premier ministre, confie son entourage. L'autre jour, on lui a demandé en réunion d'appartement : 'Et si Macron est réélu ?' Il a répondu, non Matignon ce sera fini pour moi."

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