Résultats européennes 2019 : les eurosceptiques peuvent-ils s'unir pour faire trembler le Parlement ?
Toutes formations confondues, le camp eurosceptique devrait occuper jusqu'à un quart de l'hémicycle européen.
"La poussée de nos alliés en Europe et l'émergence de nouvelles forces politiques sur tout le continent, défendant l'intérêt des peuples et des nations, ouvre la voix à la constitution d'un groupe puissant au sein du Parlement européen !" Lorsqu'il prend la parole, dimanche 26 mai sur l'estrade de La Palmeraie à Paris, Jordan Bardella affiche sa confiance.
Arrivé en tête des suffrages lors des élections européennes, le Rassemblement national va pouvoir s'allier à d'autres formations eurosceptiques pour peser sur les décisions prises au sein du Parlement européen. La tête de liste du parti d'extrême droite français a-t-elle raison de crier victoire, ou s'est-elle réjouie trop vite ?
La deuxième force du Parlement
Sur le papier, le Rassemblement national a des raisons de bomber le torse : le Parlement européen de Strasbourg n'a en effet jamais compté autant d'eurodéputés souverainistes sur ses bancs. Il suffit d'additionner les sièges occupés par les formations de droite radicale pour s'en convaincre.
Selon les projections du Parlement, 58 eurodéputés devraient ainsi rejoindre le groupe de l'Europe des nations et des libertés (ENL) qui réunit le Rassemblement national de Marine Le Pen et la Ligue de Matteo Salvini. Les Conservateurs et réformistes européens (ECR), le groupe dans lequel siègeaient sous la précédente mandature, notamment les membres du Droit et justice (PiS) polonais et les Tories britanniques, est crédité de 59 sièges. L'Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), où siège le Mouvement 5 étoiles italien et que devrait rallier le nouveau parti europhobe de Nigel Farage, grand vainqueur des élections au Royaume-Uni, devrait enfin atteindre les 54 eurodéputés.
A eux trois, ces groupes parlementaires devraient ainsi totaliser 171 députés, contre 155 sièges lors de la précédente mandature. Mais cette croissance est limitée, comme l'indique à franceinfo Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et à l'université de Nice-Sophia Antipolis spécialiste de l'extrême droite et des mouvements populistes. "La poussée n'est pas aussi importante qu'on aurait pu le croire. On avait l'impression qu'ils étaient inarrêtables mais, finalement, chaque parti a des scores assez comparables à leurs législatives. Ils se consolident plutôt qu'ils ne gagnent des voix", analyse cet expert.
Au final, ces trois formations réunies constituent "désormais la deuxième force politique du nouvel hémicycle, plus très loin du PPE [la droite traditionnelle]" et ses 180 sièges, analyse Le Monde.
Le Brexit pourrait affaiblir l'extrême droite
Cette union des droites radicales peut-elle pour autant constituer le "groupe puissant" dont rêve Jordan Bardella ? Pas si simple : d'abord parce que si ce bloc eurosceptique théorique est plus important que jamais avec ses 171 membres, il reste très loin des 376 élus nécessaires pour obtenir une majorité absolue dans l'hémicycle.
Ensuite, parce que ses effectifs pourraient rapidement être amputés : si le Royaume-Uni quitte effectivement l'Union européenne d'ici au 31 octobre, la trentaine de membres du parti du Brexit quittera les bancs des différents groupes eurosceptiques.
Par ailleurs, malgré les déclarations de Louis Aliot, qui indiquait lundi matin sur RTL que le Rassemblement national négociait une alliance avec Nigel Farage, il n'est pas si évident que le tandem Le Pen-Salvini puisse compter sur le soutien du parti du Brexit. Nigel Farage, le grand gagnant du scrutin outre-Manche, a en effet quitté son parti historique Ukip, en raison de ce qu'il estimait être une dérive droitière, et a fait campagne en refusant d'être associé à l'extrême droite, rapporte Le Figaro.
Moscou, pomme de discorde de l'extrême droite
Le principal problème qui attend les formations eurosceptiques réside en fait dans leur capacité à dépasser leurs nombreux désaccords pour ne former qu'un seul groupe parlementaire, comme l'indique Gilles Ivaldi à franceinfo.
Le véritable enjeu, c'est le système d'alliance. [Ces partis] ont beaucoup de liens idéologiques mais ne sont pas forcément prêts à coopérer entre eux.
Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et spécialiste des mouvements populistesà franceinfo
Premier point d'achoppement : la relation de ces diverses formations avec Moscou. Marine Le Pen et Matteo Salvini considèrent la Russie comme une alliée potentielle, tandis que plusieurs formations eurosceptiques d'Europe du Nord ou d'anciens pays communistes y sont allergiques. "Le parti Droit et justice (PiS) polonais ou l’extrême droite suédoise refusent de s'allier avec Marine Le Pen, précisément pour cette raison", écrit Le Monde, qui rapporte les propos d'un eurodéputé de l'AfD allemand qui jugeait dès dimanche soir "peu probable" une coopération avec la formation polonaise, qui compte 26 élus.
De profondes divergences économiques séparent également Marine Le Pen d'éventuels alliés de droite radicale, expliquait mi-mai à franceinfo Nicolas Lebourg, membre de l'Observatoire des radicalités politiques et coauteur de l'ouvrage Les Droites extrêmes en Europe (Le Seuil, 2015).
Marine Le Pen est beaucoup moins pro-européenne et beaucoup plus interventionniste économiquement que la quasi-totalité des extrêmes droites au Parlement européen.
Nicolas Lebourg, coauteur du livre "Les Droites extrêmes en Europe"à franceinfo
Ce spécialiste estimait notamment que le Rassemblement national était bien éloigné des positions du FPÖ autrichien, qui est favorable à "un marché européen et pour un minimum de coordination entre les pays d'Europe. Les membres du FPÖ sont d'extrême droite, mais considèrent que l'Europe est un instrument pratique", ajoutait Nicolas Lebourg.
Pour les eurosceptiques européens, l'allié de choix pourrait s'appeler Viktor Orban. Le parti national-conservateur Fidesz du Premier ministre hongrois a écrasé la concurrence lors des élections européennes en raflant 52,3% des suffrages, devançant de plus de 35 points l'opposition de centre-gauche.
Suspendu par le Parti populaire européen (PPE) en raison de ses attaques contre Bruxelles, le dirigeant souverainiste entend jouer un rôle majeur dans la recomposition de la droite européenne et a multiplié les contacts avec Matteo Salvini, le FPÖ autrichien et le PiS polonais. Mais le Premier ministre hongrois bute sur un nom : Marine Le Pen, dont il juge la réputation trop sulfureuse.
Interrogé dans un article publié le 13 mai par Bernard-Henri Lévy pour le magazine américain The Atlantic, Viktor Orban a d'ailleurs tenu à affirmer qu'il n'avait "rien à voir avec Marine Le Pen. Rien." Questionné sur les raisons de sa défiance envers la patronne du RN, le Premier ministre hongrois a répondu que son "ami" Laurent Wauquiez l'avait prévenu que fréquenter l'ancienne candidate à l'élection présidentielle de 2017 "était une ligne rouge". Marine Le Pen devra déployer des trésors de diplomatie pour tenter de faire changer d'avis ce poids lourd de la droite souverainiste si elle veut constituer un groupe encore plus "puissant".
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