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Européennes : l'économiste du FN quitte l'ombre pour la campagne

Tête de liste dans le Massif central-Centre, Bernard Monot participe à sa première campagne, après avoir rédigé en secret le programme économique du Front national.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La tête de liste FN aux européennes pour la circonscription Centre-Massif central, Bernard Monot, (D) s'entretient avec le céréalier Jean-Luc Martin (G), le 21 mai 2014, à Bailleau-l'Evêque (Eure-et-Loir). (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Ce jour-là, Nicolas Pavillon est devenu Bernard Monot. Après des années à l'abri d'un pseudonyme, le conseiller économique de Marine Le Pen a été présenté publiquement par la présidente du Front national, le 24 février, à Chartres (Eure-et-Loir), en tant que tête de liste aux élections européennes. Près de trois mois après ce "coming out" politique, francetv info a suivi cette tête pensante du FN, en campagne dans la circonscription Massif central-Centre.

"Je suis sorti de l'ombre parce que la situation de la France est grave, explique Bernard Monot, mercredi 21 mai, en tendant une carte de visite imprimée à son (vrai) nom. Nous n'en sommes qu'au début du commencement de la crise." Attablé devant un "noisette" au Café de la place, à Bailleau-l'Evêque, à la sortie de Chartres, l'homme de 51 ans raconte son parcours de "frontiste de longue date", entamé à la fin des années 70.

Militantisme de bureau

C'est l'histoire d'un ado contaminé par le "virus de la patrie" lors d'un discours de Jean-Marie Le Pen, "qui dénonçait déjà la perte de souveraineté de la France". Puis le dilemme d'un économiste, encarté au Front national dès 1989 mais soucieux de ne pas mettre en péril sa carrière chez Allianz, Natixis et, aujourd'hui, "une institution financière française" (la Caisse des dépôts).

En 2005, sans faire de bruit, ce simple adhérent revient auprès de Jean-Marie Le Pen, pour "l'alerter sur un cataclysme financier à venir dans les cinq ans". Bernard Monot affirme avoir été "le premier à anticiper la crise mondiale". En 2007, après la présidentielle, il s'impose au sein du Front national en corédigeant le nouveau programme économique du parti - son "plus gros acte de militantisme" au FN, à défaut de campagnes et de meetings, trop risqués pour son image professionnelle.

"Bernard est chouchouté"

Ce mercredi, après le café, l'économiste en col blanc promène ses yeux bleus sur les machines agricoles de Jean-Luc Martin, céréalier à Bailleau-l'Evêque. "Vous savez, quand j'avais 13 et 14 ans, j'ai été ouvrier agricole, chaque été, dans le Gers", s'empresse-t-il d'annoncer, soucieux de ne pas être réduit à ce costume de cadre qu'il porte depuis des décennies. 

Le gérant de l'exploitation est un sympathisant frontiste, ami d'un colisitier de Bernard Monot. Une visite de campagne sans risque pour le candidat néophyte. L'agriculteur s'inquiète même pour les souliers de la tête de liste et lui aménage un parcours au sec.

Les candidats FN aux élections européennes Bernard Monot et Bruno Gollnisch, le 21 mai 2014, lors d'une conférence de presse, à la permanence du FN à Chartres (Eure-et-Loir).  (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

"Bernard est chouchouté", reconnaît Bruno Gollnisch, candidat dans le Sud-Est. Le député européen FN sortant est de passage à Chartres pour épauler Bernard Monot, lors de sa conférence de presse et de sa réunion publique du jour. A chacune de ses douze réunions dans les treize départements de la circonscription, l'économiste a reçu la visite d'un ténor du parti (Le Pen père, fille, et nièce, Florian Philippot, Gilbert Collard, etc.), utile pour attirer les spectateurs.

"Sauver les territoires ruraux"

Un traitement de faveur d'autant plus bienvenu que Bernard Monot n'a aucun ancrage dans sa circonscription. Parisien né à Nice, la tête de liste dit avoir eu le choix entre l'Ouest et le Massif central-Centre. "J'ai opté pour la seconde proposition, car c'est une région très rurale, indique-t-il. En tant qu'économiste, je m'intéresse à l'économie agricole, car c'est l'économie première." A défaut d'expérience de terrain, il affirme ressentir "intuitivement" la désertification de la région, d'où son slogan "Sauver les territoires ruraux, c'est voter Bernard Monot".

Lors d'un débat organisé la veille par France 3, la tête de liste UMP Brice Hortefeux n'a pas manqué d'attaquer son rival sur ce parachutage, lui conseillant "d'apprendre déjà le nom des treize départements". Pas de quoi perturber Bernard Monot. A ce sujet, la ligne du FN est claire : "Nous n'accordons aucune espèce d'importance à ces circonscriptions, résume Bruno Gollnisch. Pour nous, ce scrutin est national."

"Il veut être trop exhaustif"

Pour mener sa campagne sur le terrain, Bernard Monot s'est entouré d'une liste de responsables frontistes du cru, pour certains déjà croisés lors de conseils nationaux ou d'universités d'été du parti. Ses colistiers s'amusent de ses origines, à l'image de Michel Chassier, secrétaire départemental FN du Loir-et-Cher, lors d'une discussion sur le meilleur horaire pour une réunion publique.

- "La sortie des bureaux, c'est à 19 heures, dit la tête de liste. 

- 19 heures ? C'est à Paris ça ! Ici, les bureaux sont vides depuis longtemps."

Le candidat a reçu le renfort d'un spécialiste de la communication, par ailleurs maire de Villedieu-le-Château (Loir-et-Cher) et 9e sur la liste, Jean-Yves Narquin. "Bernard sait ce qu'il dit, et je l'aide à dire ce qu'il sait, explique le cofondateur du Rassemblement bleu Marine, fils d'un député gaulliste et frère de l'ancienne ministre UMP Roselyne Bachelot. Il veut être trop exhaustif, alors qu'il faut forcément simplifier et savoir conclure par la bonne formule que les gens retiendront."

Le candidat FN aux européennes Bernard Monot s'exprime lors d'une réunion publique, le 21 mai 2014, à la mairie de Chartres (Eure-et-Loir). (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

L'euro, une "arnaque"

Lors de la réunion publique du soir, devant moins de cent personnes, Bernard Monot s'exprime après Jean-Yves Narquin et avant Bruno Gollnisch, chargé du bouquet final. Sur scène comme devant un journaliste, le candidat parle peu de lui et ramène tout à ses dossiers du moment, dans une avalanche de chiffres : l'euro (une "arnaque" qui "crée du chômage" et dont il veut sortir), la "PAF" (Politique agricole française, qu'il souhaite substituer à la PAC, "qu'on donne aux pays de l'Est et qui ne profite pas à la France") et le traité de libre-échange transatlantique (qu'il qualifie en boucle d'"infamie").

Mais il n'est pas facile de s'improviser tribun. D'une voix moins ferme que celle des deux autres orateurs, il bafouille en prononçant "Caisse des dépôts et consignations" et se fait souffler le premier mot de la PAC ("Politique agricole commune"). "Je suis plus habitué aux conférences macro-économiques et financières", reconnaissait-il, avant de monter sur scène. Quasiment assuré d'être élu parlementaire européen, dimanche, Bernard Monot pourra bientôt retrouver, à Strasbourg et Bruxelles, le confort des bureaux.

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