Européennes 2024 : comment expliquer une telle profusion de listes ?

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
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Un bureau de vote à Strasbourg lors des précédentes élections européennes, le 26 mai 2019. (PATRICK HERTZOG / AFP)
Pas moins de 37 listes ont été enregistrées. Les conditions pour se présenter au scrutin du 9 juin, plutôt souples, permettent à de nombreux mouvements de se lancer dans l'aventure.

Pour les animaux, les droits des enfants, le fédéralisme européen, la ruralité ou encore l'espéranto… Comme en 2019, pléthore de listes sont en course pour les élections européennes. D'après le Journal officiel du samedi 18 mai, 37 listes ont été enregistrées pour tenter d'obtenir des eurodéputés lors du scrutin du 9 juin en France, ce qui constitue un record.

S'il est élevé, ce nombre de listes n'est pas illogique, tant les conditions pour se présenter ne sont pas très difficiles à remplir. Il n'est, par exemple, pas nécessaire de recueillir préalablement 500 parrainages d'élus venus d'au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents, comme c'est le cas pour la présidentielle. "Il est assez facile de monter une liste : il suffit de trouver 81 personnes", résume Mathieu Gallard, de l'institut Ipsos.

Mais le nombre considérable de listes provoque un éclatement des suffrages, avec de fortes disparités entre les écuries historiques et des étiquettes moins ancrées dans le paysage politique. Beaucoup d'entre elles enregistrent donc des scores faméliques, comme en 2019, lorsque chaque électeur avait le choix entre 34 bulletins. A l'époque, 12 listes avaient récolté moins de 10 000 voix et la moitié de ces 34 listes n'avaient pas dépassé les 50 000 voix chacune. Au total, 21 listes avaient échoué à franchir le cap des 1%.

Un "vrai désir de renouvellement"

En 2019, 26 listes avaient recueilli moins de 3% des suffrages, seuil nécessaire pour obtenir le remboursement des frais de campagne pour ce scrutin. La barre des 5%, qu'il faut dépasser pour envoyer des élus au Parlement européen, apparaît encore plus éloignée : seulement six listes l'ont franchie lors du dernier scrutin. Peu de contraintes pour se présenter, mais aussi peu de chances d'être au Parlement ou d'être remboursé : qu'est-ce qui pousse les "petites" listes à se lancer dans l'aventure ?  

"Les seuils sont faits pour dissuader, mais il n'empêche pas de constituer des petites listes. Cela veut dire qu'il y a un vrai désir de renouvellement", estime Caroline Zorn, tête de liste du Parti pirate en France, qui défend la protection des droits et libertés fondamentales. "On ne voyait pas de proposition politique qui allait en face de nos aspirations", explique Marine Cholley, qui mène la liste écologiste pro-sciences Equinoxe et veut s'adresser à la génération des moins de 40 ans, fortement touchée par l'abstention.

"Dans notre formation, il y a énormément de personnes qui ne se sentent plus représentées dans les partis politiques, qui sont des structures à élection."

Marine Cholley, tête de liste du parti Equinoxe

à franceinfo

Porter une proposition politique alternative peut se concilier avec la volonté d'incarner une déclinaison française d'un mouvement européen. C'est le cas de Volt Europa. "L'idée est de dépasser un parti politique national pour devenir un parti politique européen. Nous avons le même programme, de la Suède au Portugal. Pour nous, les européennes représentent la principale élection", explique Sven Franck, dont le mouvement s'est notamment allié, en France, au Parti radical de gauche (PRG) et à Régions et Peuples Solidaires (RPS).

Le Parti pirate français est quant à lui "membre du Parti pirate européen", qui compte quatre élus au Parlement. Sous nos latitudes, les membres de cette liste sont "un peu les inclassables de la gauche", décrit Caroline Zorn, elle-même conseillère municipale à Strasbourg.

L'échec des listes estampillées "gilets jaunes" en 2019

D'autres listes ont un objectif plus modeste en se présentant aux européennes. "Notre but n'est pas d'avoir des sièges, ni le maximum de voix", balaie Laure Patas d'Illiers, de la liste Espéranto langue commune. "Notre ambition est de présenter une solution à un problème volontairement ignoré, qui est la question des langues."

Au soir du 9 juin, le petit mouvement né dans les années 1980, qui se présente à chaque scrutin continental, n'aura pas vraiment les yeux rivés sur le nombre de bulletins qu'il aura récoltés. "On regarde des points de consultation sur la page de l'espéranto dans Wikipédia, les statistiques dans les moteurs de recherche, s'il y a plus de gens qui s'inscrivent pour apprendre l'espéranto", explique la tête de liste. 

Défendre des intérêts particuliers et un pan spécifique de l'opinion n'est pas nouveau pour ce scrutin. "C'était le cas en 2019 lorsqu'il y avait eu plusieurs listes de 'gilets jaunes' sur la ligne de départ", rappelle Mathieu Gallard, de l'institut Ipsos. Ces trois listes n'avaient pas dépassé 1,2% en score cumulé, signe que la volonté d'incarner politiquement un mouvement social ne se traduit pas forcément par un bon score dans les urnes.

Une "campagne de la débrouille"

Si elles se font peu d'illusions sur leur score final, les "petites" listes pointent surtout leur difficulté à mener une campagne et à faire entendre leurs propositions. "Tout le monde dit que la France est le pays où il est le plus difficile de se faire élire, déplore Sven Franck, né en Allemagne. Il y a le seuil des 5%, celui des 3%… Il faut jouer avec des mauvaises cartes." 

"Le système actuel incite à se présenter pour des symboles. On sait que faire campagne en France sera dix fois plus difficile qu'ailleurs en Europe."

Caroline Zorn, tête de liste du Parti pirate

à franceinfo

"On pense que ces verrous sont anti-démocratiques", appuie Marine Cholley, qui assure avoir démissionné de son emploi d'ingénieur pour se consacrer entièrement à une campagne qu'elle souhaite "sobre". Chaque liste en course calibre en effet son ambition et ses dépenses en fonction de sa trésorerie, via des appels aux dons ou l'utilisation du réseau de connaissances pour trouver des locaux, par exemple.

"C'est un peu la campagne de la débrouille", résume la tête de liste d'Equinoxe. De son côté, la liste de l'espéranto "a un budget de 160 000 euros" et distribuera "des bulletins pour 15% des bureaux de vote". Autrement dit, ceux qui veulent choisir cette liste sont encouragés à imprimer eux-mêmes leur bulletin, ce qui peut constituer un obstacle supplémentaire pour rassembler des suffrages. 

Pour faire le meilleur score possible et imiter la surprise du Parti animaliste en 2019 (2,16% des voix), tous tentent également de se frayer un chemin dans un paysage médiatique souvent saturé par les principales listes. "Il faut être créatif pour avoir de la visibilité. C'est difficile avec les grands médias, mais plus simple avec les journaux régionaux", assure Sven Franck. 

Auprès de franceinfo, ces listes réclament des débats entre elles, pour se faire connaître en vue des prochaines échéances électorales. "On se donne l'objectif de jouer un rôle pour les municipales en 2026. Peut-être pas dans les grandes métropoles, mais sans doute davantage sur les communes rurales et périurbaines", assure Marine Cholley. 

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