"Pass rail" : comment le forfait de train illimité pour 49 euros a survécu à un bras de fer avec les régions

Le ministre des Transports a annoncé mercredi qu'un accord avait été arraché avec les régions pour mettre en place une promesse d'Emmanuel Macron, largement rabotée.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Un train TER en gare de Nice (Alpes-Maritimes), le 21 août 2023. (SYSPEO / SIPA)

Quasi enterré mercredi 3 avril dans la matinée, le "pass rail" a repris des couleurs en fin de journée. Cette promesse d'Emmanuel Macron pourra finalement voir le jour cet été, a annoncé Patrice Vergriete, mais dans une formule largement remaniée et à titre expérimental. C'est une petite victoire pour le ministre, qui avait un peu plus tôt alerté au micro de franceinfo sur une possible annulation de cette mesure aux visées écologiques et sociales, accusant trois régions de bloquer les négociations. Le pass doit permettre à 700 000 jeunes de moins de 27 ans de voyager en illimité à bord des trains régionaux pour un forfait de 49 euros mensuels, entre juin et septembre. Franceinfo vous explique les tenants et aboutissants du bras de fer politique entre l'exécutif et les régions, qui a laissé des traces sur les modalités de la mesure.

Un engagement présidentiel raboté en mars

Interrogé le 4 septembre 2023 par le youtubeur Hugo Travers sur l'offre de train illimité pour 49 euros par mois créée en Allemagne le 1er mai 2023, Emmanuel Macron promet la création d'"un service similaire dans les prochains mois". "Toutes les régions qui sont prêtes à le faire avec l'Etat, banco", lance-t-il dans une séquence consacrée à ses engagements en matière d'écologie.

Le lancement du "pass rail" est ensuite confirmé par le ministère des Transports et programmé pour l'été 2024. Clément Beaune, prédécesseur de Patrice Vergriete, promet alors un service qui permettrait à tout voyageur, quel que soit son âge, d'utiliser en illimité le réseau de trains régionaux en France (TER et Intercités, mais pas TGV) pour un prix de 49 euros, comme en Allemagne.

Cette promesse subit un sérieux coup de rabot début mars, face à des régions très inquiètes du surcoût financier et de la gestion des flux de voyageurs. Après discussions, Patrice Vergriete, qui a remplacé Clément Beaune en janvier, enterre finalement l'idée d'un forfait pour tous valable toute l'année : le "pass rail" pour tous devient un dispositif estival réservé aux jeunes.

Un mois plus tard, le gouvernement révèle que même ce pass nouvelle formule est menacé. "A moins d'un changement de pied des présidents de région, aujourd'hui même, nous ne pouvons pas être opérationnels", affirme le ministre délégué chargé des Transports, mercredi matin, sur franceinfo. "Il manque trois présidents de région (...) Hervé Morin [centriste, Normandie], Xavier Bertrand [LR, Hauts-de-France] et Laurent Wauquiez [LR, Auvergne-Rhône-Alpes]", pointe Patrice Vergriete, concluant sur une note pessimiste : "Il n'y aura pas de 'pass rail' cet été".

Trois régions convaincues après un ultimatum

Si elles ont d'abord confirmé mercredi à franceinfo leur opposition au plan du gouvernement, les trois régions en question ont finalement accepté l'idée d'une expérimentation dès cet été, sans pour autant obtenir gain de cause sur toutes leurs revendications. "Nous avons quand même accepté, parce que nous ne voulons pas pénaliser les jeunes des Hauts-de-France", explique la présidence de cette région à franceinfo. Même changement de pied du côté d'Auvergne-Rhône-Alpes, où la Région "donne son accord pour expérimenter ce 'pass rail' cette année".

"Mais son renouvellement, dans un an, sera conditionné à la présence de l'ensemble des régions, sans exception."

Frédéric Aguilera, vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes

à franceinfo

Les régions refusent toujours de donner un blanc-seing au gouvernement, très remontées quant à la méthode pour concrétiser ce "pass rail", et aux moyens alloués. Les trois présidents régions mis en cause par le ministre des Transports ont peu apprécié qu'il les cite publiquement. "Le gouvernement essaie de nous mettre la pression, c'est clair", souffle-t-on à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, taclant au passage "des déclarations assez étonnantes de la part d'un ministre avec lequel la Région n'a jamais eu le moindre contact".

Certains y ont même vu une façon pour le gouvernement de taper sur l'opposition, en particulier Les Républicains, et de pointer du doigt Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, deux figures aux ambitions présidentielles. "C'est clownesque de jeter en pâture des présidents de région qui n'en veulent pas et, c'est curieux, ce sont tous des LR, sauf Hervé Morin, mais il n'est pas dans la majorité", a dénoncé Christophe Coulon, vice-président de la région Hauts-de-France, sur franceinfo. De son côté, le gouvernement ne s'est pas caché de vouloir "mettre ces trois présidents de région face à leurs responsabilités", critiquant une "opposition politique", selon le cabinet de Patrice Vergriete.

L'exclusion de l'Ile-de-France contestée

Si elles ont fini par donner leur accord, les régions maintiennent leurs critiques vis-à-vis du dispositif du gouvernement. La Normandie, les Hauts-de-France et l'Auvergne-Rhône-Alpes pointaient notamment une même lacune : l'impossibilité d'utiliser le pass pour circuler en Ile-de-France. "Nous avions demandé que la région Ile-de-France ne soit pas exclue du dispositif, car en tant que région voisine, cela pénaliserait nos usagers", explique l'entourage de Xavier Bertrand à franceinfo, précisant n'avoir pas obtenu gain de cause.

Dans le viseur des trois présidents, les prix des transports en commun franciliens, majorés à l'été 2024 dans le cadre des Jeux olympiques, et inévitables pour se rendre d'une gare à l'autre dans la capitale. "Je veux que le 'pass rail' s'applique dans toutes la France", assure Hervé Morin à franceinfo. "Mais à ce stade, un jeune Lyonnais qui passera à Paris pour aller à Lille devra payer son ticket de métro 4 euros", tonne le président centriste de la région Normandie. 

"Le 'pass rail' pensé par le gouvernement est d’une injustice complète, car il frappe tous les provinciaux obligés de passer par Paris."

Hervé Morin, président de la région Normandie

à franceinfo

Pour l'entourage de Xavier Bertrand, certains jeunes n'auront pas les moyens de visiter la capitale : "Ceux qui voudront passer la journée à visiter les musées parisiens, le château de Versailles ou aller à Fontainebleau devront prendre un pass journalier illimité, le Pass Paris 2024, à 16 euros".

Les régions craignent la facture

Le financement du pass a aussi contribué à faire traîner les négociations. Dès mars, le gouvernement avait annoncé une prise en charge par l'Etat de 80% de son coût, estimé à 15 millions d'euros. Le reste devra être payé par les régions, qui financent les trains régionaux et décident des tarifs. Un geste nettement insuffisant pour les régions. "Le président fait de grandes annonces, mais derrière ce sont toujours les mêmes effets : les régions vont devoir payer, alors que l'Ile-de-France est exclue du dispositif, ce qui n'a aucun sens", s'agace-t-on à la présidence de la région Auvergne-Rhône-Alpes. 

En Normandie, Hervé Morin met en avant la spécificité de sa région, qui finance seule tout son réseau. "La Région paie pour tous les trains, avec un flux de 64 000 passagers par jour, or l'Etat propose de récupérer 85% des recettes liées à la vente du 'pass rail' et ne propose rien sur les éventuelles pertes pour le réseau normand", explique-t-il à franceinfo. Le centriste juge en outre le coût total "largement sous-estimé" "Le gouvernement nous donne des chiffres fantaisistes, cela dénote son improvisation sur ce sujet", tacle-t-il. 

Bien des détails concrets restent donc à régler lors de futures discussions entre le gouvernement et les régions. En 2020, les discussions avaient déjà permis de mettre en place, pour deux étés consécutifs, un pass jeunes TER à 29 euros mensuels, valable partout en France, sauf en Ile-de-France.

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