Poursuite des blocages par les "gilets jaunes" : "Cette situation met le policier entre le marteau et l’enclume"
Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale, redoute "une montée de la violence, de l’exaspération peut-être, entre les "gilets jaunes" et une partie de la population qui elle n’est pas dans la rue à manifester".
Alors que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a dénoncé mardi 20 novembre sur France 2 la "dérive totale" du mouvement des "gilets jaunes", sur le terrain, policiers et gendarmes redoutent le pourrissement du mouvement. Sur franceinfo, Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale, dit craindre "que cette manifestation de citoyens se transforme en théâtre d’opération pour exprimer sa haine anti-flic ou sa haine antirépublicaine". Il souligne par ailleurs la difficulté "de faire en sorte que l’ordre règne pour que tout le monde puisse manifester librement".
franceinfo : Cette "dérive totale" que dénonce Christophe Castaner, vous la constatez sur le terrain ?
Jean-Claude Delage : Je la constate et surtout tous mes collègues sur le terrain la constate. Il y a une centaine de collègues fonctionnaires de police ou de gendarmes qui sont blessés donc on voit bien qu’il y a une montée de la violence. Ce qui est à craindre aussi c’est une montée de la violence, de l’exaspération peut-être, entre les "gilets jaunes" et une partie de la population qui elle n’est pas dans la rue à manifester. La liberté de manifester, en tant que syndicaliste évidemment je la défends, mais il y a aussi la liberté d’aller et venir, de circuler. Et je crois que ce qui est compliqué pour nous aujourd’hui c’est que, permettez mois cette expression un peu triviale, nous nous retrouvons entre le marteau et l’enclume.
Certes la manifestation de samedi dernier était globalement plutôt pacifique mais un collègue a été blessé à Grasse (Alpes-Maritimes). L’agresseur a été condamné et je m’en félicite car ce n’est pas toujours le cas avec la justice lorsqu’un policier est victime. A La Réunion, on voit des émeutes de plus en plus fortes et on peut imaginer que cela puisse s’embraser. Nous le dénonçons. Et puis dans les Côtes-d’Armor aussi, on a vu des individus avec des cocktails Molotov et des barres de fer s’en prendre aux forces de l’ordre.
Donc ce qui est à craindre pour nous policiers c’est que cette manifestation de citoyens se transforme en théâtre d’opération pour exprimer sa haine anti-flic ou sa haine antirépublicaine. Nous allons nous retrouver évidemment à devoir occuper le terrain pour assurer la sécurité des Français et j’ai à l’esprit les manifestations contre la loi Travail [en 2016] où un certain nombre d’individus venaient expressément pour "bouffer du flic".
On entend beaucoup dans la bouche des "gilets jaunes" que les policiers sont avec eux, que les policiers soutiennent le mouvement. C’est vrai ?
Nous sommes policiers et nous sommes citoyens. Donc je le répète, en tant que syndicaliste je peux évidemment comprendre que des citoyens manifestent comme nous pouvons le faire nous aussi. Alliance Police nationale l’a fait à plusieurs reprises pour exprimer un agacement ou des revendications. On peut alors s’exprimer par la manifestation, mais par la manifestation qui, je le crois, doit être encadrée, organisée dans un cadre légal et républicain.
Je pense que malheureusement ceux qui sont de bonne foi et qui ont engagé ce type de rassemblement peuvent être aujourd’hui dépassés par des extrémistes qui veulent en découdre avec la police, avec la gendarmerie, avec la justice, avec tout ce qui représente l’Etat de droit. Ces citoyens de bonne foi et de bonne volonté, qui sont au demeurant honnêtes dans leur démarche, peuvent être aujourd’hui dépassés. En conséquence, nous, nous allons nous retrouver dans une situation difficile parce que si l’on peut partager certaines inquiétudes en tant que citoyen, notre devoir c’est d’abord d’être policier et de faire en sorte que l’ordre règne pour que justement tout le monde puisse manifester librement.
Quelles instructions recevez-vous du ministère de l’Intérieur ? On vous demande clairement de disperser les manifestants ?
Ça ne se passe pas comme ça. Il y a d’abord des discussions entre les services de police et de gendarmerie et les manifestants, entre les préfectures et les manifestants. Mais à un moment, il est clair que ce qu’on nous demandera c’est de faire en sorte que ceux qui veulent circuler puissent circuler. Et que l’économie puisse continuer à fonctionner parce que j’imagine bien que l’Etat ne va pas rester dans cette situation très longtemps. C’est pour ça que je répète que cette situation met le policier entre le marteau et l’enclume.
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