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"Gilets jaunes" : une mobilisation protéiforme et insaisissable

Née sur internet, amplifiée par les réseaux sociaux et relayée par les médias, la mobilisation du 17 novembre contre la taxation des prix du carburant semble échapper à toute logique de partis politiques et de syndicats. 

Article rédigé par Louise Bodet, franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Manifestation de "gilets jaunes" à Clermont-Ferrand le 15 novembre 2018. (MAXPPP)

Combien de "gilets jaunes" le 17 novembre sur les routes de France ? La question taraude les pouvoirs publics, qui naviguent à vue. Il faut dire que cette mobilisation citoyenne, protéiforme et insaisissable née sur les réseaux sociaux déstabilise l'exécutif, mais aussi les partis politiques et les syndicats. 

La fronde des mécontents

Le mouvement des "gilets jaunes", une addition de colères, agrégées, amplifiées par les réseaux sociaux avant d'être relayées par les médias traditionnels"C'est un ras le bol général, la vie est devenue trop chère", souffle un "gilet jaune". "On n'en a rien foutre de la droite de la gauche. On a tous hâte d'aller enfin crier notre colère parce qu'on pète un plomb", renchérit un autre. 

Exutoire anti-élites et énième avatar d'une jacquerie fiscale ancestrale, de la grande jacquerie paysanne du XIVe siècle aux "bonnets rouges" bretons il y a cinq ans, en passant par les "chemises vertes" des années 30 et les poujadistes des années 50. Sauf que cette fois, la fronde anti-impôts s'incarne dans la virtualité du net, d'où émergent des figures comme la fameuse Jacline, hypnothérapeuthe morbihannaise, aux cinq millions de vues sur Facebook.

Mouvement citoyen

Le mouvement compte des archétypes, à défaut de leaders. "Depuis une vingtaine d'années, on constate une apparition des mobilisations collectives qui s'efforcent de se développer en dehors des cadres institués,  détaille Thierry Vedel, spécialiste des relations entre internet et politique au Cevipof. Ce sont des mouvements qu'on appelle en anglais grass-roots, des mouvements qui partent du bas. C'est probablement lié à la défiance de plus en plus importante à l'égard des partis, des syndicats et des organisations professionnelles." 

Pour le président du syndicat CFE-CGC François Hommeril, cette défiance vis-à-vis des "corps intermédiaires", est causée par Emmanuel Macron lui-même. "Le gouvernement a mis à distance les organisations syndicales en refusant de jouer le jeu du partenariat syndical, de l'écoute, analyse le syndicaliste. Il a crée un espace de vide et dans cet espace des mouvements s'installent, dont la dimension explosive empêche de bien définir les objectifs et surtout les origines", complète-t-il.

Emmanuel Macron, désormais seul face à une fronde incontrôlable qui peut-être réussira là où les traditionnels cortèges ont échoué.

Le pouvoir désarçonné, faute d'interlocuteur

Cette fois, pas de service d'ordre syndical, pas non plus d'indicateur fiable pour évaluer la mobilisation. Simple manif ou blocage des axes, les forces de l'ordre sont en plein brouillard. Une petite centaine d'actions seraient à ce stade déclarées en préfecture, sur les 1 500 attendues.

Grand flou sécuritaire et grand flou politique, la majorité ne cache pas son inquiétude. Pendant que sur les réseaux sociaux, le contre-mouvement du 17 s'organise lui aussi, depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle, Emmanuel Macron contre-attaque. "Il y a beaucoup de gens qui veulent récupérer ce mouvement, a prévenu le président mercredi 14 novembre lors d'un entretien. Je dis juste au français : 'on est en train de vous mentir et de vous manipuler'". 

Le spectre de la récupération, un classique en politique qui s'incarne dans le gilet jaune endossé fièrement par Nicolas Dupont-Aignan, filmé tract en main devant une station service. "Je vos invite à être le plus nombreux possibleEt c'est tant mieux si plusieurs mouvements politiques appellent à manifester", se réjouit le patron de Debout la France face à la caméra. Nicolas Dupont-Aignan n'a pas les pudeurs des autres partis. Celui de Marine Le Pen diffuse des tracts depuis plusieurs semaines, mais se fera discret demain. Pareil pour Les Républicains. La gauche, elle, est sur une ligne de crête entre défense des petits contre les gros et engagement écolo. 

Un mouvement "irrécupérable"

Les "gilets jaunes" s'accomodent mal des gros sabots des partis. Mais à défaut d'être récupéré, leur mouvement peut infuser, explique Daniel Mouchard, spécialiste des mouvements sociaux et enseignant à l'université Paris III. Ça a des effets sur les thématiques qui vont être considérées comme prioritaires aux élections suivantes, explique le politologue. C'est ce qu'on appelle en science politique le "vote sur enjeu". Ca va cristalliser à la fois dans l'opinion publique au sens large, dans les prises de parole politiques et également dans l'attention médiatique. Et c'est là que l'effet de ces mouvement -qui peuvent être éphémères dans leur phase de mobilisation- ont des conséquences plus durables."

Éphémères les "gilets jaunes", comme les "bonnets rouges" ou "les Pigeons", autre mouvement anti-taxe sous Hollande ? Ou phénomène durable, comme le Mouvement 5 étoiles, né sur un blog il y a dix ans, désormais au pouvoir en Italie ? Ils n'en sont pas là les "gilets jaunes", car demain "liker" ne suffira pas, il faudra participer.

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