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Pourquoi la grève à Air France dure-t-elle aussi longtemps ?

Le mouvement social a repris, jeudi, pour sa douzième journée où, malgré une baisse du taux de grévistes, 15% des vols seront annulés. Les négociations entre les syndicats et la direction sont suspendues dans l'attente du résultat, vendredi 4 mai, de la consultation lancée par le PDG de la compagnie.

Article rédigé par franceinfo
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Le siège de la compagnie aérienne Air France au Roissy Pôle, à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). (MAXPPP)

Le conflit social, qui oppose des syndicats de la compagnie Air France à la direction, connaît sa 12e et 13e journée de grève, jeudi 3 et vendredi 4 mai. Pour la première de ces deux journées, la direction a prévu d'assurer 85% des vols ; 75% le lendemain. Selon la compagnie aérienne, la proportion de grévistes sera de 18,8% chez les pilotes, 18% chez les hôtesses et stewards, et 10% pour les personnels au sol.

Ce conflit, qui aurait déjà coûté 300 millions d'euros à l'entreprise selon la direction, pourrait encore durer puisque deux autres journées de grève sont prévues les 7 et 8 mai prochains. Franceinfo fait le point sur les raisons de cet enlisement du conflit à Air France.

Les salariés veulent leur "part du gâteau"

La bonne santé financière d'Air France a donné des ailes aux syndicats, qui réclament pour les salariés leur "part du gâteau". En 2017, la compagnie a affiché un bénéfice record de 588 millions d'euros, notent Les Echos. Une embellie remarquable car, en 2011, le résultat était quasiment l'inverse : 570 millions d'euros de pertes. Un redressement analysé comme le résultat du plan d'économies décidé en 2012, à la reprise économique et encore à la baisse des prix du pétrole.

Le 22 février, l'intersyndicale, réunissant des organisations de pilotes, hôtesses et stewards, et personnels au sol, ont donc demandé une augmentation des salaires de 6%, souhaitant ainsi rattraper le gel des grilles de salaires pendant six ans. Dans le détail, la dernière proposition des syndicats, tous métiers confondus, porte sur 5,1% d'augmentation en deux temps sur l'année 2018 (+3,8% en avril et +1,3% en octobre).

Le syndicat des pilotes reste inflexible...

La direction a dans un premier temps proposé une hausse des salaires de 1%. Insuffisant pour les syndicats. "Ce que nous propose la direction, c'est une augmentation de salaire sur les prochaines années à venir, détaille à franceinfo Beltran Ybarra, copilote et délégué syndical au SNPL d'Air France. Mais ce que nous demandons, c'est le rattrapage du manque à gagner sur les années précédentes."

Figure de proue du mouvement, le SNPL, depuis le début du conflit, s'est montré inflexible face aux propositions des dirigeants d'Air France. Philippe Evain, le président du syndicat majoritaire, a même une réputation de "bête noire de la direction", rapporte Le Parisien. Au-delà des revendications communes, le SNPL d'Air France réclame une hausse supplémentaire de 4,7% pour les pilotes, rapporte Le Figaro.

"On ne cherche pas à rattraper nos efforts consentis après les plans d'économies, notamment celui proposé par le PDG du groupe Jean-Marc Janaillac, Trust-Together signé en 2012, se défend Beltran Ybarra, mais à rattraper la non augmentation des grilles de salaires pendant toutes ces années, alors que l'inflation a augmenté."

L'attitude inflexible du SNPL et de son président a provoqué un déchirement avec  la CFDT, opposé à la poursuite de la grève. Laurent Berger, le secrétaire général du syndicat, a accusé le SNPL de prendre "tout le monde en otage", dimanche 29 avril au Grand Rendez-vous Les Echos/CNews/Europe 1.  

Ça va se passer comment à la fin si on suit le SNPL ? Les pilotes, on va leur donner de quoi s'en sortir, et le personnel au sol, il trinquera. On aura des suppressions d'effectifs, on aura des réductions de personnel.

Laurent Berger

sur Europe 1

Les propos du leader de la CFDT ont fait apparaître au grand jour une fracture ouverte entre les syndicats. "C'est assez maladroit de nous traiter de terroristes", déplore Beltran Ybarra, du SNPL.

La CFDT joue un rôle assez exécrable dans l'entreprise.

Françoise Redolfi, présidente de l'Unsa PNC

à franceinfo

"Ils jouent sur tous les tableaux, c'est assez incompréhensible, déplore Françoise Redolfi, de l'Unsa PNC. D'un côté la CFDT dit qu'il ne faut pas faire grève, de l'autre, l'UNPNC, le syndicat des personnels navigants de la CFDT, propose de payer les grévistes."

"Laurent Berger regrette l'expression de 'prise d'otage', répond Christophe Dewatine de la CFDT à franceinfo, mais il n'en reste pas moins que les salariés ont des craintes sur le blocage de la situation car cela met en danger de la pérennité de l'entreprise."

... comme le patron d'Air France

Face aux revendications de l'intersyndicale, la direction a lâché du lest. A la mi-avril, un nouveau texte censé arrondir les angles a été proposé aux salariés accompagné d'une augmentation de salaire de 2% la première année et de 5% étalée sur les trois années suivantes.

"Il est juste que le personnel qui a fait des efforts soit reconnu, a plaidé Jean-Marc Janaillac sur Europe 1. Cependant, nous pensons qu'aller plus loin, ce serait remettre en cause l'équilibre de la compagnie, d'autant qu'Air France a déjà la marge opérationnelle la plus faible de toutes les grandes compagnies européennes." Une proposition encore une fois rejetée par l'intersyndicale.

Face à l'enlisement du conflit, le président d'Air France a lancé, le 26 avril, une consultation interne par vote électronique, dans laquelle il demande à l'ensemble des 46 771 salariés de se prononcer sur l'accord proposé par la direction le 16 avril. Le dirigeant a affirmé dans un communiqué qu'il "assumerait personnellement les conséquences de ce vote", mettant son poste à la direction en jeu. Même si, comme le rappelle Europe 1, une majorité confortable de oui à l'accord se dessine.

La méthode employée gêne l'intersyndicale, qui reproche à Jean-Marc Janaillac de ne pas avoir été présent à la table des négociations, malgré douze jours de grève.

La direction a une attitude arrogante. L'enlisement est lié à son entêtement.

Vincent Salles, co-secrétaire général de la CGT à Air France

à franceinfo

"Jean-Marc Janaillac a une trajectoire financière et économique, pas sociale, analyse Françoise Redolfi de l'Unsa. Sa consultation n'a aucune valeur juridique. Il veut simplement contourner les syndicats."

Gilles Gateau, le DRH d'Air France, en charge des négociations, est également critiqué. "Sa méthode, déplore Beltran Ybarra, c'est écrire un accord, et si vous dites non, il sort un deuxième accord sans prendre en compte les commentaires des syndicats." Les négociations sont suspendues au résultat de la consultation, attendus vendredi 4 mai.

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