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Grève à Air France : les pilotes sont-ils des privilégiés ?

Très suivie, la grève se poursuit mercredi, pour la troisième journée consécutive. Alors qu'elle semble partie pour durer, francetv info détaille les conditions de travail des pilotes de la compagnie, souvent pointées du doigt.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle (Val-d'Oise), le 15 septembre 2014, lors du premier jour de la grève des pilotes d'Air France. (MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Pas de commandant de bord dans six avions sur dix. La grève des pilotes de la compagnie Air France se poursuit, mercredi 17 septembre. Les syndicats sont opposés aux conditions d'expansion de Transavia, la filiale à bas coûts de la compagnie. Ils estiment que les projets de la direction sont une porte ouverte à "l'externalisation des emplois" de pilotes. Entamé lundi, le mouvement est massivement suivi.

Pourtant, les appels à cesser le mouvement se font pressants. Le numéro un du syndicat CFDT n'a pas hésité à qualifier la grève de "corporatiste" et d'"indécente". L'image d'une caste de privilégiés, qui circule largement dans l'opinion publique, resurgit. "Cette grève est hors de propos quand on connaît la situation des personnels d'Air France", a déclaré de son côté le premier secrétaire du Parti socialiste. Quant au président du groupe PS à l'Assemblée, il a commenté ce mouvement de débrayage sur son compte Twitter.

Ces remarques acerbes sur les quelque 3 800 pilotes d'Air France sont-elles fondées ?

Combien gagnent-ils ?

Le salaire brut annuel des pilotes d'Air France oscille entre 75 000 et 250 000 euros selon le grade, l'ancienneté et l'affectation au sein de la compagnie, rapporte une source interne de la compagnie. Chez Lufthansa, la compagnie nationale allemande, c'est du même d'ordre, selon Les Echos. "Un pilote débute à 70 000 euros et termine sa carrière avec un salaire près de quatre fois supérieur, autour de 250 000 euros", indique le quotidien économique.

Chez Transavia, le salaire brut annuel se situe entre 87 000 et 180 000 euros. Dans une autre filiale d'Air France, Régional, il s'élève à 96 000 euros pour les pilotes qui ont 20 ans d'ancienneté. Mais cette compagnie ne fait pas de long-courriers : elle dessert la plupart des villes françaises et un grand nombre de métropoles européennes.

Chez Air France, le salaire est mérité, selon Guillaume Pollard, un commandant de bord de 46 ans, pilote depuis 1998. "J'ai la responsabilité de transporter des passagers d'un point A à un point B", explique-t-il à France 2.

Grève à Air France : un pilote gréviste témoigne sur les conditions de travail (JULIEN DUPERRAY et PHILIPPE TURPAUD - FRANCE 2)

Contacté par francetv info, François Hamant, membre du bureau syndical Alter, syndicat de pilotes d'Air France (non représentatif) qui a appelé à la grève jusqu'au 18 septembre, préfère parler de son salaire net annuel imposable : 125 000 euros environ. A 47 ans, il a derrière lui dix-neuf années de carrière chez Air France, dont huit en tant que commandant de bord sur long-courrier.

"Je gagne bien ma vie, reconnaît François Hamant. Mais nous n'avons pas de revendications sur les salaires, ce n'est pas l'objet de notre grève. Notre salaire est comparable avec celui d'autres pilotes. La différence avec d'autres, c'est le nombre d'heures de vol pour accéder à ce salaire."

Pour combien d'heures de vol ?

Les pilotes d'Air France font, en moyenne, moins d'heures de vol que leurs homologues d'autres compagnies. Chaque année, ils volent de 630 heures (sur un Airbus A320) à 678 heures (sur un Boeing 777). Le maximum autorisé est de 900 heures pour un équipage, selon des règles européennes adoptées en octobre 2013, mais chaque entreprise peut fixer son seuil.

De leur côté, les pilotes de Transavia volent en moyenne 700 heures par an, selon France 2. Mais la compagnie propose seulement des destinations relativement proches, en Europe, dans le nord de l'Afrique et dans les Emirats arabes unis. Pas en Asie ou sur le continent américain.

Dans une compagnie comme Transavia, le travail d'un pilote est plus dense car le réseau permet de faire davantage d'heures de vol. "De fait, à salaire égal, un pilote easyJet doit beaucoup plus d'heures de vol à son employeur que ses homologues d'Air France, dont le statut répond mal aux exigences du low cost", souligne L'Express.

Malgré tout, effectuer une soixantaine d'heures de vol par mois peut paraître dérisoire. "Mais on oublie de compter toutes les heures de travail avant et après le vol, le temps d'activité au sol à effectuer, regrette François Hamant. C'est une partie de préparation du vol indispensable. On regarde les conditions météo, on s'assure du bon niveau de carburant et on anticipe les problèmes éventuels."

Pour les long-courriers, le temps de travail commence une heure et quarante-cinq minutes avant le départ du vol et s'arrête trente minutes après l'arrivée de l'appareil. Pour les moyen-courriers, le temps de travail commence une heure et demie avant le départ du vol et s'arrête quinze minutes après l'arrivée de l'appareil.

Et combien de jours de repos ?

Chaque année, en moyenne, un pilote d'Air France à temps plein travaille 121 jours, suit entre six et sept jours de formation, doit observer entre quatre et cinq journées d'activités au sol, ainsi que deux journées environ de "réserve non déclenchées" (d'astreinte) par an, selon des informations obtenues par francetv info. En parallèle, il y a les repos générés. Ceux-ci dépendent du décalage horaire, du nombre d'étapes pendant la nuit, du nombre d'heures de vol effectuées, avec une distinction entre le jour et la nuit. A ce rythme, les pilotes font en moyenne trois à quatre rotations de deux à cinq jours par mois.

Pour plus de clarté, François Hamant donne un exemple : "Si on part un dimanche à 23 heures de Paris pour Los Angeles, il y a 12 heures de vol et 9 heures de décalage horaire. L'équipage est composé de trois pilotes. On revient le jeudi qui suit en milieu de matinée et on a trois nuits de repos consécutives avant de recommencer." Il estime que c'est un temps de repos indispensable. "Ces conditions sont essentielles pour réussir à travailler pendant trente-cinq à quarante ans. Or, quand on entre à Air France, c'est pour faire carrière", martèle-t-il.

"Les pilotes d'Air France ont une garantie de 16 jours de repos dans le mois. Nous n'en avons que 11", déplore un syndicaliste de la compagnie Régional. Mais pour lui, la différence se mesure surtout à la différence de prise de repos entre les vols. "Quand Air France ne fait pas plus de quatre étapes dans la journée [soit quatre vols moyen-courriers] et a douze heures de repos avant de repartir, on en fait cinq et, après une nuit de cinq heures, on fait à nouveau trois étapes", explique-t-il à francetv info.

Une situation bien éloignée de celle qu'un commandant de bord qualifié et porte-parole d'Air France décrivait au Point en 2012. "Ces dernières semaines, je suis allé faire une randonnée d'une journée au Chili, j'ai visité une expo à New York et rapporté du thé vert de Hong Kong." "Moi je ne connais que les aéroports, réagit le syndicaliste de la compagnie Régional. Je suis allé à Francfort, mais je n'ai jamais pu acheter de saucisses !" Puis, reprenant son sérieux, il ajoute : "Mais je n'en veux pas aux pilotes d'Air France. Au contraire, j'essaie de me rapprocher de leur modèle. Quand on leur demande des efforts, on nous en demande après. Or, notre rythme est devenu dangereux. La référence, dans le métier, c'est eux."

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