Les députés ont-ils voté en catimini des privatisations juste avant le 18e samedi de manifestation des "gilets jaunes" ?
Une publication très partagée sur Facebook dénonce l'adoption du projet de loi Pacte par une quarantaine de députés, au petit matin. Mais elle se méprend en affirmant que le texte est définitivement adopté : le vote solennel n'aura lieu que dans plusieurs semaines.
C'est "un événement qui restera dans l'histoire", "un moment-clé du quinquennat" d'Emmanuel Macron, affirme une publication postée lundi 18 mars sur le compte Facebook d'une antenne parisienne de la CGT-Cheminots. Selon ce message, partagé plus de 20 000 fois, 45 députés ont voté la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP), de la Française des jeux et d'Engie, ainsi que la suppression des tarifs réglementés du gaz et la modification des seuils sociaux. Et tout ça "d'un seul coup" le vendredi 15 mars "à 6h15 du matin", "l'incendie du Fouquet's et le saccage des Champs-Elysées servant d'écran de fumée", le lendemain, lors du 18e samedi de mobilisation des "gilets jaunes".
Plusieurs internautes nous ont signalé ce message – également relayé par Laëtitia Dewalle, une figure des "gilets jaunes" – dans le cadre de notre rubrique "Vrai ou fake", en s'interrogeant sur la réalité des faits. "La dernière fois que j'en ai entendu parler, c'était au stade de projet", nous écrit l'un d'entre eux dans le live de franceinfo. "Pouvez-vous nous dire si c'est exact ou si c'est une fois de plus une mauvaise interprétation destinée à appuyer un mouvement des 'gilets jaunes' en déclin ?" nous questionne un autre.
Le vote a bien eu lieu au petit matin
D'abord, que s'est-il passé ? Le vote a bien eu lieu à 6h15 du matin, mais le samedi 16 mars, pas le vendredi 15. Combien de députés étaient présents dans l'Hémicycle ? Ils étaient effectivement 45, comme l'indique l'Assemblée nationale : 27 ont voté pour, 15 contre et 3 se sont abstenus. A noter que deux autres députés étaient présents, mais n'ont pas pris part au vote, compte tenu de leurs fonctions : Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, et Francis Vercamer, le président de séance.
Qu'ont-ils voté exactement ? Les parlementaires ont adopté en deuxième lecture le projet de loi Pacte. Ce texte de 72 amendements, qui entend transformer l'économie française, comprend notamment les privatisations du groupe ADP, anciennement Aéroports de Paris, et de la Française des jeux, mais aussi l'ouverture du capital d'Engie, ou encore la suppression des tarifs réglementés du gaz et la simplification des seuils à partir desquels les entreprises se voient imposer des obligations fiscales et sociales. Pas d'erreur là-dessus.
Mais l'examen du texte n'est pas terminé
Mais l'adoption de ce projet de loi par les députés samedi matin n'est pas pour autant définitive. Il s'agissait d'un nouvel examen du texte dans le cadre de la navette parlementaire. En clair, les députés ont travaillé sur une première version du projet de loi, en première lecture. Ils l'ont ensuite transmise aux sénateurs, qui l'ont modifiée, et l'ont renvoyée aux députés. Le projet de loi est donc retourné à l'Assemblée pour une deuxième lecture et, ce samedi 16 mars, les députés sont revenus à leur version du texte, supprimant les modifications de la chambre haute pour la quasi-totalité des articles.
Après ce vote, le projet de loi va faire une ultime navette avec le Sénat, à partir du 9 avril, avant son adoption définitive par l'Assemblée, qui aura le dernier mot. Et à ce moment-là, avance le député LREM Bruno Bonnell, membre de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi, "il y aura un vote solennel", en présence de centaines de députés, comme il s'en tient les mardis et mercredis après les séances de questions d'actualité au gouvernement. C'est ce vote-là qui compte.
"Pas rare qu'on termine au milieu de la nuit"
En attendant cette étape finale, pourquoi ce vote "intermédiaire" a-t-il eu lieu un samedi au petit matin ? Et était-ce lié au mouvement des "gilets jaunes" ? Les élus de la majorité et de l'opposition interrogés par franceinfo répondent tous par la négative. "Ça n'a aucun rapport avec les 'gilets jaunes'", assure à franceinfo un député d'opposition, qui a participé au vote.
Cela a, en revanche, un rapport avec l'organisation du travail à l'Assemblée. "On est sur ce texte depuis septembre, explique Laure de La Raudière, vice-présidente UDI-Agir de la commission spéciale. "La première lecture a fait l'objet d'un vote solennel. L'équilibre du texte n'ayant pas changé à la deuxième lecture, le bureau de l'Assemblée nationale a décidé de ne pas faire de vote solennel", argue-t-elle.
On ne peut pas dire que ça a été fait en catimini.
Un député d'oppositionà franceinfo
Les députés ont voté au terme de trois longues journées et une nuit complète de débats. Chacun des 72 amendement a été examiné. "Il y a eu énormément de discussions générales, se souvient Bruno Bonnell. Les amendements qui font controverse n'ont pas été votés en pleine nuit." "A 6 heures, on est arrivés à la conclusion de l'examen du texte de loi."
"C'est une très mauvaise façon de travailler"
"Ça n'est pas une spécificité pour la loi Pacte. C'est un processus très classique", fait valoir Laure de La Raudière. "Il n'y a rien d'exceptionnel à terminer l'examen d'un texte dans la nuit, à une heure impossible", abonde le député de l'opposition interrogé par franceinfo.
Il n'est pas rare qu'on termine au milieu de la nuit, au lieu de s'arrêter à 1 heure du matin, et de reprendre le lendemain matin.
Un député d'oppositionà franceinfo
"C'est une très mauvaise façon de travailler, déplore cependant cet élu. On est tous crevés, on travaille mal." "On peut se poser la question de la pertinence de travailler dans ces conditions", pointe également le "marcheur" Bruno Bonnell, qui conclut : "A 6 heures du matin, l'efficacité des députés est toute relative."
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