"Je n'ai rien cassé, je n'étais pas là pour ça" : des "gilets jaunes" devant la justice après les violences sur les Champs-Elysées
Vingt personnes ont été présentées lundi devant le tribunal de Paris en comparution immédiate après les violences survenues samedi lors du rassemblement parisien des "gilets jaunes".
Tout ce que voulait faire Anthony D., c'était "prendre l'apéro devant les forces de l'ordre". Avec sa bande d'amis, ce charpentier de 32 ans originaire de l'Ardèche voulait profiter de la manifestation des "gilets jaunes" du 24 novembre sur les Champs-Elysées pour organiser une "protestation pacifiste" contre le gouvernement. "On voulait juste s'asseoir devant les forces de l'ordre avec du pain, du fromage et un petit verre de rouge", affirme-t-il d'une voix sonore devant la 24e chambre du tribunal de Paris. "Ce n'était pas pour faire des dégradations", assure-t-il, les mains appuyées à la barre du box des prévenus, devant une salle remplie de journalistes.
Je n'ai jamais agressé de policiers. Je veux être jugé maintenant et qu'on en finisse avec tout ça.
Anthony D.devant le tribunal de Paris
Sans domicile fixe, habitant dans un camion aménagé, Anthony D. fait partie des vingt personnes jugées, lundi 26 novembre, en comparution immédiate pour "participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations". Parmi ces "gilets jaunes" venus de toute la France, beaucoup de jeunes, une seule femme, un conducteur d'engins, un surveillant de prison, un saisonnier au Futuroscope, des jeunes en formation ou en recherche d'emploi...
Samedi, Anthony D. a été arrêté avec un couteau dans sa poche et un pavé dans son sac à dos. "Pourquoi portiez-vous cette arme sur vous ?" interroge la présidente. "C'est une question d'habitude, je me lève le matin, je m'habille et je prends mon couteau", explique le prévenu, vêtu d'un tee-shirt noir portant l'inscription "We Goat The Power", en référence à la chèvre, symbole de l'Ardèche.
Mon couteau, il me sert à tracer des lignes pour le travail, à manger le midi... Le seul moment où je ne l'ai pas c'est quand je m'occupe de mon fils.
Anthony D.devant le tribunal de Paris
Quant au pavé retrouvé dans son sac à dos, "c'était pour ramener un souvenir à mon fils qui n'est jamais venu à Paris", justifie-t-il simplement. "Mais si j'avais eu de la batterie sur mon portable, je l'aurais plutôt pris en photo", rajoute-t-il après un bref silence.
"J'ai toujours un couteau pour casser la croûte"
Tiphaine J., 26 ans, originaire de Haute-Savoie, a aussi été interpellé près des Champs-Elysées avec un sac rempli d'objets suspects : un couteau Opinel, une matraque, une sangle élastique et plusieurs clous. Cet homme à la silhouette fluette est le premier de l'après-midi à ne pas demander le renvoi de son dossier. Les mains croisées dans le dos, cet ancien charpentier explique d'une voix étouffée les raisons de son interpellation. "Toute la semaine, j'ai participé à des rassemblements dans ma région et j'étais chargé de construire des baraquements avec des palettes en bois, c'est pour ça que j'avais des clous dans mon sac", répète-t-il un brin exaspéré. Le couteau Opinel ? "Chez nous, en Haute-Savoie, on a toujours un couteau pour casser la croûte et je ne vais pas me justifier de ça", répond-il. Et pour la matraque, il assure l'avoir trouvée par terre et avoir voulu la rapporter en souvenir. Un comportement "curieux" , commente la juge.
Je suis monté à Paris pour manifester, comme tous les autres qui ne sont pas contents de leur gouvernement. Je n'ai rien cassé. Je n'étais pas là pour ça.
Tiphaine J.devant le tribunal de Paris
Reconverti en conseiller fiscal en Suisse, Tiphaine J. gagne environ 8 000 euros par mois, auxquels s'ajoutent les 3 500 euros de sa compagne, qui travaille dans un bureau d'études à Genève. "Je n'ai que le brevet des collèges comme formation", précise-t-il, rappelant qu'il est aussi sapeur-pompier volontaire et père d'un enfant de 4 ans.
C'est la première fois de ma vie que je manifeste, je n'ai pas pensé à vider mon sac. Mais je comprends que ce que j'avais peut laisser penser que je voulais casser.
Tiphaine J.devant le tribunal de Paris
Après délibérations, le tribunal prononce la relaxe du délit de "participation à un groupement formé en vue de commettre des violences et des dégradations" et le condamne à trois mois de prison avec sursis pour port d'arme.
"C'était une idiotie !"
Tom S., 22 ans, originaire de La Rochelle, a, lui, été condamné à 70 heures de travail d'intérêt général. Le tribunal l'a jugé coupable de "participation à un groupement" à cause "des différents objets retrouvés sur lui" (cagoule, gants coqués, etc.) et de recel de bouteilles de parfum volées dans un magasin près des Champs-Elysées. Les cheveux bruns bouclés, le visage juvénile, il assure être venu sur les lieux pour faire un reportage, "comme [il] en [a] déjà fait à Notre-Dame-des-Landes", et le diffuser sur Facebook.
Habitué des manifestations, il ne sait pas pourquoi il a pris ce parfum et ce gel douche Dior après la casse du magasin. "Je ne sais pas comment l'expliquer, c'était une idiotie, peut-être une réaction d'opportunisme dans un mouvement de foule", suggère-t-il en retroussant ses manches, laissant apparaître le tatouage d'une rose sur sa main. Electricien en intérim avec un salaire moyen de 1 500 euros par mois, Tom S. assure d'une voix fébrile qu'il "n'a jamais menti et s'est toujours laissé faire" depuis le moment de son interpellation et se dit même prêt à faire des travaux pour "l'intérêt commun".
Durant l'après-midi, quelques rares prévenus ont pris la parole pour expliquer les raisons de leur mobilisation, comme Loïc A., 40 ans, surveillant de prison à Fresnes (Val-de-Marne). Le crâne chauve, la barbe poivre et sel et la silhouette carrée moulée dans un tee-shirt de sport, cet ancien militaire au casier judiciaire vierge a été interpellé en possession d'un marteau. "J'ai manifesté contre la dégradation du service public", affirme-t-il d'une voix ferme, avant de demander le renvoi de son dossier. Il devra expliquer le 7 janvier pourquoi il possédait cet objet sur les Champs-Elysées.
La seule femme à comparaître de la journée a 27 ans. Originaire du Vaucluse, Iana R. est mère célibataire d'un petit garçon. Elle a été interpellée avec deux pierres, une bombe aérosol de peinture noire et du sérum physiologique sur elle. Le parquet lui reproche d'avoir jeté de la peinture dans les yeux d'un policier et des projectiles sur une voiture de police. "La bombe aérosol, je l'ai trouvée et je voulais m'en servir pour me protéger face à certains 'gilets jaunes' qui voulaient péter une voiture de police", se défend-elle, la voix tremblante. "J'ai été attrapée par les cheveux, je me suis presque vue mourir ce jour-là, j'ai vraiment besoin de rentrer et de voir mon garçon maintenant, s'il vous plaît", demande-t-elle, suppliante, à la présidente.
Je n'étais pas venue pour casser, j'étais venue pour faire des vidéos et montrer ce qu'il se passait à Paris.
Iana R.devant le tribunal de Paris
"Maintenant que je sais, je ne viendrai plus sur Paris"
En fin de soirée, la presse a quitté les bancs de la 24e chambre lorsque Gérard, un grand gaillard âgé de 41 ans, se présente dans le box. Lui aussi affirme être venu à Paris "pour filmer". La gouaille moqueuse, ce chauffeur-livreur, qui habite à Drancy (Seine-Saint-Denis), a déjà été condamné plusieurs fois pour "outrage, violence et rebellion" envers des policiers. C'est justement ce qui l'a amené lundi devant le tribunal."Il vous est reproché d'avoir dit, au moment de votre interpellation : 'Fils de pute, trou du cul, tête de chien' à un officier de police et d'avoir ajouté : 'Demain, on va tous vous brûler'", lit imperturbable la présidente. S'il reconnaît les insultes, Gérard conteste la dernière phrase et assure avoir dit : "Puisque c'est ce que vous cherchez, demain, on va tout brûler".
J'ai dit : 'On va tout brûler'. C'était pour faire la révolution mais c'était pas mon intention de le faire, c'était dit comme ça...
Gérarddevant le tribunal de Paris
Contrairement aux autres prévenus qui font plutôt profil bas, Gérard, lui, n'hésite pas à tenir tête à la présidente. Interrogé sur les morceaux de bois qu'il a jetés dans un feu allumé place de la Madeleine, l'homme explique, le sourire aux lèvres, que "c'était pour se réchauffer". La présidente n'y croit pas et l'interroge à nouveau. "O.K., c'était pour que le feu se ravive", finit-il par lâcher. Gérard est relaxé des menaces de mort envers les policiers mais est condamné à 6 mois de sursis pour "participation à un groupement formé en vue de commettre des violences et des dégradations".
Dernier à passer à la barre, Pascal, 26 ans, est jugé pour avoir jeté des canettes de bière aux forces de l'ordre et en avoir blessé un lors de son interpellation. Déjà condamné plusieurs fois pour vol et violences sur des policiers, l'homme, qui habite à Saint-Quentin (Aisne), peine à s'exprimer. "J'étais venu pour manifester en tant que personne normale, je ne sais pas comment vous l'expliquer", lance-t-il à la présidente. En couple et père d'une fillette de 2 ans, Pascal travaille dans un supermarché.
On a du mal à s'en sortir avec 1 200 euros par mois. Je n'en peux plus, je suis à bout.
Pascaldevant le tribunal de Paris
"Je regrette d'être venu sur Paris. Maintenant que je sais, je ne viendrai plus", répète-t-il plusieurs fois. Mais, pour la procureure, l'heure tardive à laquelle il est arrivé – 20h30 –, ne plaide pas en sa faveur. "Il se rend sur les Champs en sachant pertinemment ce qu'il s'y passe, il faut être sérieux", tonne-t-elle. Elle requiert 6 mois de prison dont 4 avec sursis. Pascal échappe finalement à la prison et est condamné à 5 mois d'emprisonnement sans mandat de dépôt, peine qui sera aménageable.
Vers 22 heures, après une longue journée d'audience, 7 prévenus sur les 13 jugés devant la 24e Chambre ont demandé un renvoi afin de préparer leur défense. Ils ont été libérés sous contrôle judiciaire avant leur procès, prévu début janvier. D'ici là, ils ont l'interdiction de se rendre à Paris afin d'éviter qu'ils ne participent à une nouvelle manifestation dans la capitale.
"On ne nous explique rien"
Pour certaines familles, la comparution de leurs proches reste incompréhensible. "Je trouve ça aberrant, il n'a rien cassé et a été arrêté alors qu'il manifestait pour une bonne cause ! murmure dans un sanglot la mère d'un des prévenus, à l'écart de la salle. En plus, on ne nous explique rien, on m'a appelée pour nous dire qu'il avait été arrêté, mais je n'ai jamais assisté à une audience et je ne sais même pas ce qu'il va se passer ensuite."
On veut faire payer à ceux qui ont été 'attrapés' l'ensemble des dégradations.
Un avocat de la défenseà franceinfo
Samedi, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, avait accusé de violences des "commandos largement infiltrés (...) par des membres de l'ultradroite". Un profil qui n'est visiblement pas ressorti durant cette première journée de comparutions.
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