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"Ils n'ont même pas manifesté et les voilà en garde à vue !" : après les violences à Paris, le défilé des "gilets jaunes" au tribunal

Après avoir été interpellées lors du rassemblement des "gilets jaunes" samedi à Paris, des dizaines de personnes ont été jugées en comparution immédiate lundi après-midi. 

Article rédigé par Elise Lambert, Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des "gilets jaunes" manifestent devant l'Arc de triomphe à Paris, le 1er décembre 2018. (SIMON GUILLEMIN / HANS LUCAS)

Dans le public, quelques étudiants en droit ont pris place. Lundi 3 décembre, ils sont venus, "pour le plaisir", assister aux comparutions immédiates devant le tribunal correctionnel de Paris, après les violences de la manifestation parisienne des "gilets jaunes", samedi 1er décembre. "Je pense que le parquet va être bien énervé ! Ça va être intéressant de voir les réquisitions", commentent-ils. Un peu plus loin, un "gilet jaune" venu de Bretagne chuchote qu'il a fait le déplacement pour voir le déroulé de l'audience puis informer ses camarades. "Ce que vous avez vu à Paris ce n'est rien, et ce n'est pas fini !", lance-t-il avec aplomb.

Selon un nouveau bilan du parquet de Paris, 370 personnes ont été placées en garde à vue et 73 suspects ont été renvoyés devant le tribunal, lundi. A l'image de l'ampleur des violences dont ont été émaillées les manifestations dans la capitale samedi 1er décembre, cinq salles d'audience ont été dédiées aux comparutions immédiates, dont trois uniquement à ces événements. La plupart des prévenus ont répondu des chefs d'"actes de violence sur personne dépositaire de l'autorité publique", "dégradations sur des biens destinés à l'utilité publique", "regroupements en vue de commettre des violences", ou encore "port d'armes". Plusieurs ont obtenu le renvoi de leur procès à une date ultérieure, d'autres ont été relaxés ou condamnés à des peines allant jusqu'à de la prison ferme.

"C'est complètement fou"

"Bien insérés socialement et professionnellement", Geoffroy, Maxime, Frédéric, Jérémy et Billy sont cinq hommes blancs dans la trentaine, travaillant dans le secteur manuel et originaires de l'Essonne. Ils ont été arrêtés en arrivant à Paris, samedi 1er décembre, alors qu'ils venaient de se garer non loin des Champs-Elysées. Les policiers ont retrouvé dans leur voiture et sur eux un inventaire d'objets suspects : des gants, des masques, des flacons de sérum physiologique et des "substances incendiaires ou explosives", des pétards pour enfants achetés dans un magasin de magie.

"Le masque, c'était pour me protéger, j'étais venu pour manifester pacifiquement. D'ailleurs, j'avais ma carte d'identité sur moi car je savais qu'il fallait la montrer, se défend Jérémy, tourneur-fraiseur, devant la 24e chambre correctionnelle du tribunal de Paris (1re section). Les pétards étaient encore dans leurs sachets. Si on les avait utilisés, ç'aurait été pour faire un peu d'ambiance". "Il y avait déjà pas mal d'ambiance quand même !", répond la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez. Son voisin regrette la tournure prise par les événements et assure qu'il n'avait pas vu à la télévision, ni entendu à la radio, que la mobilisation dégénérait. "Pourtant, au vu des images qui tournaient à la télévision, moi-même j'aurais pu prévoir ma présence cet après-midi [au tribunal] !", sourit la présidente. Un autre assure qu'il s'est muni d'un masque de protection car il avait entendu "qu'il y avait du cyanure dans les bombes lacrymogènes". "Je vous assure que s'il y en avait, vous seriez tous tombés !", rétorque la présidente.

D'une toute petite voix, le dernier de la bande, silhouette fluette et cheveux dorés, prévient qu'il a vécu sa première garde à vue et qu'il n'a pas l'habitude des prétoires. La procureure requiert pour ce groupe entre 3 et 6 mois d'emprisonnement avec sursis, et une interdiction de venir à Paris. "Ils n'ont même pas manifesté, ils n'ont même pas été auprès de forces de l'ordre que les voilà en garde à vue !" s'insurge l'un de leurs avocats commis d'office, Me Djian, rappelant que "les pétards sont juste interdits à des enfants de moins de 12 ans". Seul l'un d'entre eux, déjà condamné à du sursis dans une affaire de conduite, écope de trois mois de prison ferme. 

Des dossiers "vides" pour la défense

A de nombreuses reprises, les avocats dénoncent la teneur des dossiers, selon eux "vides", imprécis, "hallucinants" et sans "qualification possible des faits". L'un est appelé pour avoir ramassé un casque Decathlon après le pillage d'un magasin, un autre pour avoir porté deux grammes de cannabis sur lui. Certains prévenus ont bien un casier – conduite sous emprise de stupéfiant, violence, vol – mais la plupart n'ont pas d'antécédents judiciaires. 

On a simplement une personne entourée de "gilets jaunes" et c'est suffisant pour l'emmener devant le tribunal (...), c'est complètement fou.

Me Fabrice Helewa, avocat

devant le tribunal de Paris

En fin d'après-midi, Maxime se présente, lui, avec de gros bleus sur le visage. Il a été interpellé alors qu'il écrivait "Marche ou crève" avec des pochoirs représentant le visage d'Emmanuel Macron sur plusieurs façades. "Je me suis exprimé comme ça, car on ne nous écoute pas avec nos paroles", clame-t-il, se disant prêt à recommencer. Un brin exaspéré, son avocat plaide devant le tribunal : "C'est de la peinture qui s'efface à l'eau en quelques secondes (...) Maxime n'est pas dans la start-up nation ni les GAFA, il travaille en intérim chez Amazon." Le jeune homme écope de six mois de prison avec sursis. Dans les couloirs, son avocat, Me Djian, déplore une journée de "réquisitions très sévères au regard des faits non caractérisés" étayés dans les dossiers.

"Il n'est resté que dix minutes sur place"

"Cette manifestation, elle ne ressemblait pas à toutes les autres (…). Pas de revendication, pas de banderole, pas de porte-parole, que des groupuscules", souligne, dans la salle à côté, le procureur, devant la 24e chambre correctionnelle du tribunal de Paris (2e section). Il cite le procès-verbal "qu'on appelle d'ambiance". "L'ambiance, on l'a eue, ce 1er décembre, à partir de 8h50." "Celui qui est dans le box a participé au groupe avec cet élément en tête", affirme-t-il en désignant Matthias sur le banc des prévenus. Le jeune homme, âgé de 21 ans, est enquêteur de satisfaction en CDD au sein d'un groupe automobile à Dreux, pour un salaire mensuel de 1 287 euros.

Matthias a été interpellé samedi 1er décembre à 10h20, sur les Champs-Elysées, après un jet de projectiles. Il avait sur lui un masque à gaz, des lunettes de plongée, des gants et un tournevis qu'il appelle "démonte-obus"Ses parents, chez lesquels il vit, sont dans la salle. Les traits tendus, ils fixent leur fils. Ils savaient qu'il était parti manifester à Paris : il avait déjà participé à des actions avec les "gilets jaunes". Ils ont appris sa garde à vue, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 décembre, à 4 heures du matin, par un appel de leur fils. Matthias apparaît même dans un sujet du JT de TF1. L'avocate commise d'office montre la capture d'écran à la présidente du tribunal et au procureur. L'image tourne sur les groupes Facebook des "gilets jaunes". Pourtant, le jeune homme n'est pas l'auteur des violences parisiennes. Le procureur le reconnaît lui-même. 

Il n'a pas commis des faits très graves, il est jeune, n'a pas de passé judiciaire.

Un procureur

devant le tribunal de Paris

Il "ne fait pas partie des casseurs" et "n'est resté que 10 minutes sur place", estime l'avocate du prévenu, qui plaide la relaxe. Matthias est finalement condamné à un mois de prison avec sursis.

Un "message" envoyé à tous les "gilets jaunes"

Preuve que les profils sont disparates : il y a ce trio de jeunes qui vit à Bondy (Seine-Saint-Denis) : Oualid, chauffeur-livreur, Mohamed, poseur de bois pour la RATP, et Miloud, étudiant en BTS Transports et logistique. S'ils se retrouvent devant le tribunal, c'est parce qu'ils ont été interpellés sur le périphérique après un excès de vitesse, tôt dimanche matin, et que, dans la porte avant du véhicule, se trouvaient six médailles souvenirs de l'Arc de triomphe. Sur la banquette arrière, une batte de base-ball. "On a vu la manifestation des 'gilets jaunes', on a fait les curieux", raconte Oualid. "On n'a rien à voir avec les manifestants, mais alors rien à voir… On était juste partis acheter des chaussures Louboutin pour mon anniversaire." Mohamed dit avoir acheté les médailles à Bondy, à un vendeur à la sauvette. "J'ai cru que c'était de l'or", se justifie-t-il. "On n'a pas le profil de casseurs ou de tout ce qui est reproché." Mohamed et Oualid sont condamnés à des peines de jours-amende ; Miloud, relaxé. 

Lundi, un seul prévenu se distinguait vraiment : Mickaël, natif du Rhône, interpellé gare de Lyon à Paris, vendredi 30 novembre, en possession de "l'équipement classique du black bloc", selon l'accusation : sweat à capuche ACAB (All Cops Are Bastards, "tous les flics sont des bâtards"), cote de mailles, casque, lance-pierres, 250 billes de plomb. Déjà condamné en 2010, il s'est vu infliger six mois de prison, dont trois mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, peine assortie d'une obligation de trouver une résidence et de chercher un emploi. Il dormira en prison. Mardi, les nouvelles comparutions devraient traiter de dossiers plus lourds, notamment le saccage de l'Arc de triomphe. "Mais on a surtout l'impression que la justice essaye d'envoyer un message à tous les "gilets jaunes" pour qu'ils s'arrêtent", clame un avocat.

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