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"Convois de la liberté" : "Il n'y a aucun autre point commun que celui d'un ras-le-bol général", selon Mathieu Slama

Pour l'essayiste Mathieu Slama, le mouvement des "convois de la liberté" réunit des profils très différents, unis dans l'expression d'une colère et d'un ras-le-bol général.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants acclament les véhicules des "convois de la liberté" qui circulent autour de l'Arc de Triomphe à Paris, le 12 février 2022. (BENJAMIN BERAUD / HANS LUCAS VIA AFP)

"Il n'y a aucun autre point commun que celui d'un ras-le-bol général", affirme samedi 12 février sur franceinfo Mathieu Slama, essayiste, auteur du livre "Adieu la liberté" publié aux Presses de la Cité en janvier, à propos de la mobilisation ce samedi des autoproclamés "convois de la liberté" à Paris.

franceinfo : Quels sont les points communs des manifestants du "convoi de la liberté" ?

Mathieu Slama : Il n'y a aucun autre point commun que celui d'un ras-le-bol général, que ce soit sur la question des libertés, sur la question du pouvoir d'achat, la question de la démocratie. Il y a d'anciens "gilets jaunes" qui demandaient le RIC, donc plus de démocratie directe, etc. C'est très divers. Il y a des complotistes, mais il y a loin de n'y avoir que des complotistes. Il y a des anti-pass, l'extrême droite, l'extrême gauche, la droite, la gauche, il y a de tout, et c'est ça qui rend cette manifestation intéressante. On a en face un pouvoir qui au lieu d'essayer de dialoguer, de comprendre cette colère, en rajoute dans le côté pyromane. La manifestation a été interdite par le préfet de police de Paris, là on a pu voir des images assez choquantes de violences policières aux Champs-Elysées. Ca fait six mois que le gouvernement tient des propos quasiment insultants envers les non-vaccinés, en les traitant d'irresponsables, d'égoïstes. A quoi d'autre pouvait aboutir cette politique jusqu'au-boutiste et très autoritaire qu'à un mouvement de colère comme celui-ci ?

Ce qui se passe aujourd'hui rappelle-t-il les "gilets jaunes" ?

On retrouve deux choses qui avaient lieu lors des "gilets jaunes" : d'une part ce ras-le-bol général, et notamment le ras-le-bol social, qui s'exprime à nouveau. Mais aussi et surtout le côté symbolique : on va sur Paris, on essaye d'aller sur les symboles de la capitale, les symboles politiques. On retrouve un certain esprit qui était présent lors des "gilets jaunes". Ce qu'il y a de plus, là, c'est la crise sanitaire, et le fait qu'on vit depuis deux ans dans un état d'exception, avec des mesures très autoritaires. Ca change tout, car il y a aussi la question de la liberté, qui est fondamentale.

Ce mouvement arrive alors que l'exécutif annonce un assouplissement à venir des restrictions sanitaires, avec peut-être la levée du pass vaccinal au printemps. Cela veut-il dire que la colère va au-delà de la crise sanitaire ?

C'est une colère plus générale. On a un pouvoir qui utilise des méthodes de gouvernement très autoritaires. Et le chef de l'Etat lui-même va jusqu'à dire "j'ai envie d'emmerder des millions de Français", en l'occurrence les non-vaccinés. S'est installée politiquement une manière de gouverner très autoritaire, qui m'effraie énormément. Même si on annonce d'éventuelles fins de restrictions, qui ne sont pas en réalité des fins de restrictions, puisque le pass est levé, il peut être remis à n'importe quel moment. Il y a le ras-le-bol social, le ras-le-bol politique, et de manière générale le sentiment d'avoir été méprisés, humiliés depuis cinq ans. Ce sont "les humiliés de la Macronie". Ca révèle la dérive autoritaire dans laquelle on est, et qui au final a des effets extrêmement pervers.

A deux mois du premier tour de l'élection présidentielle, l'exécutif peut-il rester sourd face à ces revendications ?

Ce qui m'inquiète, c'est la stratégie politique derrière tout ça, parce qu'au fond, l'électorat d'Emmanuel Macron est un électorat qui veut de l'ordre, de la discipline, de l'autorité. Avec ce mouvement, il peut y avoir la tentation, de la part du gouvernement, de montrer les muscles pour dire "regardez, on est le garant de l'ordre", et c'est un peu ce qui s'est passé aujourd'hui aux Champs-Elysées. La réponse policière a été très très forte, très violente. Il y a cette idée d'être le garant de l'ordre face au chaos, face à l'irrationalité, face aux extrêmes, etc., ce qui était déjà le discours d'Emmanuel Macron et de la majorité face aux "gilets jaunes". Ce qui m'inquiète, c'est que le gouvernement utilise un peu cyniquement une situation où il y a de la souffrance humaine, des revendications qui sont sincères pour beaucoup, à des fins politiques et électoralistes. Comme aujourd'hui, il y a une demande d'ordre de plus en plus forte dans le pays, notamment chez l'électorat d'Emmanuel Macron et à droite de manière générale, on peut dire qu'électoralement, politiquement, le gouvernement peut être amené à durcir le ton face à la manifestation, ce qui serait une bien triste nouvelle.

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