Cet article date de plus de cinq ans.

"Comment voulez-vous piloter un débat et en même temps incarner ce sentiment d'injustice ?": Chantal Jouanno s'explique sur France Inter

Publié
Temps de lecture : 9min
Article rédigé par franceinfo
Radio France

Chantal Jouanno a expliqué mercredi sur France Inter qu'elle reste présidente de la Commission nationale du débat public pour "défendre son intégrité" et pour ne pas cautionner l'idée que cette commission ne servirait à rien, après la polémique sur le montant de sa rémunération.

La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, a affirmé mercredi 9 janvier sur France Inter que le fait de se retirer du pilotage du grand débat public était "(son) choix" et que "la seule raison de [sa] démission" est la polémique sur le montant de sa rémunération, et pas à d'éventuels désaccords avec le gouvernement. "Comment voulez-vous piloter un débat et en même temps incarner ce sentiment d'injustice ?", a-t-elle commenté. Plus largement, elle a estimé que "le gouvernement doit se saisir" sur la rémunération des hauts fonctionnaires.

France Inter : Vous avez décidé de jeter l'éponge hier soir, à quel moment avez-vous pris cette décision ?

Chantal Jouanno : Hier après-midi, en constatant et en prenant acte que tous ces questionnements autour de mon niveau de salaire et plus largement celui des présidents d'autorités indépendantes et donc des hauts fonctionnaires ne créaient vraiment pas les conditions de sérénité pour mener à bien ce débat, qui a vraiment besoin de sérénité. Ça aurait été un frein à la tenue du débat. La polémique serait revenue en permanence, bien évidemment. Ce débat qui est légitime d'ailleurs, il faut surtout pas considérer que c'est un questionnement illégitime qu'on peut balayer, même s'il n'est pas de mon ressort de fixer ces niveaux de rémunération.

Ni le président ni le Premier ministre ne vous ont retenue ?

Non c'était mon choix, et c'était un choix assez clair et assez définitif, et dans l'intérêt même du débat. Ce qui affaiblirait le débat, et je pense qu'il est vraiment nécessaire, je ne rencontre que des personnes qui souhaitent que ce débat ait lieu et qui ont des choses à dire et qui ont besoin d'être écoutés, donc ce qui affaiblirait le débat serait au contraire que je reste.

Pourquoi vous n'avez pas assumé les choses et n'êtes-vous pas restée pour continuer à piloter le débat ?

Mais je les assume pleinement, ce n'est pas moi qui fixe le salaire. Mais en même temps, ce débat porte fondamentalement sur la question du pouvoir d'achat et de la justice sociale, et l'ensemble de ces rémunérations sont considérées par un nombre de personnes qui se sont exprimées comme injustes. Donc comment voulez-vous piloter un débat et en même temps incarner ou porter ce sentiment d'injustice?

Vous trouvez que gagner 14 000 brut par mois quand on est un haut-fonctionnaire, c'est trop ?

Je n'ai pas à juger du niveau [de rémunération]. C'est aujourd'hui nos concitoyens qui ont la parole, c'est à eux de s'exprimer sur ce sujet et c'est ensuite au gouvernement de fixer ce juste niveau, et pas seulement le mien, celui de tous les hauts fonctionnaires qui sont concernés. Le gouvernement doit se saisir de ce sujet, il est sur la table.

Vous allez continuer à toucher ce salaire ?

Mes missions continuent.

Est-ce qu'il n'aurait pas été cohérent que vous démissionniez complètement ?

Je me suis posé la question, très honnêtement. On a eu un long débat hier après-midi avec plusieurs défenseurs du droit à la participation qui m'ont tous dit : 'si tu démissionnes, tu vas cautionner cette idée que la Commission nationale du débat public ne sert à rien et tu vas l'affaiblir. Tu vas finalement donner raison à toutes celles et à tous ceux qui veulent tuer depuis très longtemps cette commission parce qu'elle est indépendante, parce qu'elle défend un droit, parce qu'elle défend justement ce qui est en train de se passer, le droit à la parole citoyenne'. Et ce droit à la parole citoyenne, vous n'imaginez pas combien de fois la commission a été attaquée, en essayant de la bâillonner, en essayant de porter atteinte à son indépendance. Et c'est très clairement l'objectif de cette polémique in fine, c'est de dire 'tiens on va peut-être en profiter pour supprimer cette commission qui dérange tant'.

Donc vous y voyez une manœuvre politique ?

Quand on attaque sur ce terrain, c'est très clairement pour porter atteinte au débat public et pour porter atteinte au droit à la participation. Ca sera très intéressant de savoir [qui a révélé le salaire], mais ce n'est pas à moi de faire ce travail. Les journalistes ont beaucoup plus de capacités d'investigation et de qualités pour le faire.

Est-ce que la CNDP va continuer d'organiser ce grand débat, ou est-ce qu'il aura lieu ailleurs ?

On met en place toute l'organisation, on a mis en place toute la méthode. Il sera opérationnel au 15 janvier, ça c'est prêt. On est vraiment très opérationnels. Qui pilotera ce débat ? Il appartient au gouvernement de trouver les bons pilotes de ce débat national.

Cette polémique autour de votre salaire est-elle la seule raison de votre démission ?

C'est aujourd'hui la seule raison de ma démission. En même temps, ça me donne l'occasion aussi de défendre mon intégrité. Je ne suis pas ici pour toucher un salaire et pour une mission qui n'aurait rien à faire. Au contraire, la commission a énormément de missions. Aujourd'hui on garantit 70 débats en France, sur des énormes sujets. Par exemple sur l'agrandissement de Roissy, 40 millions de passagers supplémentaires attendus, c'est l'équivalent d'Orly, sur la gestion des déchets radioactifs à l'avenir, etc. On veille à ce que tout le monde soit informé, à ce qu'on dise vraiment tout, à ce que tout le monde puisse s'exprimer et qu'on ne bâillonne pas certains parce que leur parole dérangerait.

Ca fait deux fois que vous utilisez le mot "bâillonner", est-ce qu'au fond, on lit aussi en filigrane qu'il y avait aussi ça, votre crainte de ne pas avoir les garanties de votre indépendance pendant ce grand débat ?

Les garanties de l'indépendance, elles ont toujours été clairement fixées par la commission, la commission l'a dit...

Oui, mais le gouvernement l'a-t-il aussi bien entendu ?

Ah... Il faudra lui poser la question.

Avant la polémique sur votre salaire, il y a eu une première polémique sur vos propos sur le mariage pour tous, où vous aviez dit qu'aucun thème ne serait interdit. Vous avez été contredite publiquement par Marlène Schiappa et Benjamin Griveaux. Cela a-t-il joué dans votre décision ?

Non, je pense que c'est une méconnaissance du débat public que de considérer que les personnes ne vont pas pouvoir porter les sujets qu'elles souhaitent porter sur la table. On ne peut pas dire d'un côté, dans le débat public, 'vous pourrez parler de tous les sujets, que ce soit le RIC, que ce soit la remise en cause de la suppression de l'ISF' et de l'autre dire, 'd'autres sujets vous ne pourrez pas en parler'.

Ne faut-il pas des garde-fous, et dire que sur le mariage pour tous, le droit à l'avortement, la peine de mort, on y revient pas ?

Il y a deux sujets. Il y a le sujet du débat, et le sujet des décisions. Le sujet du débat, on ne peut pas débattre de tout ce qui serait des incitations à la haine, à la violence. Le mariage pour tous, c'est un droit acquis. A titre personnel, j'avais personnellement défendu ce droit et ça m'avait valu beaucoup d'attaques. A titre personnel, je ne souhaite pas du tout qu'il soit remis en question, mais vous ne pourrez pas empêcher des débats sur ce sujet. Par contre le gouvernement est très clair : bien évidemment qu'il n'y aura pas a priori de remise en question dans sa décision de ce droit au mariage pour tous comme évidemment de la peine de mort.

Vous ne craignez pas que ce débat parte dans tous les sens et qu'au fond, ce soit les plus extrêmes qui prennent la parole, ou que ce soit noyauté par les lobbys ?

Non. Si on se limitait à une plateforme numérique, comme on a pu le voir au Conseil économique, social, et environnemental, où là c'est très facile de ‘troller’ cette plateforme numérique. Là, évidemment ce sont les extrêmes, en général, qui s'en saisissent. Par la méthode qui a été proposée et le fait qu'il y aura des milliers de réunions locales avec des associations, des syndicats, ce sera impossible aux extrêmes de noyauter le débat.

Vous êtes soulagée ce matin ?

Bah... et en même temps un peu triste, parce que ce débat doit vraiment avoir lieu.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.