Professions réglementées : l'ouverture à la concurrence est-elle la solution miracle ?
Un rapport de Bercy appelle à réformer 37 professions réglementées, commes les médecins ou les huissiers. L'analyse d'un économiste.
Les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes ou encore les notaires : au total, 37 professions réglementées ont du souci à se faire selon un rapport de l'Inspection générale des finances. Ce service de Bercy estime que ces métiers - dont l'accès est soumis à des conditions parfois drastiques - tirent un avantage de ces réglementations en terme de revenus. Des réformes pourraient faire baisser leurs tarifs jusqu'à 20%, ce qu'Arnaud Montebourg veut exploiter pour "restituer" 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français.
Bruno Decoudré, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques, analyse les résultats possibles d'une telle réforme.
Francetv info : Que veut dire Arnaud Montebourg quand il parle de "monopoles" et de "rentes" au profit de certaines professions réglementées ?
Bruno Ducoudré : Le monopole, c'est la situation dans laquelle est un producteur qui est le seul à fournir un bien ou un service particulier. Plus largement, et c'est le cas quand on parle des professions réglementées, le monopole est le fait de ne pas avoir de concurrence libre, parce qu'il est nécessaire de remplir certaines conditions d'entrée pour exercer un métier ou offrir un service bien précis.
Le fait d’être en monopole vous procure un pouvoir de marché plus important : vous pouvez fixer votre prix librement puisqu'il n'y a personne en face pour dire "je fais moins cher". Cela vous permet d'augmenter votre marge et ainsi de dégager un surprofit, par rapport au profit que l'on ferait en situation de concurrence. C'est ce surprofit que l'on appelle une rente.
Les professions réglementées sont-elles vraiment dans cette situation ?
Cela dépend. Certaines de ces professions rendent des services publics. D’autres sont réglementées pour éviter certaines dérives. On ne peut pas mettre en parallèle un médecin et un chauffeur de taxi. Mais toutes ces professions sont effectivement encadrées, on ne peut pas les intégrer facilement, ce qui limite la concurrence. De plus, les prix et les revenus tirés de ces professions sont généralement assez élevés comparativement au revenu moyen des Français.
Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure les hauts revenus d'un médecin, par exemple, proviennent d’une rente, et dans quelle mesure ils s'expliquent par le fait qu'il a fait 10 ans d’études. Ce sont des données qui sont sans doutes analysées dans le rapport [qui sera rendu public par le ministère de l'Economie à une date encore indéterminée].
Déréglementer permettrait-il de "restituer" du pouvoir d'achat aux Français, comme veut le faire Arnaud Montebourg ?
On doit pouvoir réglementer un certain nombre de professions différemment pour que le consommateur paye moins cher un service. Quand on regarde les droits de mutation payés aux notaires quand on achète un bien, et qu’on regarde les revenus dégagés par ces mêmes notaires, on peut se dire qu’il y a de la marge pour redistribuer une partie de cette richesse. De même, si vous faites en sorte qu'il y ait plus de notaires ou de médecins, en baissant par exemple le numerus clausus, on peut s'attendre à ce que la partie non réglementée de leurs honoraires baisse sous l'effet de la concurrence.
Mais c'est anticiper un peu sur les réformes à venir, qui peuvent prendre des formes très diverses selon les professions. Augmenter le numerus clausus ne veut pas dire que l'on va casser toute la législation. La réglementation sert aussi à faire de la sélection. Si on supprimait le numerus clausus des médecins, cela ouvrirait le marché à des gens qui n’ont pas forcément un niveau de compétence suffisant pour exercer. La question est de savoir où placer le curseur.
De nombreux rapports ont tenté de s'attaquer aux professions réglementées, notamment le rapport Attali en 2008. Pensez-vous que la réforme souhaitée par le ministre de l'Economie peut aboutir ?
Ce que l'Etat est en train de négocier avec Bruxelles, c’est la mise en place de réformes structurelles, comme celles des professions réglementées, en échange d’une attitude plus conciliante de l'Union Européenne sur le fait que les objectifs de déficits qu'elle a fixés ne seront pas atteints.
Les 6 milliards d'euros avancés par Montebourg ne seront pas créés, mais simplement redistribués des professionnels concernés aux consommateurs qui feront appel à leurs services. Mais étant donné le niveau de revenus élevés de ces professions réglementées, on peut espérer un effet positif pour le pouvoir d'achat des ménages plus modestes. Ensuite, il faudra passer par un processus de négociations avec les représentants des professions concernées, et il y aura forcément des compromis. Au final, il n'y aura certainement pas 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat supplémentaires pour les ménages.
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