Enquête franceinfo Autour de Sébastien Cauet, une ambiance sexiste pendant trente ans, à la radio comme hors antenne

A 51 ans, Sébastien Cauet est visé par quatre plaintes pour viols et agressions sexuelles. L'animateur vedette conteste toutes ces accusations, et a lui-même déposé plainte pour "dénonciation calomnieuse" et "tentative d’extorsion de fonds".
Article rédigé par Clara Lainé, Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Sébastien Cauet est visé par quatre plaintes pour viols et agressions sexuelles. L'animateur dénonce des "mensonges" et une tentative d'extorsion. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

La séquence est glaçante. Sur le plateau de l'émission "CaueTivi", en 2006, l'animatrice Cécile de Ménibus est agressée par l'acteur de films X Rocco Siffredi, qui la saisit et mime un acte sexuel, sous les yeux du présentateur, Sébastien Cauet, hilare. A l'époque, la scène n'a pas fait réagir. Mais en 2017, dans le sillage de la vague MeToo, Cécile de Ménibus est revenue à plusieurs reprises sur ce qu'elle a subi. "J'aurais aimé lui mettre une claque à l'époque", déclarait-elle sur le plateau de "Salut les Terriens" à propos de la star de l'industrie pornographique. Elle ne l'a pas fait, redoutant de "passer pour une mégère ou pour une emmerdeuse".

La même année, Sébastien Cauet a également été invité à réagir, lors d'une interview pour le site Pure Médias. Son commentaire : "J'ai appelé Cécile et je lui ai dit d'arrêter son cirque (...) Je lui ai dit d'arrêter de ressortir ce truc à chaque fois." Six ans plus tard, sur BFMTV, dimanche 10 décembre, son ton a changé. Il a jugé que Rocco Siffredi avait eu "une attitude de porc". Une condamnation publique, 17 ans après les faits, de la part un animateur visiblement agacé d'être de nouveau confronté à ces images, alors qu'il était venu se défendre face aux accusations qui pèsent contre lui. 

"Tous un peu responsables d'avoir laissé faire"

L'animateur star de NRJ, en retrait de l'antenne depuis sa mise en cause, est visé par quatre plaintes de quatre femmes différentes pour viols et agressions sexuelles. Une enquête préliminaire a été ouverte pour "viols sur mineure de plus de 15 ans et viols". A 51 ans, Sébastien Cauet se dit "dévasté" et dénonce avec force des "mensonges", même s'il soutient que "la parole des femmes victimes est sacrée". Il a contre-attaqué, portant plainte pour "dénonciation calomnieuse" et "tentative d'extorsion de fonds". Son épouse, Nathalie Dartois, est venue sur le plateau de "Touche pas à mon poste", défendant son mari qui, affirme-t-elle, "n'a jamais forcé aucune femme (...) n'a jamais violenté une femme". 

Depuis ces accusations, de nombreuses séquences problématiques ont refait surface. Parmi elles, des épisodes parfois violemment misogynes. "A l'époque, les choses étaient différentes", rappelait le 26 novembre Cécile de Ménibus sur son compte X (ex-Twitter) à propos du fameux épisode avec Rocco Siffredi, ajoutant : "Nous sommes tous un peu responsables d'avoir laissé faire." Mais laisser faire quoi, exactement ? Pour tenter de répondre à cette question, franceinfo a interrogé d'anciens et actuels collaborateurs de Sébastien Cauet. Ils relatent une ambiance de travail sexiste, dans les émissions comme hors antenne. 

"Il ne fallait pas s'offusquer, ne rien dire" 

Le jeune Sébastien Cauet, 20 ans, qui n'est alors pas encore une star médiatique, débarque sur Fun Radio, en 1993. A cette époque, ce sont les débuts de la libre antenne : les radios donnent la parole aux auditeurs, qui s'expriment sur tout ce qu'ils veulent, et notamment sur le sexe, de manière parfois très crue. Le ton est donné : les animateurs enchaînent les canulars, les blagues et les clashs, avec une liberté de parole presque sans limite. 

"Quand Cauet a commencé, les animateurs faisaient des blagues de cul. J'ai connu la radio où on se marrait, où les blagues étaient très potaches. C'est vraiment l'esprit de ces années-là", relate Eléonore*, qui a collaboré avec l'animateur dans les années 1990. "Il fallait faire preuve de répartie, encore plus quand on était une femme", poursuit Sandrine*, qui a également travaillé en étroite collaboration avec Sébastien Cauet au début de sa carrière. 

"Il ne fallait pas être fragile, parce que ce milieu était essentiellement constitué d'hommes dominants. Les mains aux fesses volaient."

Sandrine*, ex-collaboratrice de Sébastien Cauet

à franceinfo

"Il ne fallait pas s'offusquer, ne rien dire face aux vannes des mecs", se souvient Sandrine. Celle qui décrit une atmosphère de "joyeux bordel" est tout de même arrivée avec "la sensation d'être en lutte permanente" pour se faire une place en tant que femme dans ce milieu d'hommes. "Il fallait apprendre vite, regarder, intégrer et reproduire. Si t'avais ça, c'était bon." On compte alors très peu d'animatrices. "Les auteurs, c'étaient des garçons, même les stagiaires étaient des hommes", relève Sandrine.

"Un homme de pouvoir, qui aimait séduire"

La gent féminine est en revanche surreprésentée dans le public de Sébastien Cauet. "Ce qui m'étonnait beaucoup, c'était la relation entre lui et ses fans", se remémore Eléonore. "Déjà à l'époque où il n'était pas connu à la télévision [il animera "La Méthode Cauet", entre 2003 et 2008], les filles du public étaient folles de lui. Elles minaudaient, arrivaient les bras chargés de cadeaux. Ça partait en petit-déjeuner, on ne savait pas ce qu'ils faisaient, mais on s'en doutait", poursuit-elle. Les hypothèses allaient bon train et se traduisaient par des "vannes" quotidiennes. Sandrine affirme également que Sébastien Cauet "était très courtisé". Elle précise avoir "vu de sa part, de la drague parfois super appuyée", sans "rien constater de répréhensible".  

"Si on devait s'en prendre à tous les animateurs qui ont baisé avec les auditrices, il y en a pour dix ans", lâche crûment Eléonore, se souvenant qu'à cette époque, pour "tous les mecs qui travaillaient dans la radio, l'égo se situait dans le caleçon". Elle dit l'avoir constaté encore plus fortement chez Sébastien Cauet, "un homme de pouvoir, qui aimait séduire, et aimait que des petites nanas de 16-17 ans lui disent qu'il était génial".

Interrogée par franceinfo, la direction de Fun Radio, où Sébastien Cauet a officié entre 1993 et 1995, puis de 2004 à 2008, déclare "ne pas avoir de commentaire à faire" sur l'attitude et les propos reprochés à l'animateur. Europe 2, antenne sur laquelle Sébastien Cauet est passé de 2001 à 2004, a vu son équipe dirigeante "100% renouvelée" depuis cette époque et n'a donc rien à dire sur cette période. NRJ, où il a animé "C'Cauet" presque sans discontinuer depuis 2010, n'a pas répondu aux sollicitations de franceinfo. Outre la suspension de l'animateur, la radio a annoncé avoir lancé une enquête interne "conduite par un cabinet extérieur et totalement indépendant", même "si aucun fait contraire à la charte d'éthique du groupe ou attentatoire à la dignité n'avait été signalé"

"Peut-être qu'il a donné son numéro trop de fois à des nanas"

Audrey*, qui travaille avec l'animateur depuis près de vingt ans, est, elle, bouleversée par les accusations qui pèsent sur lui. "Peut-être qu'il a été très potache sur des trucs, peut-être qu'il a donné son numéro trop de fois à des nanas, reconnait-elle. Mais moi, il ne m'a jamais rien fait, pas même une allusion sexiste", insiste cette accolyte de Sébastien Cauet, visiblement émue. 

Thomas*, ancien collègue de l'animateur, se montre plus dur vis-à-vis du regard que celui-ci portait sur les femmes. Il était, selon lui, "le pire qu'on puisse imaginer". Il a travaillé avec Sébastien Cauet en tant qu'animateur à ses débuts, pendant un an environ. 

"Il ne doutait de rien, il avait une forme de toute-puissance permanente."

Thomas*, ex-collègue de Sébastien Cauet

à franceinfo

A l'antenne, les invitées de Sébastien Cauet ont fait les frais de saillies à caractère sexuel. En 2010, la chanteuse Priscilla est invitée de l'émission "C'Cauet", sur NRJ. "Oh mon fantasme !", lance Sébastien Cauet en guise de bonjour. Il fait ensuite allusion aux débuts de Priscilla, dont le premier tube est sorti quand elle avait 13 ans. "Je me disais : 'Non, elle est mignonne, mais 13 ans !' Et deux, trois ans plus tard, j'ai eu le malheur de dire à mon équipe : 'quand même, je la trouve super sexe'". Un chroniqueur renchérit : "En fait, il avait un calendrier, et depuis tes 13 ans il rayait chaque jour"

Rares sont celles qui ont exprimé publiquement leur désapprobation. En 2013, Virginie Efira, elle, critique l'animateur, jugeant dégradant le quiz qu'il soumet à Marine Lorphelin, Miss France de l'époque, dans l'émission "Bienvenue chez Cauet", diffusée sur NRJ12. "Faut se rebeller un peu, il y a toujours l'idée sous tendue que t'es belle donc t'es un peu conne...", déplore l'actrice et animatrice. Marine Lorphelin devait répondre par "Miss France", "la tour Eiffel", ou "les deux", à des propositions comme : "Il n'y a pas la lumière à tous les étages", "Elle se fait visiter par trois millions de touristes", ou "Alain Delon l'a grimpée plusieurs fois".

Ces propos sexistes ont également pu survenir dans un autre cadre que les émissions, selon les témoignages recueillis par franceinfo. Ainsi, Bonnie* se souvient d'un premier échange libidineux avec l'animateur "autour de 2010-2011". Alors âgée d'une vingtaine d'années, elle était stagiaire en tant qu'attachée de presse et s'occupait de comédiens, dont Sébastien Cauet. Elle l'a rencontré en coulisses, lors de l'un de ses spectacles. "Une des premières phrases qu'il m'a dit, c'est : 'Comment êtes-vous épilée ?'", rapporte-t-elle.   

Clarisse*, qui a été assistante sur une émission de télé en 2008, a été amenée à croiser l'animateur à plusieurs reprises. Elle décrit également "quelqu'un d'un peu lourdaud qui proposait facilement de venir dîner avec lui". "Est-ce que c'était pénalement répréhensible ? Non", tranche toutefois la jeune femme, qui était alors âgée de 19 ans. 

Sébastien Cauet n'a pas souhaité répondre à franceinfo, qui souhaitait le confronter à ces témoignages. Mais l'un de ses avocats, Simon Clémenceau, tient à souligner qu'"il y a une différence fondamentale entre des séquences, souvent sorties de leur contexte, et les accusations [d'agressions sexuelles et de viols] qui sont portées" contre son client, estimant qu'il est "très dangereux de faire un continuum entre des extraits d'émissions et les accusations portées contre lui". 

"De graves manquements" sur le "respect de l'image des femmes"

Avec le temps, le comportement de Sébastien Cauet semble s'être quelque peu assagi, peut-être sous l'effet des réprimandes du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui a fini par taper du poing sur la table face à la misogynie ambiante dans ses émissions. Le CSA a ainsi adressé une mise en demeure à NRJ fin 2016, après avoir "constaté de graves manquements aux dispositions relatives au respect de l'image des femmes et à la protection de l'enfance et de l'adolescence", dans trois émissions de "C'Cauet". Un an plus tard, en 2017, le CSA a même condamné la station à un million d'euros d'amende, pour un canular téléphonique jugé "avilissant" dans lequel une jeune femme piégeait son amie, la traitant notamment de "grosse truie"

Nicolas*, stagiaire puis employé chez Be Aware, la société de production de Sébastien Cauet, de 2017 à 2018, affirme ainsi n'avoir jamais "eu affaire à des comportements problématiques" de la part de l'animateur. Il reconnaît simplement que "dans le bureau, ce n'était pas sérieux comme un cabinet d'expert-comptable", avec "des blagues qui pourraient être qualifiées aujourd'hui de choquantes". Pour comprendre Sébastien Cauet, il faut avoir en tête qu'il est "constamment entouré de personnes qu'il connaît depuis super longtemps : trente ans, parfois plus" et qu'il "manque parfois de filtres", tente de justifier AudreyMarc*, l'un de ses plus fidèles amis, qui travaille à ses côtés depuis de nombreuses années, abonde. Il évoque une question de "codes" auxquels "les jeunes générations" ne réagissent pas comme les précédentes.

Une nouvelle formule de "C'Cauet" au ton plus modéré

Audrey assure que les images d'anciennes émissions ne correspondent plus au ton adopté par Sébastien Cauet depuis quelques années. La nouvelle formule de "C'Cauet", diffusée de 15 heures à 19 heures, avant la suspension de l'animateur le 22 novembre, s'est, en effet, largement assagie : le format de l'émission a été complètement repensé "autour de 2017-2018", précise Audrey, après la vague MeToo. Fini les canulars, les blagues sexuelles, les strip-teaseuses invitées en studio. Terminée la libre-antenne avec les auditeurs qui relatent leurs anecdotes les plus trash. 

Cette nouvelle version se veut beaucoup plus consensuelle : pendant trois heures, l'animateur, entouré de son équipe, parlent d'actualité, de sorties cinéma avec leurs invités. Pourtant, "ce sont des programmes comme 'La Méthode Cauet' ou des chroniques comme le 'Marion teste' qui lui restent collés à la peau", déplore Audrey, en référence à cette séquence de l'ancienne version de l'émission, dans laquelle une animatrice téléphonait à un homme pour tester sa fidélité. "Il y a une nouvelle génération, une nouvelle manière d'écouter", observe-t-elle. Très loin, semble-t-il, du registre qui a prévalu pour Sébastien Cauet, pendant des décennies. 

* Les prénoms ont été modifiés. 

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