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Loi sur "le devoir de vigilance" des multinationales : une avancée utile mais insuffisante

Une proposition de loi pour renforcer la vigilance des entreprises envers leurs sous-traitants devrait être adoptée mardi à l'Assemblée nationale. Une "avancée" qui aurait pu être plus ambitieuse, selon Nayla Ajaltouni, du collectif Éthique sur l’étiquette.

Article rédigé par franceinfo
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L'hemicycle lors des questions au gouvernement a l'Assemblee Nationale, en février 2017. (MAXPPP)

Les multinationales françaises ne pourront bientôt plus fermer les yeux sur les agissements de leurs sous-traitants dans les pays à main d’œuvre à bas coûts. Les députés doivent adopter définitivement mardi 21 février une proposition de loi imposant aux grandes firmes un devoir de vigilance. Un texte directement lié à la catastrophe du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. L’effondrement d’un immeuble avait provoqué la mort de plus d’un millier d’ouvriers qui travaillaient pour de grandes marques occidentales de prêt-à-porter.

En France, cette loi va contraindre les entreprises françaises à veiller au respect des droits humains et de l’environnement par leurs filiales et de leurs fournisseurs. Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, a estimé, mardi sur franceinfo, que cette proposition de loi est une "avancée" car elle "va inscrire dans le droit dur un principe de précaution. Mais on aurait souhaité que le texte soit beaucoup plus ambitieux : qu’il y ait notamment un volet pénal et un plus large nombre d’entreprises concernées", a-t-elle regretté.

franceinfo : Que vont devoir faire les multinationales ? Comment surveiller les sous-traitants ?

Nayla Ajaltouni : Ce texte, que l’on peut qualifier d’avancée, va s'inscrire dans le droit dur. Pour la première fois, un principe de précaution et un devoir de vigilance va contraindre les multinationales à prévenir les risques que peuvent causer leurs activités et celle de leurs sous-traitants, au niveau humain et environnemental. Si un dommage survient, un juge pourra être saisi pour voir si le plan a été adéquat ou non.

Si cette loi n’est pas respectée, les entreprises risqueront-elles des amendes ?

Oui, dix millions d'euros maximum en cas de non-respect du plan de vigilance et en cas de dommages. Il ne pourra pas y avoir d'amende excédant les trente millions d’euros. 

L’idée avant tout est de prévenir les risques, d’élargir les principes de précaution et non de punir.

Nayla Ajaltouni, du collectif Ethique l'étiquette

à franceinfo


Pour vous, est-ce une loi utile et efficace, qui va assez loin ?

C’est un premier pas qui nous permet d’inscrire dans la loi les grands engagements, les grands principes qui étaient déjà pris par les multinationales et qui permet de mettre un terme à l’impunité. Mais on aurait souhaité que le texte soit beaucoup plus ambitieux. Qu'il y ait notamment un volet pénal et un plus large nombre d’entreprises concernées et pas seulement les grands groupes avec un grand nombre de salariés. Par ailleurs, en cas de dommage, la charge de la preuve revient encore à la victime. C’est déjà extrêmement compliqué de prouver qu'une pollution a été causée par une entreprise. Ça l’est davantage dans les pays en développement quand il s’agit de remonter à la maison-mère.

La France agit seule sur ce sujet. La droite réclamait une opération plus européenne. Cette loi peut-elle avoir des conséquences dans une économie mondialisée ?

Le niveau pertinent, c’est le niveau européen et même le niveau mondial. Toutefois on connaît le temps de la construction d’une directive européenne. La régulation au niveau européen est le fait du courage politique de grandes puissances économiques démocratiques, comme la France. C’est à la France de lancer ce type de texte. Il y a déjà des législations dans d’autres pays qui s’approchent de celle votée dans l'Hexagone. La France est loin d’être isolée.

Cette loi va-t-elle toucher des marques qui étaient pointées du doigt après l’affaire du Rana Plaza, comme Mango, Primark ou Carrefour ?

Carrefour oui, mais ça va aussi toucher les autres marques à partir du moment où elles ont une présence en France (avec plus de 5 000 salariés sur le territoire ou plus de 10 000 si on compte l'ensemble du groupe). Donc certaines de ces entreprises vont être exclues. C’est pour cela qu’on ne souhaitait pas ce seuil. La loi doit évoluer. En tout cas, pour celles qui sont concernées, on va pouvoir les rendre redevables.

C’est aussi une demande des consommateurs qui sont de plus en plus demandeurs de produits et de services faits de manière responsable.

Nayla Ajaltouni, du collectif Ethique l'étiquette

à franceinfo

Responsabilité des entreprises mais quid de la responsabilité des consommateurs. Avons-nous aussi a un rôle à jouer quand on achète un t-shirt à deux euros?

Effectivement il y a une responsabilité du consommateur qui est loin d’être celle de la multinationale et celle du donneur d’ordre qui a un pouvoir économique sur ses sous-traitants et qui elle-même définit ce modèle économique de pression sur les coûts et les délais de production. Dans le textile, il faut se rendre compte que notre recherche constante de prix bas se fait au détriment des droits de certains individus à l’autre bout du monde. Lorsqu’on n’a pas toujours un pouvoir d’achat et un pouvoir économique, notre pouvoir est celui de l’interpellation citoyenne. C’est ce qui a conduit les marques après l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, à signer cet accord qui les oblige à mieux sécuriser leurs locaux.

Les opposants au texte pourraient saisir le Conseil constitutionnel car ils estiment qu’on ne peut pas rendre responsable une entreprise pour le fait d’un tiers, pour le fait d’autrui. Que répondez-vous là-dessus ? 

Nous sommes plutôt sûrs de la sécurité, de la validité juridique du texte qui a été travaillé avec d’éminents juristes. Nous travaillons depuis trois ans sur cette loi et il y a une opposition très importante des milieux économiques. En face, se trouve aussi un lobbying citoyen. Nous espérons que la lecture politique du Conseil constitutionnel ira dans le sens de la défense de l’intérêt général avant celle de la libre entreprise.

Loi sur "le devoir de vigilance" des multinationales : une avancée utile mais insuffisante, selon Nayla Ajaltouni

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