Loi Macron : gouvernement, frondeurs, opposition, tous perdants ?
Confronté à une fronde dans son propre camp, le gouvernement a choisi le passage en force pour son emblématique loi Macron. Un choix condamné par la droite, le centre et l'extrême gauche.
Cela fait mauvais genre, à un peu plus de deux ans de la prochaine présidentielle. Face au risque de voir l'emblématique projet de loi Macron rejeté par les députés, le Premier ministre a choisi de passer en force. Mardi 17 février, le gouvernement a brandi l'article 49.3 de la Constitution, engageant au passage sa responsabilité.
Dans la foulée, l'UMP a déposé une motion de censure, rejointe par l'UDI mais aussi par les communistes et le Front de gauche. L'exécutif sort clairement affaibli, mais cette journée parlementaire agitée profite-t-elle pour autant à l'opposition ou à la gauche de la gauche ? Pas sûr.
Pour l'exécutif : "un aveu de faiblesse"
L'exécutif avait le choix "entre deux inconvénients, l'échec de la loi Macron par un vote ordinaire ou son succès par un vote forcé", analyse un proche du président. Pour éviter le premier écueil, François Hollande et Manuel Valls ont choisi le second : le passage en force.
Ce faisant, le chef de l'Etat est confronté à ses propres contradictions. Il relègue l'esprit réformiste et d'union nationale qu'il prônait après les attentats de début janvier. Et il recourt à une méthode qu'il dénonçait comme une "brutalité" et un "déni de démocratie", lors de sa dernière utilisation, par la droite, en 2006.
Quant à son Premier ministre, il est contraint à l'autoritarisme. Sur TF1, le chef du gouvernement a martelé sa "très grande détermination", sa volonté de "poursuivre les réformes", "jusqu'au bout, jusqu'en 2017", arguant que "la France a besoin d'autorité".
Le recours au 49.3 signifie aussi que l'heure du débat est passée. La fin du dialogue ou un manque de dialogue avec les membres réfractaires de sa propre majorité ? "Peut-être que la pédagogie n'a pas été suffisamment faite", a glissé sur RTL Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement. Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans, interrogé par 20 Minutes, pointe lui aussi "un manque criant de préparation".
Le recours au 49.3 a en effet été décidé in extremis, après un ultime échange entre François Hollande et Manuel Valls, juste avant que ce dernier ne monte à la tribune de l'Assemblée. Il constitue "un aveu de faiblesse" du gouvernement face à sa majorité, souligne l'universitaire
Pour Emmanuel Macron : un échec paradoxal
Le jeune ministre de l'Economie s'est heurté au "mur de la vieille politique", selon la formule accusatrice de Thierry Mandon, le secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification. Le projet de loi qu'il porte depuis près de six mois a besoin d'une arme extraordinaire pour franchir l'obstacle parlementaire, alors que lui misait au contraire sur un passage en douceur.
Le coup est d'autant plus dur à encaisser que l'énarque de 37 ans, attendu au tournant, avait déployé une méthode jusque-là louée par tous. A Bercy, en commission, puis dans l'hémicycle, il avait instauré une forte "coproduction", presqu'inédite, entre gouvernement et députés, acceptant plusieurs amendements, reculant face aux élus sur certaines dispositions, comme la vente des médicaments en grande surface et sur certaines dispositions sur le travail du dimanche. Mais la méthode Macron a fait long feu.
Dans l'hémicycle, le ministre, en colère, a regretté que les opposants à sa loi constituent "une forme d'union" de "ceux qui ne veulent pas changer le pays", en montrant d'un geste la gauche et la droite de l'hémicycle.
Pour le PS : un raté qui pourrait laisser des traces
Le recours à l'article 49.3 signe l'implosion de la majorité de François Hollande. Le Premier ministre, le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, mais aussi les ténors du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis et Bruno Le Roux, n'ont pas réussi à ramener au bercail les frondeurs de l'aile gauche du parti.
"Il y avait une majorité, mais elle était très courte, trop courte, 6-8 voix d'avance", avait calculé Christophe Borgel, député socialiste de Haute-Garonne, chargé du décompte. "Nous ne pouvions pas jouer aux dés un texte aussi important", a reconnu le chef du gouvernement.
La séquence devrait laisser des traces au PS. Une réunion de groupe s'est déroulée dans la soirée dans un "climat très houleux", selon des participants. Nombre de députés ont accusé les frondeurs d'un "coup de couteau dans le dos". "Il y avait beaucoup d'exaspération et de colère de la part de la majorité du groupe", a témoigné l'un d'eux. Et même des pleurs, selon un autre.
"Je ne vois pas de socialiste heureux après cet épisode", commente un proche du président, reconnaissant que "lorsque l'on parle d'union nationale, ce serait bien de faire celle des socialistes". Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a promis, sur Europe 1, une explication lors du Congrès du parti, en juin.
Pour les frondeurs : une "victoire à la Pyrrhus"
Emmenés par l'ex-ministre Benoît Hamon, les frondeurs se sont attaqués à la loi Macron, symbole, à leurs yeux, de la dérive libérale de l'exécutif. L'aile gauche du PS a porté son combat jusque dans l'hémicycle, menaçant de faire échec au texte en refusant de le voter. Mais en provoquant cette crise, elle a joué contre ses propres intérêts.
"En prenant la responsabilité de briser la majorité, ils affaiblissent le président de la République, le gouvernement et eux-mêmes", écrit dans Le Plus Françoise Degois, ancienne journaliste politique, et conseillère de Ségolène Royal. "En choisissant une ligne dure, butée, les frondeurs ont transformé l'hémicycle en plénière de Congrès du PS".
Pour l'UMP : une posture symbolique risquée
Les députés UMP ont déposé une motion de censure contre le gouvernement, à laquelle se sont associés l'UDI et le Front de gauche. Cet acte marque "la fin de l'unité transpartisane" post-attentats, a lancé Jean-François Lamour, député UMP de Paris.
La démarche n'a qu'un but symbolique : la motion n'a en effet aucune chance d'être adoptée au vu des rapports de force à l'Assemblée. Le cumul des voix de l'UMP, de l'UDI et du Front de gauche (environ 240) est loin d'atteindre la majorité requise des membres de l'Assemblée (289).
Dans cette affaire, la position de l'UMP est apparue très cynique. Le parti s'est opposé à un projet de loi qu'il a qualifié de "fourre-tout", alors qu'il comportait de nombreuses mesures, telles l'assouplissement du travail dominical ou la libéralisation des professions réglementées, auxquelles nombre de ses élus étaient favorables.
"En s'opposant à ce texte, ils adoptent ni plus ni moins la politique de la terre brûlée. Leur calcul est simple : plus la situation de l'économie française sera dégradée, plus les chances de Nicolas Sarkozy de bouter François Hollande hors de l'Elysée et de le remplacer seront fortes. Partisan et faisant totalement fi de l'intérêt général, ce jeu est très dangereux", analyse La Tribune.
Pour la gauche de la gauche : "une perte de repères"
Le groupe Communistes-Front de gauche à l'Assemblée a annoncé qu'il voterait la motion de censure de l'UMP dans une improbable coalition. "Il y a une perte de repères dans la gauche de la gauche qui est totale", a tancé, "choqué", le socialiste Jean-Marie Le Guen.
Même Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche à l'élection présidentielle de 2012, a critiqué cette décision. Il aurait préféré une motion "de gauche". "Je n'aurais pas procédé comme ça, d'abord parce qu'il n'y a aucune chance que cette motion de censure passe, donc qu'est-ce qu'on va aller se fourrer avec la droite dans une aventure pareille", s'est-il demandé sur France Info.
A la place, il aurait "proposé aux frondeurs et aux écologistes de faire une motion de censure pour montrer que, si le gouvernement est désapprouvé, il l'est par la gauche et pas par la droite".
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