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Infographies Panier de courses franceinfo : pourquoi le prix du sucre augmente-t-il de façon salée ?

Article rédigé par Théo Uhart - Géraldine Houdayer
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un paquet d'un kilo de sucre premier prix. Photo d'illustration. (JEAN FRANCOIS FREY / MAXPPP)
Le kilo de sucre premier prix a augmenté de plus de 30 centimes entre décembre 2022 et janvier 2023. La raison ? La très forte inflation sur le sucre, causée par l'affolement des cours internationaux. On vous explique pourquoi.

Les prix du sucre s'envolent. C'est le fait marquant de la troisième édition du panier de courses franceinfo / France Bleu, en partenariat avec NielsenIQ, qui suit au plus près du tapis de la caisse l'inflation sur 37 produits du quotidien. Entre janvier 2022 et janvier 2023, l'inflation du sucre premier prix est de 45%. C'est 28% pour tous les sucres (premiers prix, marques distributeurs, marques nationales).

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Conséquence de cette très forte inflation : les étiquettes s'affolent. En novembre 2022, un kilo de sucre premier prix coûtait 0,85 euro, en décembre 0,95 euro. En janvier 2023, il est en moyenne de 1,30 euro, c'est-à-dire une augmentation de 35 centimes en un mois.

Cette hausse "touche aussi tous les produits périphériques autour du sucre. Les biscuits sucrés, la confiserie du sucre, la confiture, etc. ont aussi augmenté ce mois-ci de manière significative", souligne Emmanuel Cannes, expert prix et inflation chez NielsenIQ. Comment expliquer cette brutale augmentation ? On fait le point.

Parce que les prix des cours internationaux s'envolent

"Le cours du sucre n'a jamais été aussi haut que dans les trois derniers mois de l'année 2022, constate Emmanuel Cannes. Si on prend une comparaison par rapport à avril 2020, on est quasi au double du cours du sucre."

"Aujourd'hui on est tout simplement revenu à un niveau de prix qui a économiquement du sens pour les producteurs. C'est tout simplement un rattrapage par rapport à une phase de prix anormalement basse qui a duré pendant environ quatre ans à la suite de la réforme sucrière européenne 2017 ", assure Christian Spiegeleer, Président du syndicat national des fabricants de sucre de France (SNFS). Cette réforme, qui a conduit à l'abandon des tarifs garantis pour les betteraviers, avait provoqué la fermeture de plusieurs usines à l'époque après un effondrement du marché mondial du sucre, qui s'était fait ressentir jusqu'en Europe. Cette hausse des prix sur les marchés a donc forcément un impact sur les prix dans les supermarchés de l'Hexagone.

Parce que la production mondiale a souffert

L'évolution en très forte hausse du marché mondial du sucre s'explique principalement par ce qu'il se passe dans deux pays : l'Inde et le Brésil, respectivement second et premier producteur de sucre au monde. En Inde, le gouvernement a instauré des quotas d'exportation sur le sucre "pour prévenir l'exportation incontrôlée et pour assurer la disponibilité du sucre pour la consommation nationale", rapporte Business Today India, citant un communiqué du gouvernement indien. 

Quant au Brésil, c'est un peu plus complexe. D'une part, les nombreuses et graves inondations de 2022 ont fortement endommagé les plantations de cannes à sucre. D'autre part, le Brésil a préféré l'éthanol au sucre. "C'est une particularité typiquement brésilienne", explique Christian Spiegeleer.

"Le parc industriel brésilien est conçu de telle manière qu'il est capable de produire deux choses à partir de la canne à sucre : du sucre et de l'éthanol."

Christian Spiegeleer, président du syndicat national des fabricants de sucre en France

à franceinfo

L'augmentation du prix des hydrocarbures l'an passé a conduit les autorités brésiliennes à se tourner plutôt vers l'éthanol. En résumé, au Brésil comme en Inde, les quantités de sucre produits ont diminué, créant mécaniquement une hausse des prix sur les marchés internationaux. L'Europe n'a pas non plus été épargnée par ces baisses de production. La sécheresse historique qu'ont connu la France et une partie de l'Europe l'été dernier a causé une diminution de la production de betteraves sur le continent.

Parce que les prix des céréales ont augmenté

La faible attractivité de la betterave sucrière a encore été renforcée par la guerre en Ukraine. "Un planteur de betterave est également céréalier", souligne le président du syndicat national des fabricants de sucre.

"Nous devons en réalité inciter nos agriculteurs à planter de la betterave. Et donc nous devons pour ça offrir une rémunération qui tienne la concurrence avec le prix des grandes cultures."

Christian Spiegeleer, président du syndicat national des fabricants de sucre

à franceinfo

Le prix des céréales ayant explosé avec la guerre en Ukraine, les sucriers pour rester attractifs ont augmenté la rémunération des agriculteurs producteurs de betteraves sucrières. Une augmentation bienvenue pour Alexis Hache, 6e génération de producteurs de betteraves dans sa ferme de l'Oise. "On était payés sur des bases de 25 à 27 euros la tonne de betteraves. Cette année, on est entre 40 et 45 euros", souligne-t-il.

"Cette augmentation suit des années de prix très bas et décorrélés des coûts de production, souligne Cristal Union, une coopérative sucrière européenne. Le sucre est descendu à des niveaux de prix inférieurs à ceux du blé à certaines périodes, alors que c'est un produit issu d'une transformation industrielle."

Parce que les prix de l'énergie (et de tout le reste) ont augmenté

Une augmentation d'autant plus nécessaire que l'industrie sucrière est gourmande en énergie, et que les prix du gaz et de l'électricité ont explosé. "Une sucrerie, c'est une industrie qui transforme des liquides à haute température et donc qui consomme beaucoup d'énergie. Cette énergie, c'est le gaz. Là où nous achetions du gaz à quelque 20 euros le mégawattheure l'année dernière, nous avons dû supporter un facteur quasiment de 3 à 4 par rapport à par rapport à ce prix cette année", rappelle Christian Spiegeleer. "L’énergie est devenue notre premier poste de dépense, devant même l’achat des betteraves à nos coopérateurs", abonde Cristal Union, une coopérative sucrière européenne.

Des hausses que constatent les betteraviers sur le terrain, non seulement sur l'énergie mais aussi sur le reste de leurs achats, comme les engrais. "Les fertilisants organiques ont fait x3, les engrais minéraux x5 ou x7", confie Alexis Hache, qui se dit inquiet et sans certitude pour l'an prochain, avec l'interdiction des néonicotinoïdes.

Et l'interdiction des néonicotinoïdes dans tout ça ?

Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé le 20 janvier 2023 que la France ne demanderait pas de nouvelle dérogation à l'Union européenne, après un jugement de la Cour de justice de l'Union européenne sur le sujet. Les agriculteurs français doivent donc depuis cette date se plier à l'interdiction européenne des néonicotinoïdes, ces pesticides accusés de tuer les abeilles. Il est bien sûr trop tôt pour voir un réel impact de cette mesure sur les prix dans les rayons, mais "on va en ressentir le coût", assure Christian Spiegeleer, le président du syndicat national des fabricants de sucre, qui reconnaît toutefois que de légères augmentations sur les prix payés aux producteurs ont eu lieu "en anticipation" "pour justement conserver un attrait économique suffisant pour l'agriculteur et compenser de ce fait là les pertes de rendement qu'il aura à subir du fait de la disparition des néonicotinoïdes".

Emmanuel Cannes de NielsenIQ confie lui aussi s'attendre à de nouvelles hausses sur le sucre et les produits à base de sucre après l'application par la France de cette interdiction européenne décidée en 2018, à cause des baisses de rendement qui sont attendus. Même si un chercheur confiait la semaine dernière à franceinfo qu'on "a tout ce qu'il faut pour faire différemment".

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