Les entreprises françaises qui relocalisent sont-elles vraiment gagnantes ?
Les skis Rossignol de retour en Haute-Savoie, les chaussettes Kindy dans l'Oise et plus récemment le bijoutier-joaillier Mauboussin à Paris. Le gouvernement veut y voir la réussite du "made in France". La réalité est plus complexe.
On a vu Nicolas Sarkozy louer le "produire français"dans la seule usine de skis de l’Hexagone, celle de Rossignol à Sallanches (Haute-Savoie). Arnaud Montebourg vanter le "made in France"chez le fabricant de sous-vêtements Eminence dans le Gard.
Au nom du patriotisme économique, le gouvernement met à répétition en avant la réussite à la française de ces entreprises tricolores qui, après avoir délocalisé leur production, ont choisi de la rapatrier. Au delà des effets d'annonce, quelle est l'ampleur du phénomène ? Ces belles histoires, comme celle du bijoutier-joaillier Mauboussin relatée par Le Monde lundi 5 mai, en sont-elles vraiment ? Francetv info dresse le bilan d'une tendance encore fragile.
Environ 150 relocalisations depuis dix ans
Sur le papier, les chiffres sont bien là. "Il y en a eu environ 150 relocalisations en France depuis le milieu des années 2000", estime E. M. Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et co-auteur d’une étude sur le sujet pour le gouvernement (PDF), interrogé par francetv info. "On ne peut donc plus dire que c’est un épiphénomène", juge-t-il. Mais leur poids économique est très relatif. Car, chiffre l’expert, "il n'y a qu'une relocalisation pour vingt délocalisations".
Pour encourager les entreprises qui hésitent à franchir le pas, le ministère ne ménage pas ses efforts : en juillet 2013, il a lancé Colbert 2.0, un logiciel qui permet aux entreprises de calculer et d'évaluer l'intérêt de délocaliser ou au contraire de rapatrier leur production.
Signe positif : le rythme des relocalisations semble bien s’accélérer. Entre 2009 et 2013, 44 entreprises ont relocalisé une partie de leur production en France, tandis que 267 délocalisaient, selon l'Observatoire de l'investissement, cité par Reuters. En février, le cabinet du ministre de l’Economie Arnaud Montebourg recensait une cinquantaine de dossiers, selon Les Echos.
Mais l'économiste E. M. Mouhoud met en garde. "Les délocalisations vont se poursuivre, en particulier dans le secteur des services, et elles vont entraîner d’autres destructions d’emplois", prédit l'expert. Par ailleurs, certaines relocalisations peuvent ne pas être "pérennes", prévient le spécialiste. "C'est le cas des entreprises qui râtent leur délocalisation et reviennent au point de départ. Elles sont certes peu nombreuses. Mais ces firmes nomades, chasseuses de prix, sont tentées de repartir, dès que la situation paraît plus intéressante ailleurs."
Des emplois créés, mais en petit nombre
Plus ennuyeux, si les relocalisations dynamisent le tissu économique local, notamment grâce à la sous-traitance et aux services, elles restent "assez limitées en terme de création d’emplois", souligne E. M. Mouhoud. "Pour dix emplois perdus dans une délocalisation, il n’y a qu’un emploi créé par une relocalisation."
La fonderie Loiselet, citée en exemple de relocalisation industrielle, faisait travailler quelque 600 ouvriers chinois à Tianjin, au sud de Pékin. En quittant la Chine pour Dreux (Eure-et-Loir) en 2012 après onze années de délocalisation, elle a automatisé sa production et n'a plus employé qu'une centaine de salariés en France. Sans réduire sa production.
De même, le fabricant de skis français Rossignol, exemple très médiatique, n'a embauché qu'une quarantaine de salariés lors du rapatriement de la production de certains de ses skis, de Taïwan vers son usine ultra-moderne de Sallanches (Haute-Savoie). Peu à l’échelle du groupe qui emploie 1 221 salariés dans le monde, dont 694 en France.
Une relocalisation en trompe-l'œil
Et pour cause : la relocalisation ne concerne souvent qu'une faible partie de l'activité. ''La poursuite de la relocalisation n'est pas notre stratégie'', reconnaît Bruno Cercley, le patron de Rossignol, interrogé par Le Parisien fin janvier.
La marque française continue de miser sur ses usines à l’étranger. Des snowboards sont ainsi toujours fabriqués en Chine, les chaussures de ski sont réalisées à 85% en Roumanie et les bâtons de ski en Asie.
Même constat chez Mauboussin. Le bijoutier-joaillier fait fabriquer les trois quarts de ses bijoux à l'étranger, principalement en Chine, en Thaïlande et en Italie. Le PDG du groupe, Alain Némarq a indiqué au Monde qu'il espérait ''rapatrier 50 % de la production d'ici à la mi-2016''. L’autre moitié restera donc à l’étranger. En revanche, le gain en termes d'emploi pourrait être significatif. "Il s’agit d’une production à très forte valeur ajoutée qui nécessite l’embauche de personnel qualifié", explique E. M. Mouhoud.
Un calcul financier toujours délicat
Du point de vue des entreprises, la relocalisation peut être un pari risqué. L’entreprise spécialiste des arts de la table Geneviève Lethu avait rapatrié la majorité de sa production de la Chine vers la France au milieu des années 2000. Son PDG, Edmond Kassapian, expliquait au Figaro cette relocalisation par une production chinoise pas satisfaisante et un nouveau positionnement sur le moyen et le haut de gamme.
Cela ne l’a pas sauvé pour autant. En décembre, la société a été placée en redressement judiciaire. Puis ce fut la vente de la PME de 25 salariés, à la tête d’un réseau de 45 boutiques, pour la plupart franchisées, en avril. Faute de reprise économique en France, principal marché de la marque, Geneviève Lethu a été victime d'une consommation "très en retrait sur les produits de moyenne gamme", son cœur de métier, déplorait son PDG au Monde.
La fonderie Loiselet, elle, a à grand peine à rentabiliser son automatisation. L’entreprise a investi 15 millions d'euros dans de nouvelles machines. Et elle n’est pas rentrée dans ses fonds malgré son gain de compétitivité réalisé grâce aux économies faites sur ses coûts de transport - un million d'euros par an lorsqu'elle produisait en Chine - et sur sa main d’œuvre. En décembre 2013, elle a été placée en redressement judiciaire. Son passif atteignait alors 19 millions d'euros, dont 4 millions de dettes à ses fournisseurs, selon Usine Nouvelle.
L'innovation, meilleure alliée de la relocalisation
Situation similaire chez Kindy. Après avoir été décidé de délocaliser pour faire face à la crise du secteur textile et la concurrence des pays à bas coût dans les années 2000, le numéro un français de la chaussette a choisi de revenir en France pour innover, en 2011. Il a lancé la production de chaussettes techniques et haut de gamme, "made in France", dans son usine historique de Moliens (Oise). Mais en 2013, les comptes ont viré au rouge. Pour se refinancer et poursuivre sa stratégie de développement, la PME, cotée en Bourse, a procédé à une importante augmentation de capital, indiquait Le Monde fin janvier.
Car le retour sur investissement est loin d'être immédiat. Les coûts de revient ont été multipliés par trois, lorsque Atol a relocalisé une partie de sa production de lunettes en 2005 dans le Jura. L’opticien a dû sacrifier une part conséquente de ses marges. Puis, il a trouvé la solution : l'invention d'un nouveau concept, en 2008, celui de la branche de lunettes interchangeable, raconte La Croix. "Cette montée en gamme nous a permis d'incorporer le surcoût conséquent du made in France", déclarait au Point Philippe Peyrard, directeur général délégué. "Il faut avoir un concept innovant pour amortir les coûts de recherche et développement, et les coûts de fabrication, et il faut réussir à avoir un réseau de sous-traitants pour pérenniser cette fabrication", ajoutait-il. Aujourd’hui, Atol se pose en pionnier de la relocalisation et en chantre du "made in France".
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