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Suppressions de postes chez General Electric : le gouvernement était-il au courant avant les élections européennes ?

A droite comme à gauche, des responsables politiques accusent l'exécutif d'avoir été informé des projets du groupe américain. Représentants syndicaux et élus locaux assurent que la rumeur courait depuis des mois. Le gouvernement explique qu'il travaillait de longue date sur le dossier mais qu'il ne connaissait pas l'ampleur exacte du plan social.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des salariés de General Electric manifestent le 21 mai 2019 à Belfort (Territoire de Belfort) pour défendre leurs emplois. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Le gouvernement savait-il que General Electric s'apprêtait à annoncer son intention de supprimer plus d'un millier de postes, principalement dans sa branche turbines à gaz, à Belfort et Bourogne dans le Territoire de Belfort ? Et la révélation de ce projet de plan social a-t-elle été faite, à dessein, juste après les élections européennes, pour ne pas peser dans les urnes ? Au sein de la classe politique, les accusations ont été nombreuses, mercredi 29 mai, au lendemain de l'annonce.

La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, dénonce dans un tweet un "timing scandaleux", qui est "tout sauf un hasard". Au micro de Sud Radio, le député Les Républicains Julien Aubert crie au "mensonge d'Etat"Le député La France insoumise Eric Coquerel accuse lui aussi l'exécutif de "mensonges" et dénonce une "catastrophe industrielle" décidée par le chef de l'Etat. Pour l'eurodéputée LFI Manon Aubry, l'annonce "tombe opportunément", alors qu'Emmanuel Macron "est le responsable direct de ce désastre" et qu'"un de ses proches est aux manettes du plan social". Retour sur les éléments qui montrent que l'exécutif n'a pas subitement découvert ce dossier au lendemain des élections.

Des signes avant-coureurs et des alertes des syndicats

Les syndicats de GE à Belfort avaient vu venir la menace depuis longtemps. Ils avaient alerté à de multiples reprises sur le risque d'un plan social de grande ampleur. "On avait des craintes depuis le rachat de la branche énergie d'Alstom par General Electric en 2014-2015", rappelle le délégué syndical CGT Abdelaziz Jebbar, joint par franceinfo. Et les années qui ont suivi ne les ont pas rassurés.

En novembre 2017, GE annonce un vaste plan de restructuration visant à se recentrer sur trois activités (aéronautique, santé et énergie) et s'accompagnant de milliers de suppressions d'emplois. En juin 2018, GE déclare qu'il ne tiendra pas son engagement de créer 1 000 emplois en France d'ici à la fin de l'année. Le même mois, General Electric annonce qu'il cesse ses activités en Iran. Le groupe, qui fournissait l'industrie gazière et pétrolière iranienne, a fait les frais des sanctions américaines rétablies par le président américain Donald Trump, décidé à faire de Téhéran son meilleur ennemi. "On avait des contrats avec les Iraniens sur la fourniture de turbines à gaz", relève l'élu CGT. 

En octobre, Larry Culp prend en effet les commandes du groupe, avec pour mission d'en redresser les finances, après une décennie d'une gestion critiquée qui l'a fragilisé, comme le relate Boursorama"On a annoncé qu'il y aurait de la casse à Belfort après ce changement de PDG", poursuit le syndicaliste. En janvier 2019, les syndicats apprennent que GE envisage de supprimer jusqu'à 470 postes dans toute la France. En février, le bilan des créations nettes d'emplois n'est que de 25 sur trois ans. En mars, Scott Strazik, le patron de la branche GE Gas Power, a promis aux actionnaires une baisse des coûts de 800 millions de dollars sur deux ans. "On savait qu'on serait impactés", lâche le syndicaliste.

A la fin du mois de mars, des salariés belfortins débrayent pour alerter sur le risque de centaines de supressions de postes. "Nous avons eu l'information, qui, on va dire, est informelle, d'une possibilité de suppressions de 800 emplois sur notre entité turbine à gaz à Belfort, ce qui représente à peu près 50% des effectifs", déclare à France Bleu Alexis Sesmat, délégué Sud Industrie du site. Fin mai, de nouveau, syndicats et ouvriers se mobilisent pour défendre leurs emplois. Une semaine plus tard, le 28 mai donc, c'est finalement l'annonce d'un plan social allant jusqu'à 792 suppressions de postes dans l'entité gaz et 252 dans les "fonctions support" qui tombe.

Des élus locaux mobilisés qui en appellent à l'Etat

A Belfort, les syndicats ont évidemment prévenu les élus locaux du danger. Ces derniers ne sont pas restés les bras croisés et ont mis la pression sur l'exécutif en avril, quand le vent du boulet s'est rapproché du site belfortin. Le 3 avril, le maire de Belfort Damien Meslot, le président du département Florian Bouquet, les députés du Territoire de Belfort, Ian Boucard et Michel Zumkeller, et le sénateur Cédric Perrin cosignent une lettre adressée à Emmanuel Macron. Les élus ont rappelé au chef de l'Etat ses "engagements"

Dix jours plus tard, les élus publient cette lettre ouverte en pleine page dans Le Monde. Les élus évoquent des pistes de diversification qui permettraient de viabiliser le site belfortin : le plan de grand carénage d'EDF, qui vise à accroître la durée de vie des centrales nucléaires, la fabrication de pièces de moteurs d'avion, l'hydrogène ou le numérique. Entre-temps, le député Ian Boucard avait interpellé la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher lors d'une séance de questions d'actualité au gouvernement à l'Assemblée. 

La délégation d'élus est reçue à Bercy mi-mai, puis à l'Elysée quelques jours avant l'annonce du plan social. Selon le récit fait à franceinfo par le cabinet de la présidente PS de la région Bourgogne Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, leur garantit que le site de Belfort ne fermera pas. Le ministre ne tient pas un autre discours sur franceinfo. A posteriori, les élus y voient la preuve que le gouvernement en savait plus qu'il ne voulait bien le reconnaître sur les projets de GE.   

Comme les délégués syndicaux, les élus locaux confirment à franceinfo que la rumeur courait d'une annonce du plan social fin avril, même s'il avait été ensuite question de juin. Les élus interrogés par franceinfo déclarent surtout avoir eu l'impression que leurs interlocuteurs, à la direction de GE France comme au sein du gouvernement, étaient sur la même longueur d'onde.

Le député UDI Michel Zumkeller dit avoir été finalement informé du plan social lundi 27 mai au soir, la veille de l'annonce aux syndicats. "Un plan social comme ça, ça ne se prépare pas en une nuit", pointe l'élu, glissant : "Je ne peux imaginer que la direction d'un grand groupe comme General Electric prévienne un simple député de ce genre de choses avant un ministre de l'Economie."

Faire cette annonce deux jours après une élection, c'est indigne. A Belfort, tout le monde le dit.

Michel Zumkeller, député UDI du Territoire de Belfort

à franceinfo

"Ce qu'il s'est passé est tout sauf une surprise. On savait que le plan social allait se faire", confirme l'édile LR Damien Meslot, avant d'accuser : "Nous, les élus locaux, nous avons fait notre boulot. Mais il n'y a pas eu de réaction. Chacun se fera une idée du cynisme de certains à la tête de l'Etat." "Cela fait trois à quatre mois que les syndicats nous alertent sur 800 à 1 000 suppressions de postes. Et comme par hasard, c'est le chiffre qui sort." Le gouvernement comme la direction "savaient et ils nous ont caché les chiffres. On en est persuadés", renchérit le député Michel Zumkeller, même s'il reconnaît n'avoir "aucune preuve".

Un gouvernement qui assure avoir subi le calendrier de GE

Au député belfortin qui l'interpellait début avril, la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher avait juré que le dossier faisait "l'objet d'une très grande attention de la part du gouvernement". Et elle avait rappelé que le gouvernement avait obtenu de GE la création d'un fonds de 50 millions d'euros, alimenté par le géant industriel américain, pour ne pas avoir tenu son engagement.

Fin avril, Emmanuel Macron répondait lui aussi aux élus, dans un courrier consulté par l'AFP, affirmant que le dossier faisait l'objet de "la plus grande vigilance de la part de l'Etat". Le président parle d'un "contexte économique difficile", dans lequel il est "indispensable de mesurer les investissements nécessaires afin d'adapter l'outil industriel pour expertiser la faisabilité" des projets de diversification suggérés par les élus. Quant au ministre de l'Economie qui avait déjà écrit aux élus début mars, il "travaille en lien étroit" avec le PDG de GE, affirme encore le chef de l'Etat. "Ça reste des paroles. On espérait qu'il pourrait faire plus que ça", se désole le député Michel Zumkeller.

Emmanuel Macron est d'autant plus au fait du dossier qu'il avait piloté la vente de la branche énergie d'Alstom à GE, lorsqu'il était ministre de l'Economie. Or son conseiller à Bercy pour les affaires industrielles et le financement à l'export, Hugh Bailey, est depuis devenu directeur général de GE France. L'Opinion y voyait d'ailleurs un "signe de l'engagement du président de la République" sur le sujet. De quoi "faciliter les échanges" entre l'Elysée et GE France, jugeait Le Parisien. Un syndicaliste, interrogé par Libération, le qualifiait lui de "pompier pyromane" envoyé par le chef de l'Etat. "Celui qui a piloté la vente catastrophique d'Alstom à GE va être aussi celui qui va être chargé de dépecer ce qui reste de la branche énergie d'Alstom", prophétisait-il.

Mais si le gouvernement reconnaît qu'il savait qu'un plan social menaçait, il certifie qu'il n'en connaissait pas l'ampleur. Mercredi, sur franceinfo, la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher s'est défendue de toute dissimulation. "On n'était pas plus au courant que les personnes qui sont concernées", a-t-elle déclaré. Elle reconnaît toutefois : "Ça fait plusieurs semaines que nous sommes, comme les salariés, dans l'attente d'une nouvelle." "Le sujet n'a pas été découvert du jour au lendemain. On a toujours été vigilants. Et comme tout le monde, on savait qu'il fallait travailler sur ça." 

Face aux accusations d'annonce de plan social repoussée à cause d'échéances électorales, le cabinet de la secrétaire d'Etat, joint par franceinfo, dénonce "un mauvais procès" et affirme avoir subi "un calendrier qu'[il] ne maîtrisait pas". "On savait que le volume serait important mais on n'en connaissait pas l'étendue exacte", affirment les services de Bercy.

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