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Transition énergétique : le futur va-t-il carburer à l'hydrogène ?

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'Allemagne a annoncé, le 11 juin 2020, un plan de 9 milliards d'euros pour développer l'hydrogène renouvelable, considéré comme un atout pour la transition énergétique. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Un gaz propre, facile à stocker, produit à partir d'une ressource quasiment illimitée... Sur le papier, l'hydrogène a de quoi séduire et il pourrait même faire voler un avion d'ici 2035, à en croire le gouvernement français. 

Un "investissement d'avenir". L'Allemagne a dévoilé, jeudi 11 juin, un plan de 9 milliards d'euros pour servir son ambition de devenir le "fournisseur et producteur numéro 1" d'hydrogène au niveau mondial. L'objectif est non seulement de relancer l'économie du pays après la pandémie de Covid-19, mais aussi d'accompagner la transition énergétique pour faire face à la crise climatique. Pourquoi certains gouvernements décident-ils d'investir massivement dans l'hydrogène ? Ce gaz est-il une ressource propre ? Est-ce vraiment le carburant du futur ? Décryptage.

Trois types d'hydrogène au bilan carbone inégal

L'hydrogène est une ressource "potentiellement infinie", selon Futura Sciences. Il s'agit en effet de l'élément chimique "le plus présent dans l'univers", explique Daniel Hissel, professeur à l'université de Franche-Comté et chercheur au CNRS. "Mais il n'existe presque pas seul à l'état naturel : on le trouve associé à d'autres éléments chimiques, comme c'est cas dans le méthane ou l'eau", complète-t-il. L'hydrogène est ainsi le fameux "H" du "H2O" de l'eau. 

Pour pouvoir utiliser de l'hydrogène, il faut d'abord en produire. Un peu comme on le fait avec l'électricité.

Daniel Hissel

à franceinfo

La question qui se pose aujourd'hui est donc celle du mode de production de l'hydrogène. "Plus de 95% de la production mondiale est issue d'hydrocarbures, notamment du gaz naturel", constate Luc Bodineau, coordinateur du programme hydrogène à l'Agence de la transition écologique (Ademe). C'est ce que l'on appelle l'hydrogène fossile – ou hydrogène "gris". Ce procédé de fabrication entraîne une importante production de gaz à effet de serre. "Pour une tonne d'hydrogène produite à partir de gaz naturel, on relâche dix tonnes de CO2. A partir de charbon, c'est deux fois plus", détaille François Kalaydjian, directeur économie et veille à l'IFP Energies nouvelles (IFPEN).

Ce bilan carbone peut être réduit si on capture et stocke le CO2 émis pendant la fabrication (c'est l'hydrogène "bleu"). Mais "la transition énergétique implique de s'affranchir des ressources fossiles", fait valoir Daniel Hissel. Entre en jeu le dernier mode de production de l'hydrogène : l'électrolyse de l'eau (illustrée dans la vidéo ci-dessous).

"Pour simplifier, lorsqu'on fait passer un courant électrique dans de l'eau, cela fait des bulles : les molécules d'eau (H2O) sont 'cassées' en deux, avec d'un côté de l'hydrogène (H2) et de l'autre de l'oxygène (O2)", résume le chercheur.

Une ressource aux multiples intérêts

Et si l'électricité utilisée dans l'électrolyse de l'eau est renouvelable (éolienne, solaire...), l'hydrogène a un bilan carbone très faible. C'est cet hydrogène renouvelable, ou "vert", qui "retient toutes les attentions" actuellement, relève Luc Bodineau, de l'Ademe. "Pour limiter le réchauffement climatique, l'Union européenne s'est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela implique de réduire fortement la production de CO2, rappelle François Kalaydjian. C'est ce qui pousse plusieurs gouvernements à faire une place à l'hydrogène." A court terme, cette ressource pourrait ainsi permettre de "décarboner" un certain nombre d'industries.

L'hydrogène est aujourd'hui utilisé dans les raffineries, mais aussi en métallurgie ou dans la fabrication d'ammoniaque. En utilisant de l'hydrogène renouvelable plutôt que de l'hydrogène fossile, ces industries réduiraient leur bilan carbone.

Luc Bodineau

à franceinfo

Ce gaz pourrait également avoir d'autres usages. "L'hydrogène peut être utilisé dans une pile à combustible pour produire à nouveau de l'électricité", explique l'ingénieur de l'Ademe. Une propriété particulièrement intéressante dans la mesure où l'électricité est difficile à stocker, alors que l'hydrogène peut être liquéfié ou comprimé et mis en bouteille. Les "excédents de la production électrique, éolienne et photovoltaïque" (pendant les heures creuses, par exemple) pourraient ainsi servir à produire ce gaz, qui serait "reconverti en électricité" plus tard, note l'IFPEN.

Associée à des panneaux solaires, cette technologie pourrait être utilisée pour fournir un immeuble en électricité. "La pile à combustible produit également de la chaleur, ce qui permettrait d'alimenter le réseau de chauffage d'une habitation, ajoute Daniel Hissel. L'avantage, c'est que la production d'hydrogène peut-être locale, tant qu'on dispose d'eau et d'électricité."

Le carburant qui va révolutionner les transports ?

Les piles à combustible peuvent également équiper des véhicules électriques, "qui fonctionnent alors grâce à l'hydrogène stocké dans un réservoir", poursuit le spécialiste. Cette technologie est déjà utilisée aujourd'hui, par exemple par la compagnie de taxis parisiens Hype. Les intérêts sont multiples. "L'hydrogène présente des avantages par rapport aux batteries, en termes d'autonomie (500 à 700 km) et de temps de recharge (moins de 5 minutes)", rapporte l'IFPEN. Mais le véritable avantage est environnemental : une pile à combustible "ne produit aucune pollution locale au moment de son utilisation", souligne Daniel Hissel.

La conversion de l'hydrogène en électricité grâce à la pile à combustible ne génère que de l'eau. Au pot d'échappement du véhicule, il n'y a donc pas de CO2, de dioxyde d'azote ou de particules fines !

Daniel Hissel

à franceinfo

"Cette ressource permet de réduire drastiquement les émissions de CO2 des véhicules", abonde Luc Bodineau. L'Ademe a analysé le bilan carbone d'une voiture à hydrogène sur l'ensemble de son cycle de vie, c'est-à-dire depuis sa fabrication jusqu'à sa destruction (en prenant en compte son utilisation ou encore la production du carburant). Selon les estimations de l'agence, "ce type de véhicule divise par quatre l'impact sur le réchauffement climatique par rapport à une voiture diesel", révèle Luc Bodineau.

Pas la peine pour autant d'imaginer un futur où tout le monde se déplacerait grâce à l'hydrogène. "Dans la perspective de parvenir à une mobilité totalement électrique à moyen ou long terme, les véhicules à hydrogène sont complémentaires de ceux à batteries", nuance Daniel Hissel. Les seconds sont adaptés pour les zones urbaines, quand les premiers sont plus pratiques pour les longues distances et les transports ayant besoin de plus de puissance. "L'hydrogène permet de dépasser les limites actuelles de la batterie pour les camions, les bus, mais aussi les trains et les bateaux", énumère Luc Bodineau.

La piste d'un avion propulsé par hydrogène a même été avancée. La ministre des Transports, Elisabeth Borne, souhaite ainsi que la France développe un "moyen-courrier décarboné" d'ici 2035. "Aujourd'hui, les technologies sont encore à développer car un avion représente des problématiques de puissance considérables, juge Daniel Hissel. L'échéance de 2035 semble possible, si on s'en donne les moyens. Cela suppose des investissements conséquents de la part des pouvoirs publics et des industriels de la filière."

Une technologie encore très coûteuse

A ce jour, le principal frein au développement de l'hydrogène renouvelable est en effet son coût. Un véhicule doté d'une pile à combustible coûte "deux à quatre fois plus cher qu'un véhicule diesel équivalent", selon Luc Bodineau. "L'hydrogène vert est également très cher pour les industriels : le kilo d'hydrogène produit à partir de gaz naturel coûte 1,5 euro, contre 4 à 5 euros pour le renouvelable", soulève François Kalaydjian. 

Le processus d'électrolyse représenterait des "milliards d'euros d'investissements pour le secteur industriel", d'autant plus qu'il y a des "pertes de rendement à chaque étape", pointe-t-il. Et d'évoquer l'absence d'infrastructures pour développer l'usage de l'hydrogène "vert". "Il faudrait non seulement augmenter la production d'électricité renouvelable, mais aussi mettre en place un maillage de stations permettant de faire le plein des véhicules", insiste François Kalaydjian. En France, ce réseau de stations commence à se développer localement, autour de villes qui ont déjà des véhicules de ce type, précise Luc Bodineau.

"L'enjeu est aujourd'hui d'abaisser les coûts, qui sont très élevés car tout est produit en petite quantité, reconnaît le coordinateur du programme hydrogène de l'Ademe. Pour favoriser le déploiement de l'hydrogène renouvelable, il faut industrialiser sa production et la fabrication des technologies qui vont avec." Pour Daniel Hissel, cela signifie "des investissements massifs pour transformer les industriels de ce secteur, soutenir la recherche, financer la formation spécialisée d'ingénieurs et de techniciens". Le plan Hulot, annoncé en 2018, prévoyait 100 millions d'euros d'investissement par an sur trois ans, rappelle Le Monde. Un chiffre très en deçà des 9 milliards d'euros prévus par l'Allemagne.

La question qui se pose aujourd'hui est celle d'un choix de société : quel est le modèle énergétique que l'on souhaite pour l'avenir ? Veut-on un modèle durable, local, propre ? Et va-t-on se donner les moyens d'y parvenir ?

Daniel Hissel

à franceinfo

Luc Bodineau avertit toutefois : "L'hydrogène renouvelable n'est qu'une partie de la solution pour [lutter contre le réchauffement climatique], ce n'est pas un miracle." "Si on continue d'avoir toujours plus de voitures individuelles, toujours plus de véhicules lourds comme les SUV, les équiper d'une pile à combustible ne suffira pas à atteindre la neutralité carbone, martèle l'ingénieur. L'hydrogène n'est intéressant que s'il s'accompagne d'une évolution profonde de nos pratiques, pour aller vers une plus grande sobriété énergétique."

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