Cet article date de plus de deux ans.

Crise énergétique : pourquoi la France livre-t-elle du gaz à l'Allemagne ? On vous explique le système d'interconnexions avec nos voisins européens

Pour la première fois, la France a commencé à acheminer directement du gaz à l'Allemagne, via une interconnexion située en Moselle. De son côté, Berlin a promis de fournir de l'électricité à Paris, fragilisé par une production nucléaire en berne.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les interconnexions gazières entre la France et ses voisins. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

C'est un symbole de la "solidarité européenne" pour surmonter la crise énergétique. Pour la première fois, la France a commencé, à acheminer directement du gaz vers l'Allemagne, jeudi 13 octobre. Ces livraisons concrétisent un accord d'entraide formalisé début septembre entre Emmanuel Macron et le chancelier allemand, Olaf Scholz, dont le pays souffre de la baisse des exportations de gaz russe en Europe.

De son côté, Berlin s'est engagé à fournir davantage d'électricité à la France, qui subit les effets d'une production nucléaire au plus bas. Des échanges d'énergie courants au sein de l'Europe qui sont, cette année, renforcés en raison des fortes tensions sur les approvisionnements, liées à la guerre en Ukraine. Comment fonctionne ce système ? Quels bénéfices la France en tire-t-elle ? Explications.

Pourquoi les Etats européens sont-ils reliés par des interconnexions ?

Les pays européens échangent du gaz et de l'électricité grâce à des interconnexions, des lignes de transport qui connectent les réseaux et sont le support des transactions commerciales d'énergie, comme l'explique la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Sur le réseau électrique, par exemple, plus de 400 interconnexions relient les Etats européens entre eux. Elles sont essentielles pour assurer la sécurité de l'approvisionnement en énergie, en cas de crise géopolitique, ou lorsqu'un pays est confronté à un incident technique sur sa production nationale. 

Grâce aux interconnexions, les Etats peuvent également échanger en permanence de l'énergie sur le marché européen en fonction de leurs besoins. "Les profils de consommation d'énergie sont différents au sein des pays de l'Union européenne", rappelle Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting.

Ce constat est particulièrement vrai pour l'électricité. Au cours d'une année, l'Espagne consomme par exemple davantage d'électricité l'été que l'hiver. C'est l'inverse pour la France, qui exporte donc à son voisin espagnol durant la période estivale, "ce qui permet de rentabiliser notre parc nucléaire, même quand la consommation nationale est moindre", souligne Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). Selon l'expert, ce système "gagnant-gagnant" est donc également bénéfique pour les fournisseurs d'énergie français, comme EDF, qui peuvent vendre une partie de leur production à l'étranger.

En retour, la France peut compter sur la production de ses voisins pour compléter ses besoins durant les mois les plus froids. Ces flux visent aussi à répondre aux variations de consommation d'énergie au sein d'une même journée. "Sans ce système d'interconnexions, on aurait des délestages permanents", estime Thomas Pellerin-Carlin. 

Avec quels pays européens la France échange-t-elle de l'énergie ?

La France possède environ 50 liaisons transfrontalières, qui lui permettent d'échanger de l'électricité avec la Grande-Bretagne, la Suisse, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg). Jusqu'à l'an dernier, l'Hexagone était le premier exportateur européen net d'électricité.

En 2021, le pays a livré davantage d'électricité à ses voisins (87,1 térawattheures) qu'il n'en a importé (44 TWh), selon le bilan du gestionnaire du réseau de transport d'électricité français (RTE). Les principales exportations étaient à destination de la Suisse (21,7 TWh), de la Grande-Bretagne (19,7 TWh) et de l'Italie (18,8 TWh). A l'inverse, la France a majoritairement reçu de l'électricité venue de la zone regroupant l'Allemagne et le Benelux (22,2 TWh) ainsi que d'Espagne (8,7 TWh).

Sur le gaz, la situation est totalement opposée puisque la France "importe la quasi-totalité du gaz consommé sur son territoire", pointe la CRE dans un rapport sur les interconnexions françaises. En 2020, environ un tiers des importations provenaient de la Norvège, acheminées grâce à une interconnexion située à Dunkerque (Nord), selon les données du ministère de la Transition écologique. Ces interconnexions permettent aussi de recevoir du gaz issus de pays non-européens, notamment de Russie (17% des importations avant le début de la guerre) ou d'Algérie (8% des importations françaises). "La connexion gazière avec l'Espagne est une route d'approvisionnement pour que du gaz algérien puisse arriver en France", précise Thomas Pellerin-Carlin. 

En quoi les livraisons de gaz vers l'Allemagne sont-elles un tournant ?

C'est la première fois que la France va livrer directement du gaz à l'Allemagne. "Jusqu'ici, on envoyait du gaz à notre voisin via la Belgique", a rappelé jeudi Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, le gestionnaire du réseau de transport de gaz français. Des travaux ont été nécessaires pour inverser le sens de circulation du point d'interconnexion à la frontière franco-allemande, à Obergailbach (Moselle), qui avait été conçu pour fonctionner de l'Allemagne vers la France. 

Ces livraisons doivent aider le voisin d'outre-Rhin, très dépendant du gaz russe, à faire face à la baisse des livraisons décidée par Moscou, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Or, la France détient en ce moment plus de gaz que l'Allemagne car elle bénéficie d'apports massifs venus de Norvège, et de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en provenance des Etats-Unis. Ces livraisons ont d'ailleurs permis à la France de remplir intégralement ses stocks pour l'hiver.

Concrètement, la quantité de gaz vendue à Berlin via cette interconnexion pourra atteindre au maximum 100 gigawattheure par jour. En ordre de grandeur, cela correspond à la puissance de quatre tranches nucléaires ou à l'équivalent de 10% de ce que la France reçoit chaque jour en GNL dans ses quatre terminaux méthaniers, selon GRTGaz, qui estime être en mesure de servir l'Allemagne tout l'hiver.

De son côté, Berlin s'est engagé à fournir de l'électricité à la France, fragilisée par une production nucléaire au plus bas. Actuellement, sur les 56 réacteurs français, une trentaine sont toujours à l'arrêt, pour des raisons de maintenance, de contrôle ou des problèmes de corrosion.

"La France est passée d'exportatrice nette d'électricité à importatrice nette d'électricité."

Thomas Pellerin-Carlin

expert en énergie

Les livraisons allemandes visent donc à pallier le manque d'électricité dans les situations de pics de la consommation, qui mettent sous forte pression le réseau hexagonal.

Qu'est-ce que la "solidarité européenne" évoquée par Emmanuel Macron ?

Avec cet accord politique entre Berlin et Paris, "nous allons contribuer à la solidarité européenne en matière de gaz et bénéficier de la solidarité européenne en matière d'électricité dans les semaines et les mois qui viennent", a lancé Emmanuel Macron début septembre, à l'issue de sa rencontre avec Olaf Scholz. Cette déclaration s'inscrit dans le prolongement de l'accord signé le 26 juillet entre les chefs d'Etat européens, qui rappelle le "principe de solidarité indispensable" entre les pays. 

Cet "esprit de solidarité" figure déjà dans le traité de Lisbonne de 2007. Il a été complété par plusieurs "directives et les règlements européens", précise Thomas Pellerin-Carlin. Il vise notamment à maintenir la coopération sur le marché européen en cas de tensions d'approvisionnement en gaz ou en électricité. Car "en situation de crise, il peut y avoir des tentations politiques de revenir à des contrôles nationaux et à des interdictions d'exportation", rappelle l'expert.

C'est aussi la solidarité énergétique qui a poussé cet été les Vingt-Sept à s'entendre sur le principe d'une réduction "volontaire" de 15% de la consommation de gaz naturel jusqu'à mars 2023. L'accord prévoit cependant que cet objectif puisse devenir contraignant dans l'hypothèse "d'un risque substantiel d'une grave pénurie de gaz" ou "d'une demande exceptionnellement élevée".

Pour les spécialistes interrogés par franceinfo, cette solidarité en matière d'énergie est indispensable pour des pays aussi interdépendants. "Si jamais l'industrie allemande venait à tomber par manque de gaz, la première victime serait l'Allemagne et la deuxième serait la France", relève Thomas Pellerin-Carlin, qui rappelle que Berlin est "à la fois le meilleur client et le meilleur fournisseur de l'industrie française". Une analyse partagée par Nicolas Goldberg : "Si chacun raisonne avec ses intérêts nationaux, à la fin, on sera tous perdants."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.