Crise de l'énergie : six questions pour comprendre pourquoi l'électricité et le gaz sont devenus si chers
La guerre en Ukraine a des conséquences en cascade sur le cours du gaz, mais aussi de l'électricité. La France paye cependant une série de problèmes qui touchent ses réacteurs nucléaires.
La crise de l'énergie a désormais son Conseil de défense. Ce format réunissant le président de la République et une poignée de ministres clé à l'Elysée a été utilisé pour la première fois pour travailler sur la hausse des prix du gaz et de l'électricité, vendredi 2 septembre, après avoir été mobilisé face à la pandémie de Covid-19 puis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Un nouveau signe de l'ampleur de cette crise, qui fait craindre des coupures cet hiver et une explosion des factures énergétiques des particuliers comme des entreprises. Lundi, Emmanuel Macron a encore une fois appelé les Français à être "au rendez-vous de la sobriété".
Alors que le gouvernement réfléchit aux mesures qu'il veut maintenir en 2023, vous vous interrogez peut-être sur la raison pour laquelle les prix sont si élevés. Franceinfo tente de vous les résumer.
J'ai entendu que les prix de l'électricité allaient exploser. Pourquoi ?
La France vit une crise énergétique depuis des mois, mais l'annonce de prix records de l'électricité sur le marché de gros, le 26 août, a encore fait monter l'inquiétude. Elle confirme que le problème va durer, puisque ce sont les tarifs de l'électricité achetée à l'avance pour 2023 qui ont atteint un tarif supérieur à 1 000 euros par mégawattheure (MWh), contre 85 euros un an plus tôt. Ils ont un peu baissé depuis, mais restent élevés et inquiétants.
L'explication principale est l'indisponibilité, depuis des mois, de plus de la moitié des réacteurs nucléaires français. Mardi 6 septembre, 28 des 56 réacteurs du territoire sont à l'arrêt. Le nucléaire fournit habituellement 70% de la production d'électricité en France. Ces arrêts amputent la France d'une partie importante de sa production électrique. C'est une des raisons pour lesquelles le gouvernement craint des coupures cet hiver, lors des pics de demande. La France doit trouver de l'électricité autrement, en relançant des centrales à gaz ou en achetant l'électricité. Une option plus coûteuse que l'électricité nucléaire qui nous alimente habituellement. L'inquiétude joue aussi un rôle dans la flambée du marché : "[les acheteurs] sont en train de retenir le scénario du pire pour tous les jours ouvrés de l'hiver. Or, nous n'en sommes pas du tout là", déplore le patron de RTE, Xavier Piechaczyk, dans une interview aux Echos (lien réservé aux abonnés) le 2 septembre.
Pourquoi tant de réacteurs nucléaires sont-ils à l'arrêt ?
Il y a plusieurs raisons à cette hécatombe. La principale est la découverte, en octobre 2021, d'un problème insoupçonné dans un réacteur de la centrale de Civaux (Vienne) : une corrosion touchant des tuyaux d'un circuit censé refroidir le réacteur en cas d'incident. Depuis, le phénomène a été observé sur d'autres sites. Après une batterie d'examens et le développement d'une nouvelle méthode pour diagnostiquer ce problème, EDF promet maintenant d'examiner l'intégralité de ces réacteurs d'ici à 2025.
Deux réacteurs sont actuellement à l'arrêt en raison de cette corrosion, et onze autres, stoppés pour d'autres opérations ou pour être rechargés en combustible, voient leurs arrêts prolongés pour des contrôles, selon un décompte transmis par EDF à franceinfo. Le 25 août, l'entreprise a annoncé que quatre de ces réacteurs, à Cattenom et Penly, seraient reconnectés au réseau plus tard qu'espéré, entre le 1er novembre et le 23 janvier. Ce qui a contribué à faire grimper le prix de l'électricité sur les marchés.
Ce problème de corrosion se pose alors que d'autres réacteurs sont déjà à l'arrêt, de façon planifiée. Certains font l'objet de travaux dans le cadre du grand carénage, un programme qui doit permettre de prolonger la durée de vie des centrales françaises. Et d'autres sont stoppés le temps de la réalisation de leurs visites décennales : tous les dix ans, les réacteurs sont examinés pour que l'Autorité de sûreté nucléaire autorise les centrales à poursuivre leur activité. Une échéance difficile à décaler malgré la crise : "Repousser des visites, on l'a déjà fait les deux hivers précédents parce qu'il y avait déjà des tensions. Mais on ne peut pas non plus les faire quand ces réacteurs auront 45 ans", rappelle Nicolas Goldberg, expert énergie du cabinet Colombus Consulting.
EDF s'est "engagé à redémarrer tous les réacteurs pour cet hiver", a cependant assuré la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher vendredi, à la sortie du Conseil de défense. Quatre réacteurs en maintenance ont été reconnectés au réseau depuis, et huit autres doivent l'être d'ici à la fin du mois de septembre, selon le calendrier mis en ligne par EDF. L'entreprise explique à franceinfo que "la programmation d’opérations de maintenance a été modifiée pour 15 arrêts de réacteurs programmés, afin de les maintenir en production tout l’hiver". Quatre réacteurs ont fait des économies de combustible pour "optimiser leur disponibilité" cet hiver. Certains arrêts vont cependant se prolonger pendant une bonne partie de la saison froide : les cinq derniers redémarrages programmés le sont entre janvier et le 18 février 2023.
Les centrales nucléaires ne sont par ailleurs pas les seules sources d'énergie affectées par des facteurs extérieurs cette année : les barrages ont souffert de la sécheresse. Selon EDF, la production d'électricité hydraulique au premier semestre, avant même les pics de l'été, était inférieure de près d'un quart à celle de l'année précédente (-23,1%).
Cette crise n'est donc pas liée à la guerre en Ukraine ?
Si la Russie n'avait pas lancé une offensive en Ukraine en février dernier, la France vivrait quand même une crise énergétique. Mais cette invasion est un facteur aggravant : elle chamboule le marché du gaz, et l'onde de choc se fait sentir sur celui de l'électricité. Une partie des centrales de France et du continent consomment en effet du gaz naturel pour faire tourner leurs turbines et produire de l'électricité. Pour combler les carences créées par les arrêts en cascade de ses réacteurs nucléaires, la France est forcée de recourir de façon plus importante à cette source d'énergie sur son sol, et d'importer davantage d'électricité depuis des pays voisins qui la produisent en partie avec du gaz.
Or, depuis le début de la guerre, le prix du gaz naturel flambe, car l'Europe dépendait beaucoup du gaz russe. Le 26 août, l'indice néerlandais TFF, qui sert de référence en Europe, a connu un pic à près de cinq fois son niveau de la mi-février (il a baissé depuis, mais reste très élevé). Pour les centrales à gaz, produire de l'électricité coûte donc beaucoup plus cher, et elles répercutent ce surcoût dans leurs prix.
L'organisation du marché européen de l'électricité contribue au problème. Quand les fournisseurs achètent du courant, qu'il provienne des éoliennes, des barrages ou des centrales à gaz, ils le payent au prix de la dernière source d'électricité mobilisée ce jour-là. En ce moment, il s'agit des centrales à gaz, très sollicitées pour compenser les arrêts de nos réacteurs. Résultat : toute l'électricité du marché journalier est payée à un prix gonflé par la crise du gaz.
>> On vous explique pourquoi l'UE veut réformer le marché européen de l'électricité
Un fonctionnement "absurde", s'agaçait Emmanuel Macron en juin : "Vous avez des prix d'électricité qui s'envolent et qui n'ont plus rien à voir avec les coûts de production." La Commission européenne, qui a longtemps défendu ce système par le passé, a annoncé le 29 août une "intervention d'urgence" pour limiter la hausse des prix et, à plus long terme, une "réforme structurelle". Mais nul ne sait encore quelle forme elle prendra ni combien de temps elle mettra à aboutir. Lundi, Emmanuel Macron a esquissé une piste aussi portée par l'Allemagne : demander une "contribution européenne" aux entreprises de l'énergie qui profitent de ces prix artificiellement hauts, et qui permettrait aux Etats de financer leurs mesures d'aide.
Ma facture d'électricité va-t-elle exploser dans les mêmes proportions ?
Si vous craignez de devoir vous aussi payer 1 000 euros pour ce qui vous en coutait 85 il y a un an, rassurez-vous, ce n'est pas aussi mécanique. Tout d'abord, ce chiffre alarmant est le prix d'un MWh quand on cherche à l'acheter à l'avance pour 2023. Quand il est acheté du jour pour le lendemain, par exemple, son prix est un peu moins cher, comme on peut le voir sur le site de RTE. En pratique, les fournisseurs mêlent les achats à court et à long terme.
Votre facture sera plus ou moins exposée aux variations selon que votre contrat est aligné sur les prix du marché ou sur le tarif réglementé de l'électricité, qu'EDF est le seul à pouvoir proposer. Mais quel que soit votre contrat, les prix du marché ne composent qu'une partie de la facture, rappelle Nicolas Goldberg, expert énergie du cabinet de conseil Colombus Consulting. "Les deux-tiers de votre facture paient les taxes et l'entretien du réseau", qui ne devraient pas augmenter, rappelle-t-il. Le tiers restant est en partie composé d'une électricité produite par les réacteurs nucléaires d'EDF, que l'entreprise doit vendre aux fournisseurs concurrents à un tarif régulé, aujourd'hui beaucoup moins cher que celui des marchés. Cette quantité d'électricité a été augmentée de 20% par l'Etat en mars, pour limiter la flambée des tarifs proposés par ces fournisseurs alternatifs.
C'est donc environ "un sixième" du prix que vous payez qui risque de fluctuer, estime Nicolas Goldberg. Dans des proportions importantes cependant : "Si l'Etat ne prend pas de nouvelles mesures, on verra une hausse de la facture totale comprise entre 30 et 50%", pronostique-t-il. Mais l'expert est convaincu que le gouvernement empêchera qu'elle prenne une telle ampleur.
Aujourd'hui, les consommateurs français bénéficient d'un "bouclier tarifaire" qui plafonne à 4% la hausse des tarifs réglementés, au moyen d'une forte baisse de la taxe sur l'électricité. L'Insee estime que la hausse moyenne de la facture des Français aurait été près de huit fois plus importante sans ce dispositif. Très coûteux pour l'Etat, il prendra fin en 2023, et on ne sait pas encore comment il sera remplacé. Le gouvernement a cependant fait quelques promesses. "Nous amortirons les hausses", affirmait Elisabeth Borne au Parisien le 27 août, tandis que le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, assurait qu'il n'y aurait pas de "rattrapage" de la hausse évitée en 2022. Comme cette année, des chèques énergie devraient être envoyés aux ménages les plus précaires pour les aider à régler leurs factures.
Et le gaz, pourquoi est-il si cher ? Ne dit-on pas que la France a peu besoin du gaz russe ?
La hausse du prix du gaz avait débuté dès 2021, du fait de la brutale reprise économique qui a suivi la levée de la plupart des restrictions sanitaires contre le Covid-19. Mais l'invasion de l'Ukraine par la Russie est la principale raison de la flambée des prix. Avant la guerre, 40% du gaz consommé dans l'Union européenne provenait de Russie. Et si la France est un des pays de l'UE qui dépend le moins du gaz russe, il représentait tout de même 17% de sa consommation en 2021. Pour Moscou, cette situation est devenue un levier permettant de punir les pays européens qui soutiennent Kiev et lui imposent des sanctions. Depuis le 1er septembre, l'entreprise russe Gazprom a ainsi cessé toute livraison de gaz à la France, se justifiant par un désaccord contractuel avec Engie. Plus largement, l'Europe est privée d'une grande partie du gaz qu'elle importait de Russie, et doit se préparer à l'éventualité d'une coupure totale et définitive du robinet.
Elle tente de trouver des alternatives, mais celles-ci sont plus coûteuses : acheter du gaz à des fournisseurs lointains comme le Qatar et les Etats-Unis oblige par exemple à le transporter par bateau, sous forme liquéfiée, et à disposer des équipements permettant de le transformer à son arrivée. Les prix sont aussi tirés par le haut par la forte demande sur le marché, observe Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l'Institut Jacques-Delors. D'une part, les acheteurs "anticipent une pénurie et des prix qui pourraient être encore plus élevés en janvier" ; de l'autre, il faut acheter rapidement du fait de "la pression politique mise pour remplir les stocks de gaz", en France mais aussi chez nos voisins.
Par ailleurs, les cours ne se reflètent pas directement sur la facture des ménages français : le gouvernement a décrété le gel des tarifs du gaz à leur niveau d'octobre 2021, pour les personnes qui paient le tarif réglementé. Sans cette mesure, qui doit prendre fin le 1er janvier 2023, la hausse moyenne de la facture de gaz des ménages aurait été trois fois plus importante, selon l'Insee.
Dans combien de temps peut-on espérer sortir de cette crise ?
Il est trop tôt pour en être sûr. D'autant que certains facteurs sont très imprévisibles : impossible de faire des paris sur l'issue de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ni sur ce qu'il adviendra du gaz russe à la fin de la guerre.
Mais les experts interrogés par franceinfo s'accordent sur le fait que c'est une affaire de plusieurs années, pas de quelques mois. "Les prix de marché de l'électricité", où les MWh qui seront produits en 2023 atteignent des records, "illustrent assez bien que cette situation va durer au moins jusqu'en 2024", explique Nicolas Goldberg. Dans deux ans, le parc nucléaire français "aura passé le pic de visites décennales", rappelle-t-il, et le plan pour remédier au problème de corrosion devrait être plus avancé : deux raisons d'espérer que la production d'électricité nucléaire retrouvera un niveau plus normal.
"Le Premier ministre belge, a dit [le 22 août] qu'il fallait se préparer à 5 à 10 hivers difficiles", souligne Thomas Pellerin-Carlin. "Ça me semble un horizon raisonnable". Comme son confrère, il souligne l'importance "d'un investissement massif dans la rénovation des bâtiments et le déploiement du renouvelable" pour s'adapter au plus vite à cette nouvelle donne.
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