Manifestation des soignants : ce que l'on sait de l'interpellation d'une infirmière sur l'esplanade des Invalides
Une infirmière quinquagénaire a été interpellée mardi par les forces de l'ordre et emmenée en garde à vue, avec du sang sur le visage, lors de la manifestation des soignants sur l'esplanade des Invalides à Paris. Mise en garde à vue hier, elle a été relâchée mercredi.
Une femme en blouse blanche plaquée au sol par la police, et réclamant sa Ventoline. Les images de cette interpellation, tournées notamment par le journaliste Rémy Buisine pour le média Brut, ont largement circulé, mardi 16 juin. Cette infirmière, qui participait à la manifestation des soignants sur l'esplanade des Invalides, avait été interpellée et placée en garde à vue pour avoir lancé des projectiles en direction des forces de l'ordre. Sa garde à vue a été levée mercredi. Elle est convoquée le 25 septembre prochain pour des faits d'outrages sur personne dépositaire de l'autorité publique, rébellion et violences sur personne dépositaire de l'autorité publique sans ITT, a annoncé le parquet de Paris à franceinfo. Voici ce que l'on sait de son interpellation, qui a provoqué de vives réactions sur les réseaux sociaux.
L'interpellation a été filmée
Les images de Rémy Buisine montrent les forces de l'ordre traînant à terre une femme en blouse blanche. Alors que les policiers lui passent les menottes, elle réclame de la Ventoline (un médicament utilisé par les personnes souffrant d'asthme). "Je veux de la Ventoline", crie-t-elle.
Les policiers font alors cercle autour d'elle pour repousser les photographes de presse et empêcher les caméras de filmer. On voit néanmoins qu'elle est plaquée au sol tandis que la police ordonne "Reculez ! Reculez !" aux journalistes, avant de les pousser. "Ils nous empêchent de filmer cette interpellation", commente le journaliste qui filme. On peut aussi entendre un policier dire : "Pas de violence, on est filmés." L'infirmière est ensuite emmenée par les policiers, avec du sang sur le front.
Une femme en blouse blanche, tirée par les cheveux, durant une interpellation, finira évacuée le visage en sang durant la manifestation aux Invalides. Elle réclamera à plusieurs reprises sa Ventoline.
— Remy Buisine (@RemyBuisine) June 16, 2020
Images issue de mon direct sur @brutofficiel (1H45). #soignants pic.twitter.com/zdxIbTS4Mu
Sur la première séquence de la vidéo, des sources syndicales policières assurent que le policier tire la bride du sac à dos et non les cheveux. En revanche, pendant la seconde phase (conduite au commissariat), la policière tient bien l'infirmière par les cheveux.
A la fin de la vidéo, les policiers assurent à la femme interpellée qu'ils vont lui donner de la Ventoline, une fois qu'ils l'auront éloignée des fumées de gaz lacrymogène. Une autre vidéo montre la suite de la scène. L'infirmière s'adresse aux personnes qui filment en essayant de dire son nom. "Je m'appelle Farida", a-t-elle le temps de dire, avant qu'une policière ne mette une main sur sa bouche.
la suite pic.twitter.com/UGzWjXjBhF
— Cygnus X - 1 (@Syjeanpierre1) June 16, 2020
L'infirmière travaille au CHU de Villejuif
"Cette femme, c'est ma mère", écrit sur Twitter la journaliste Imen Mellaz, programmatrice pour la chaîne France 24. Elle précise ensuite que la femme interpellée est "une infirmière" qui a "bossé pendant trois mois entre 12 heures et 14 heures par jour" et qui "a eu le Covid'. "Aujourd'hui, elle manifestait pour qu'on revalorise son salaire (...) elle fait 1m55", précise-t-elle.
Cette femme, c'est ma mère. 50 ans, infirmière, elle a bossé pendant 3 mois entre 12 et 14 heures par jour. A eu le covid. Aujourd'hui, elle manifestait pour qu'on revalorise son salaire, qu'on reconnaisse son travail. Elle est asthmatique. Elle avait sa blouse. Elle fait 1m55. https://t.co/kinCQYJTAn
— Imen Mellaz (@Mellazimen) June 16, 2020
Porte-parole de la CGT 94, Benjamin Amar apporte des éléments supplémentaires au média Là-bas si j'y suis. Farida est infirmière au "CHU Paul-Brousse" (à Villejuif) et "travaille à l'AP-HP depuis 17 ans". Elle "a quasiment 52 ans, elle est mère de famille". "Elle a été nassée, elle a eu des jets de lacrymo, ça l'a mise en colère", explique-t-il, pour compléter le contexte des jets de projectiles contre les policiers.
Alors que certains internautes mettaient en doute, sur les réseaux sociaux, la profession de la femme interpellée, Libération précise, en citant la CGT du Val-de-Marne, que "cette femme est infirmière depuis huit ans, actuellement au service gériatrique de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Depuis un an, elle est plus spécifiquement cadre hospitalière faisant fonction. Elle est donc en charge d’une équipe de plusieurs infirmiers".
Un policier veut porter plainte
Des images diffusées par BFMTV montrent en effet une femme en train de jeter des projectiles en direction des forces de l'ordre. Le Syndicat indépendant des commissaires de police les a retweetées en affirmant qu'il s'agissait de l'infirmière interpellée et assurant vouloir "rétablir la vérité". "Elle jetait des projectiles, juste avant son interpellation !", s'exclame-t-il.
Nous rétablissons la vérité par une vidéo de @BFMTV.
— Commissaires de police - SICP (@SICPCommissaire) June 16, 2020
La gentille infirmière, qui avait besoin de sa ventoline, et qui est présentée comme une victime de la #Police!
Elle jetait des projectiles, juste avant son interpellation!
Alors on continue à parler de #PoliceViolence ? pic.twitter.com/z3RoWp5Oak
Elle a été interpellée pour "outrage et jet de projectiles sur les forces de l'ordre", a précisé à franceinfo une source policière. Elle a ensuite été emmenée en garde à vue dans le commissariat du 7e arrondissement. "Un policier atteint par un de ces projectiles déposera plainte", mercredi 17 juin. L'infirmière aurait jeté, selon la police, des "morceaux de pavés".
Un rassemblement de soutien a eu lieu devant le commissariat
La police affirme par ailleurs à franceinfo lui avoir donné de la Ventoline. Mardi soir, un rassemblement réclamant la libération de l'infirmière, dans un contexte de dénonciation des violences policières en France, s'est tenu devant le commissariat du 7e arrondissement en présence des députés de La France insoumise Eric Coquerel, Mathilde Panot et Danièle Obono. Eric Coquerel écrit avoir pu s'entretenir "rapidement avec elle : elle a été blessée pendant l'interpellation".
Avec mes collègues @MathildePanot et @Deputee_Obono nous avons visité le commissariat du 7ème où se trouve Farida, infirmière qui a travaillé pendant la crise sanitaire 10 à 14h par jour.
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) June 16, 2020
Nous avons parlé rapidement avec elle : elle a été blessée pendant l'interpellation. pic.twitter.com/vUUvdAC8Qn
Depuis mardi soir, le mot-dièse "Libérez Farida" était un des plus repris sur Twitter. "Ignoble : Farida l'infirmière est toujours menottée et blessée sans soin. Vous réalisez ? Blessée et menottée. C'est ça leur police soi-disant républicaine. #LiberezFarida", a ainsi écrit Jean-Luc Mélenchon.
L'infirmière est toujours en garde à vue, mercredi matin, selon le parquet de Paris, qui précise que "des investigations sont toujours en cours". Aucune décision sur les suites n'a été prise pour le moment, selon la même source.
L'infirmière a reconnu les faits
L'infirmière a reconnu les faits d'"outrage et jet de projectiles sur les forces de l'ordre", devant les enquêteurs, a appris franceinfo auprès de son avocat, Julien Brault, tout en s'étonnant que cela soit assimilé à des violences.
Elle a aussi expliqué qu'elle "avait craqué", épuisée d'avoir repris son travail dans les mêmes conditions difficiles qu'avant la crise du Covid-19, malgré les promesses du gouvernement pour améliorer le sort de l'hôpital public. Elle a reconnu des doigts d'honneur non contre les policiers mais "contre l'Etat". Elle indique avoir été tirée par les cheveux pour être mise à terre et affirme aussi qu'elle ne se débattait pas.
Elle est sortie de garde à vue mercredi sans avoir déposé plainte. Elle est convoquée devant le tribunal correctionnel le 25 septembre prochain pour des faits d'outrages sur personne dépositaire de l'autorité publique, rébellion et violences sur personne dépositaire de l'autorité publique sans ITT, a annoncé le parquet de Paris à franceinfo.
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